Frédéric Munier, professeur en prépa HEC: "Mener une guerre contre les prépas, c’est se tirer une balle dans le pied"

Propos recueillis par Jessica Gourdon Publié le
Elitistes, franco-françaises, peu épanouissantes pour les étudiants, dispensant des enseignements trop scolaires et pas assez universitaires, trop chères pour l'Etat… A l'heure où les élèves de terminale font, depuis le 20 janvier, leurs choix d'orientation sur admission postbac , les prépas sont sous le feu de multiples critiques. Frédéric Munier, membre du bureau national de l’APHEC (association des professeurs de classes préparatoires économiques et commerciales), professeur d'histoire à Saint-Louis (Paris), répond à ces accusations et défend les atouts de ces formations.

Les prépas HEC ont moins la cote, avec un nombre d’inscrit en légère baisse. Ce modèle peut-il continuer à attirer les lycéens, à l’heure où les écoles de commerce développent énormément les admissions parallèles ? 

Les prépas économiques et commerciales sont un des rares lieux de formation humaniste et multidisciplinaire, où l’on aborde à la fois la philosophie, l’histoire, le français, les langues, les mathématiques… Nos élèves lisent la princesse de Clèves ! Les prépas sont l’équivalent de l’université des Arts au Moyen Âge : elles dispensent un vaste savoir de base, préalable ou toute spécialisation ultérieure. Ce type de cursus me semble la meilleure des garanties pour s’insérer dans un monde complexe– débuter ses études par un savoir technicien me semble au contraire une impasse.

Les prépas ont une autre force : l’encadrement personnalisé, avec des classes réduites, des enseignants référents, des colles…. Les cours en amphithéâtre sont dramatiques pour nombre de jeunes sortis du lycée. Enfin, ces prépas sont une assurance en termes de débouchés. En 2011, 88% des élèves ont été admis dans au moins une école. Je rappelle au passage que nos écoles de commerce font partie des meilleures d’Europe, comme le rappelle chaque année le classement des masters en management du Financial Times.

On dit les prépas parisiennes élitistes, avec un recrutement peu ouvert socialement et très francilien. Qu’en est-il à Saint-Louis ?

Les clichés sont loin de la réalité. En prépa ECS (Economique et commercial scientifique), nous avons au total un tiers de Parisiens, un tiers de Franciliens, et un tiers de provinciaux. Les boursiers représentent 25 % des effectifs. Et ces élèves réussissent aussi bien que les autres !

Mais a-t-on une chance d’intégrer les toutes meilleures prépas lorsque l'on vient d’un lycée inconnu ou peu favorisé ?

Les prépas sont loin de ne recruter que sur la montagne Sainte-Geneviève. Sur APB (admission post-bac), la moitié des lycéens qui a rempli ses 6 vœux de classes préparatoires se voit proposer une place. On ne peut pas dire que cela soit élitiste, si l’on compare par exemple à la première année de médecine !

"Le système scolaire développe moins la culture de l'ambition que par le passé"

En revanche, il est certain que tous les lycéens, selon leur cadre scolaire, ne jouent pas à armes égales. Il existe des disparités considérables entre les établissements. Si certains d'entre eux poussent leurs élèves, quel que soit leur milieu social, à aller au bout de leurs possibilités, c'est moins le cas dans d’autres lycées.

Mais les prépas ne font qu’enregistrer cet état de fait ! Le vrai problème, c’est que le système scolaire développe moins la culture de l'ambition que par le passé. Les adolescents sont de moins en moins armés face à l’écrit, lisent peu, et sont insuffisamment informés quant aux possibilités d’orientation. Tout cela accentue les différences entre ceux qui étudient dans de bons établissements - ou qui sont issus de milieux favorisés - et les autres.

Certains pointent que les élèves des prépas sont confrontés à un savoir scolaire, et non universitaire. Et que la vision critique serait délaissée au profit d’une intense préparation à des épreuves. Qu’en pensez-vous ?

Cette vision me parait éculée. Tous les professeurs de prépas sont agrégés, et ont une expérience de la recherche, au moins au travers d’un master. Certains écrivent des livres, et de plus en plus d’enseignants, notamment les jeunes, ont un doctorat. Nous sommes loin d’enseigner des vérités acquises sans vision critique !

Mais que nous reproche-t-on vraiment ? C’est un métier d’aider des étudiants à se constituer un corpus humanistique, et c’en est un autre d’initier des jeunes à la recherche. Aux Etats-Unis, il est courant de distinguer ces deux types d’enseignants, sans que l’un ou l’autre ne soit déconsidéré.

Les prépas doivent-elles être rattachées aux universités ?

Faciliter les passerelles, notamment dans le cadre des PRES, me semble une bonne chose. D’ailleurs, de nombreuses coopérations commencent à se développer. Mais sous prétexte de vouloir tout harmoniser, il ne faut pas perdre de vue que notre système présente des atouts considérables.

"Les prépas sont l’un des choix, parmi d’autres, qui s’offrent aux étudiants. Tout le monde ne peut entrer dans le même moule"

A l’heure de la compétition internationale, mener une guerre picrocholine contre les prépas ou les grandes écoles, c’est se tirer une balle dans le pied !

Les prépas sont l’un des choix, parmi d’autres, qui s’offrent aux étudiants. Tout le monde ne peut entrer dans le même moule. A l’étranger, on nous envie la capacité d’abstraction et la culture générale de nos cadres – des compétences largement développées en prépa. La majorité de nos Nobels ou de nos médailles Fields sont passés par des prépas. Le programme nucléaire, la fusée Ariane, ont été développés par des élèves issus de ce système. Le service rendu à la nation est énorme.

Les prépas coûtent-elles trop cher ?

En termes de rendement par rapport à la somme investie, les prépas sont très performantes. Mais une chose est sûre : la France consacre un budget insuffisant à l’enseignement supérieur. Ce ne sont pas les prépas qui coûtent trop cher, c’est l’université qui est sous-financée.

Propos recueillis par Jessica Gourdon | Publié le