Michel Lussault : "La laïcité est vue comme un arrière-plan, pas comme un contenu éducatif"

Propos recueillis par Marie-Anne Nourry Publié le
Michel Lussault  : "La laïcité est vue comme un arrière-plan, pas comme un contenu éducatif"
Michel Lussault // ©  M. Lussault
Articuler la laïcité et la pluralité des valeurs, travailler collectivement… Autant de défis pour l'École, selon Michel Lussault. Le président du Conseil supérieur des programmes et directeur de l'Institut français de l'éducation revient pour EducPros sur la nécessité d'intégrer ces questions à la formation des enseignants, quelques jours après les attentats à Paris.

Selon vous, les enseignants sont-ils bien armés pour répondre aux questions relatives à la laïcité ?

Non, je ne pense pas que les enseignants le soient. Mais, de manière générale, il me paraît difficile pour qui que ce soit d'être bien armé d'une façon qui sorte des incantations habituelles. Dire que la France est laïque, on le sait, mais qu'est-ce que ça signifie en actions concrètes ?

La question de la laïcité n'a pas été suffisamment investie au cours des dernières décennies. Or, elle a été définie dans des conditions historiques qui ne sont plus les nôtres et il importe de la déployer avec ce que la société nous renvoie. L'idée n'est pas de remettre en cause la laïcité à l'ancienne mais de dire que la société et les élèves ont changé au point que le corpus des enseignants doit lui aussi évoluer. Pour en faire un savoir chaud, il faut donc articuler la laïcité à la question du pluralisme des valeurs, à la problématique de la tolérance, de l'inclusion.

Concrètement, quelles actions vont être menées ?

Nous attendons ces jours-ci le retour de la consultation sur l'enseignement moral et civique. Il sera mis en place dès la rentrée prochaine pour les élèves.

Au sein du Conseil supérieur des programmes, je milite pour que la laïcité soit quelque chose que les enseignants s'approprient mais il y a un gros travail. Il n'y a pas à proprement parler d'enseignement de la laïcité, elle est vue comme un arrière-plan, pas comme un contenu éducatif.

Les récents événements ont précipité les prises de conscience et il y a d'ores et déjà des éléments de sensibilisation dans les Espé. Celui de Lyon va, par exemple, organiser une université d'été sur l'enseignement de la laïcité mais on est loin d'avoir réglé tous les problèmes.

Il y a un pluralisme des valeurs qui ne disparaîtra pas et qui peut rapidement se transformer en choc des croyances. Et ainsi poser un défi à l'éducation.

Les enseignants sont-ils formés à la gestion de classe, par exemple lorsque des élèves refusent la minute de silence ?

Nous avons des enseignements qui sont rendus très souvent difficiles par le fait que les élèves ne sont plus dans la même relation à la vérité qu'il y a trente ou quarante ans. Il y a un pluralisme des valeurs qui ne disparaîtra pas et qui peut rapidement se transformer en choc des croyances. Et ainsi poser un défi à l'éducation.

Beaucoup d'enseignants savent faire face à ces situations mais c'est un savoir qu'ils ont acquis sur le tas. Il faut aller vers des enseignements initiaux moins théoriques pour les futurs enseignants, leur proposer des simulations, des cas pratiques, des jeux de rôle. Comme avec la plateforme Néopass@ction que l'Institut français de l'éducation a mise en place, et qui permet aux enseignants de trouver des solutions, par exemple pour faire face à la difficulté de passer une consigne.

Parmi les pistes à explorer,  faudrait-il introduire des temps de débat en éducation civique ?

On ne peut pas faire autrement mais cela relève de l'initiative collective des enseignants. À chaque fois qu'on a pu travailler collectivement pour la minute de silence, cela s'est passé de manière plus apaisée. Quel que soit leur âge, les élèves sont très sensibles à ça. Il faut sortir de l'idée que l'enseignement, c'est simplement l'enseignant, sa discipline et sa classe. C'est aussi la mobilisation de tous au service d'une même parole.

La réflexion sur la tolérance, le pluralisme  fait partie du bagage commun du premier cycle universitaire.

Comment l'enseignement supérieur peut-il s'emparer de ces questions et adapter les méthodes d'enseignement ?

Il faut reconstituer un vrai potentiel d'intelligence collective à l'université. L'histoire, la philosophie se sont un peu désengagées de ces questions durant les dernières années. Peu de philosophes affrontent aujourd'hui la question de l'éducation.

En tant qu'universitaire, j'estime que la réflexion sur la tolérance, le pluralisme, etc. fait partie du bagage commun du premier cycle universitaire. On dispense bien des certificats d'informatique, de langue, ce ne serait pas inutile de mener une réflexion sur l'école publique, la chose publique, la République. Mais il ne faut pas que ce soit un enseignement purement moralisateur, plus un enseignement de principe.  

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