Benoît Falaize (professeur à l'université de Cergy-Pontoise) : “L'histoire n'est pas le lieu de l'opinion”

Virginie Bertereau Publié le
Benoît Falaize (professeur à l'université de Cergy-Pontoise) : “L'histoire n'est pas le lieu de l'opinion”
Benoît Falaize // © 
Shoah, esclavage, colonisation… Certains sujets suscitent parfois le débat en classe, surtout quand l'actualité donne prétexte à polémique, comme cela a récemment été le cas avec l'affaire de la quenelle de Dieudonné. À l'occasion de la journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l'humanité, qui commémore, le 27 janvier, la libération du camp d'Auschwitz, Benoît Falaize, professeur d'histoire à l'université de Cergy-Pontoise, fait le point sur la manière d'aborder ces thématiques, lui qui a contribué au document du ministère de l'Éducation nationale, “Mémoire et histoire de la Shoah à l'école” (1).

Peut-on contester ce qu'on apprend en cours d'histoire ?

“L'histoire a le même statut que n'importe quelle autre discipline scolaire. La question de la contestation ne peut être comprise que dans le cadre d'une discussion argumentée en cours, dans le cadre des apprentissages. Contester un cours d'histoire dans le conflit, ce n'est pas possible : ce n'est autorisé ni par le professeur, ni par l'institution scolaire. En revanche, que les élèves débattent d'un point ou d'un autre, sur la base d'une réflexion commune, pourquoi pas (c'est même parfois très souhaitable). La question n'est pas : ‘peut-on contester ?’, mais ‘comment faire quand il y a contestation et quelle réponse apporter ?’ Si on n'apporte pas de réponse, le cours est raté.”

Comment réagissent vos élèves quand vous abordez la Shoah ?

Mes élèves sont “grands” puisqu'il s'agit de futurs professeurs d'école et d'étudiants de CAPES [certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement secondaire] d'histoire. Parfois, des discussions naissent sur la place de la Shoah dans les programmes scolaires, par rapport à d'autres sujets d'histoire. Certains peuvent s'interroger sur l'unicité de la Shoah. Répondre à ces questions n'est pas simple pour un enseignant qui n'a pas fait profession d'être spécialiste des questions sensibles. Des stages de formation continue sont obligatoires sur certains sujets. Lorsque j'étais au collège ou au lycée, il n'y a pas si longtemps, ces questions arrivaient également. Il faudrait pouvoir discuter librement avec les élèves.

Nous sommes en charge de leur éducation intellectuelle. Si on se braque d'emblée, c'est terminé. Et la provocation des élèves n'en sera que plus grande. Écouter, échanger, réfléchir avec eux, leur offrir des points de comparaison et des points de vue différents, c'est notre rôle le plus fondamental.

Quelles autres parties du programme suscitent souvent le débat chez les jeunes en classe ?

Dans les enquêtes de l'Institut national de recherche pédagogique, disparu depuis 2010, ou dans les témoignages, les thèmes de la colonisation, de l'esclavage ou des questions religieuses au sens large dominent. C'est-à-dire les sujets qui touchent à l'identité ou à l'intime : d'où je viens, ma fidélité à ma famille, ce à quoi je crois, ce à quoi mes frères croient, etc. Mais, là encore, il n'y a pas de règle. Un même sujet, dans un établissement d'un même milieu social et géographique, pourra être soit mal, soit très bien accepté. Tout dépend de l'angle d'approche de l'enseignant, de sa posture, de sa bienveillance initiale, de son autorité, de son rôle auprès des élèves. Et parfois, on peut enseigner très bien un sujet et, l'année suivante, être en difficulté devant le même sujet, soit parce qu'on a décidé de le traiter différemment, soit parce que les élèves ne sont pas les mêmes ou que l'actualité donne une résonance particulière au thème abordé. C'est aussi l'effet maître, l'effet établissement qui peut se faire sentir ici.

Un élève peut-il exprimer son opinion dans une copie d'histoire ou est-ce sanctionné ?

L'histoire n'est pas le lieu de l'opinion. Ceux qui le croient se trompent. Pour citer l'historien Marc Bloch, l'histoire, ce n'est pas juger, mais comprendre. L'établissement des faits historiques relève d'une démarche intellectuelle validée par les autres chercheurs ; et ce monde de chercheurs n'est pas tendre... Autrement dit, si une thèse vient reposer sur du vent, elle sera immédiatement repérée par les pairs. Ce qui signifie encore que les contenus des cours (dans leur immense majorité) sont conformes à ce que les historiens peuvent savoir ou penser au moment où le texte est écrit. Évidemment, on pourra se dire que l'auteur du manuel aurait pu en dire plus sur tel point, aborder différemment cette autre question, mais les manuels expriment une vision globalement conforme aux savoirs historiques, avec, certes, parfois, un peu de décalage avec la science qui se fait. Donner son opinion sur un fait historique n'a, de fait, aucun sens. Sauf en français, en philosophie ou en éducation civique.

Alors, est-ce que cela est sanctionné en classe ? Oui, bien sûr, pas comme une sanction précisément, mais comme un apprentissage d'un mode de réflexion qui vise à comprendre, à être en empathie avec l'histoire. Donner un jugement, plusieurs années après l'événement, n'a pas de sens. Apprendre ce recul historique aux élèves est fondamental. Et même sur la Shoah, cela est vrai. Dire que les nazis étaient des salauds, est-ce que cela fait avancer la compréhension du sujet ? Non. Les meilleurs cours visent à comprendre, de l'intérieur, la logique exterminatrice, les bourreaux et les fonctionnements de l'État nazi.

(1) "Mémoire et histoire de la Shoah à l'école".

Virginie Bertereau | Publié le