Nathalie Arthaud : "Sans embauche de milliers de travailleurs, il n'y aura aucune transformation du système éducatif"

Paul Conge Publié le
Nathalie Arthaud : "Sans embauche de milliers de travailleurs, il n'y aura aucune transformation du système éducatif"
La candidate trotskiste veut ponctionner les "cadeaux fiscaux faits aux entreprises" pour attribuer des moyens conséquents à l'éducation nationale. // ©  Fred MARVAUX/REA
Embaucher des milliers d'enseignants, augmenter leurs salaires, mettre fin à la sélection en master… La porte-parole de Lutte ouvrière, Nathalie Arthaud, détaille pour EducPros, dans une interview réalisée par écrit, ses propositions pour l'enseignement supérieur. Nouveau volet de notre série d'entretiens avec les candidats à l'élection présidentielle, tous sollicités par notre rédaction.

Votre programme pour l’éducation est peu étoffé. Est-ce un sujet secondaire dans les combats que mène Lutte ouvrière ?

Dans cette société, tout ce qui relève de l’intérêt collectif, que ce soit l’éducation, les hôpitaux, les transports en commun, est sacrifié pour les intérêts particuliers des actionnaires des trusts et des banques.

Nous n’avons pas un programme de gouvernement mais un programme de lutte visant à remettre en cause la domination de ces capitalistes et de leurs intérêts sur la société. C’est là la cause de tous les problèmes.

Vous indiquez, dans le volet "éducation" de votre site, qu'"il faudrait consacrer l'argent public à l’éducation au lieu de le distribuer, à perte, au grand patronat". À quoi ressemblera votre budget pour l'éducation ?

Depuis des dizaines d’années, tous les gouvernements ont mis le budget de l’État au service des entreprises. Le CICE (Crédit d'impôt compétitivité emploi) de François Hollande en est la dernière illustration. Avec les 40 milliards de ce dispositif, l’État pourrait embaucher plus d’un million de travailleurs, des travailleurs à l’heure actuelle condamnés au chômage, alors que tant de besoins ne sont pas satisfaits, à l’école ou dans les hôpitaux.

Le budget idéal pour l’éducation est celui qui correspond aux besoins. Ce n'est que si les travailleurs de l’éducation nationale se mobilisent, s’organisent, se rassemblent, discutent entre eux, qu’on pourra exactement recenser ces besoins et décider en conséquence.

Non seulement il faut embaucher les enseignants nécessaires dans le supérieur pour permettre à tous ceux qui le souhaitent de faire les études qu’ils souhaitent, mais il faut également rétablir les crédits de recherche amputés ces vingt ou trente dernières années. Dans nombre de laboratoires de recherche publics, si les chercheurs sont obligés de se tourner vers le marché ou vers les entreprises pour se faire financer, s’ils sont quasiment dans l’obligation de créer une entreprise pour valoriser le produit de leur recherche, c’est parce que les crédits publics ne sont plus à la hauteur.

Quelles transformations envisagez-vous en priorité pour le système éducatif français ?

Dans les collèges et les lycées, comme dans les maternelles, sans l'embauche des dizaines de milliers de travailleurs nécessaires à tous les niveaux, aucune transformation du système éducatif n’est en mesure de changer quoi que ce soit. Sans ces embauches, on ne peut que déshabiller les uns pour rhabiller les autres.

Dans l’enseignement supérieur, il faut remettre en cause toutes les coupes budgétaires qui s’opèrent sous prétexte d’autonomie, tout comme les réformes visant à mettre l’éducation au service des entreprises. Toute une partie de l’enseignement supérieur meurt de ces réformes qui mettent les entreprises en position d’arbitre.

L’enseignement supérieur ne doit pas chercher à mettre les étudiants sur les rails de ce qui profitera aux entreprises, ni fournir aux entreprises des jeunes salariés déjà formés et prêts à être exploités, leur économisant ainsi les années de formation "maison" nécessaires.

Il faut remettre en cause toutes les coupes budgétaires qui s’opèrent sous prétexte d’autonomie.

Quelle doit être, à vos yeux, la place de l'entreprise à l'université ?

En premier lieu, l’enseignement doit permettre au plus grand nombre d’accéder à une culture générale la plus vaste possible dans tous les domaines. En somme, la place de l’entreprise à l’université doit être, tout au plus, celle d’un objet d’études et de discussions : les étudiants qui, à juste titre, se posent la question de l’avenir de l’humanité doivent réfléchir à comment la sortir du capitalisme.

S'agissant des grands chantiers en cours, comptez-vous revenir sur la sélection en master 1, instaurée par la loi du 23 décembre 2016 ?

La sélection en master 1 relève de la gestion de la pénurie et de l’adaptation des universités à des intérêts autres que ceux des étudiants. Faute de moyens financiers, le gouvernement permet aux universités de refouler les étudiants qu’elles ne jugent pas opportuns, en surnombre ou ne cadrant pas avec leurs orientations. 

Quant au "droit à la poursuite d’études" concédé par le gouvernement, c’est une fausse alternative. Le rectorat fera trois propositions, dont au moins une dans l’établissement de l’étudiant recalé, mais il n’existe aucune garantie que ces propositions soient en lien avec sa licence ou son projet professionnel. Une mobilité forcée pourra être imposée aux étudiants, ce qui n’est pas sans conséquences financières personnelles.

Il faudrait donc bien sûr s’opposer à ce dispositif de sélection mais aussi imposer les moyens nécessaires à l’université, dont le manque est la vraie raison de l’invention de ce dispositif.

La place de l’entreprise à l’université doit être au plus celle d’un objet d’études et de discussion.

Faut-il revaloriser le salaire des enseignants et des chercheurs ?

Dans l’éducation comme ailleurs, tous les salaires doivent être augmentés de 300 euros. Aucun salaire ne doit se situer en dessous de 1.800 euros nets.

Quelle place souhaitez-vous accorder au numérique dans l’éducation ?

Les bibliothèques sont obligées de s’abonner à des bouquets numériques fournis par des éditeurs privés, libres de leurs tarifs et qui les augmentent régulièrement. Au lieu d’acheter un livre ou une revue une fois et d’en être propriétaire, la bibliothèque doit payer de nouveau chaque année pour avoir accès aux mêmes publications, publications qui, rappelons-le, n’existent que grâce au travail de chercheurs !

Un service public digne de ce nom, avec des budgets dignes de ce nom, pourrait, avec le poids de l’État, inverser ce processus en contrôlant et en imposant la fixation des tarifs.

Cela impliquerait, je le répète, que l’État se préoccupe de l’accès à la culture en général, qu’il encourage toutes les initiatives locales et régionales – numériques ou pas – en faveur des milieux populaires, en développant les bibliothèques, l’éveil à la culture scientifique, l’accès à des salles de cinéma ou de théâtre à des prix abordables.

Avec la numérisation, on peut bien sûr se réjouir d’avoir accès depuis chez soi à de multiples informations venant du monde entier. Mais cela n’est pas gratuit pour les familles. C’est pourquoi l’accès libre aux réseaux d’informations via Internet dans les bibliothèques, qu’elles soient universitaires ou de quartier, est primordial.

Allez-vous revoir les frais d'inscriptions à l'université et le montant des bourses allouées aux étudiants ?

Les frais d'inscriptions à l'université sont trop élevés. Les bourses ne sont pas assez nombreuses, versées avec difficulté et en retard, et les montants, insuffisants, imposent aux étudiants des couches populaires qui ne renoncent pas de vivre avec quelques centaines d'euros ou de travailler en parallèle de leurs études.

Pour nombre de familles, celles frappées par le chômage et la précarité, qui ne peuvent que difficilement aider financièrement leurs enfants, ce système relève d'une véritable ségrégation sociale.

Paul Conge | Publié le