Nicolas Bourriaud (Beaux-Arts de Paris) : "L’École doit devenir le premier agent de ses étudiants"

Sophie de Tarlé Publié le
Nicolas Bourriaud (Beaux-Arts de Paris) : "L’École doit devenir le premier agent de ses étudiants"
Nicolas Bourriaud // ©  Sophie de Tarlé
Nicolas Bourriaud fait le point sur le devenir de l'École nationale supérieure des beaux-arts, un an après avoir pris la direction du prestigieux établissement parisien.

Votre nomination a pu surprendre car vous n’êtes pas issu des Beaux-Arts (voir encadré). Comment êtes-vous arrivé à ce poste ?

J’ai en effet un profil atypique. J’ai été longtemps free-lance comme critique d’art et comme auteur de livres sur l’art contemporain. De 1999 à 2006, j’ai dirigé à Paris le Palais de Tokyo [musée d’art contemporain situé au Trocadéro, NDLR] avant d’être engagé comme conservateur à la Tate Modern de Londres. Je suis aussi intervenu dans une centaine d’écoles d’art sur plusieurs continents. Ces expériences me donnent forcément une vision peu orthodoxe.

Malgré tout, je n’aurais jamais pu prendre la direction de l’école si je n’avais pas occupé durant deux ans la direction de l’Inspection des arts plastiques, de la musique, du théâtre et de la danse au ministère de la Culture. Ce poste m’a permis d’être au cœur des rouages administratifs. Une étape essentielle lorsqu’on veut comprendre le fonctionnement d’un établissement public. Sans cette expérience très formatrice, cela aurait été plus difficile.

Vos diplômés deviennent-ils tous des artistes ?

J’aime dire que nous formons 10% de cosmonautes et 90% d’excellents pilotes de ligne. Si tous nos diplômés ne deviennent pas des artistes, tous acquièrent une maîtrise de l’expression personnelle : beaucoup travaillent comme directeur artistique dans la publicité ou en tant qu’illustrateur. Nous devons aider les 10% qui deviendront des artistes internationaux, mais aussi les 90% qui seront des créateurs dans des domaines divers.

C’est le cas dans toutes les écoles d’art du monde. Nos étudiants reçoivent une formation complète, à la fois pratique et théorique, qui peut servir dans de nombreux secteurs d’activité. Nous sommes là pour aider les étudiants à développer leur singularité. Car nous formons avant tout des créateurs, dotés d’une vision originale et personnelle.

Qu’entreprenez-vous pour faciliter l’insertion des étudiants ?

Nous souhaitons devenir le premier agent de nos étudiants. L’école a embauché un «commissaire d’exposition intégré», chargé de développer des projets d’exposition à l’extérieur. Nous allons aider nos diplômés à se lancer, en les aidant par exemple à financer leur première exposition. Nous avons enfin un projet avec le quotidien Libération, qui permettra à des étudiants d’exposer leurs œuvres dans le bâtiment du journal. Ce sera je pense une expérience très intéressante d’exposer dans un lieu aussi atypique.

Je vais aussi introduire le système des visiting professors, qui consiste à inviter un professionnel chaque année, plutôt critique d’art ou commissaire d’expositions. Ils viendront apporter un regard neuf sur le travail des étudiants, à travers des rencontres et des séminaires. Par ailleurs, l’école a créé en 2009 un Observatoire des diplômés afin de suivre les étudiants à leur sortie de l’école.

«Nous allons aider nos diplômés à se lancer, en les aidant par exemple à financer leur première exposition»

Contrairement aux écoles étrangères, les Beaux-Arts ne sont pas intégrés à une université. Est-ce un handicap ?

C’est plutôt une force. Le fait d’être une école nous permet de défendre les spécificités de l’enseignement artistique face à l’université. Notre pédagogie repose sur la confrontation avec les œuvres et les artistes par un système d’ateliers. Les artistes chefs d’atelier sont là deux ou trois jours par semaine pour guider les élèves. C’est une pédagogie qui a fait ses preuves. Les étudiants suivent également des cours de technique (peinture, dessin, forge, céramique..) ainsi que des cours plus théoriques, d’histoire de l’art notamment. Mais même si nous ne travaillons pas avec une université, des docteurs enseignent dans l’école.

Justement, l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) vous avait recommandé de développer la recherche. Où en êtes-vous ?

Notre priorité est de continuer à développer le troisième cycle. Cette année a vu le jour un doctorat sciences, arts, création, recherche (SACRe) au sein de la fondation de coopération scientifique PSL [Paris Sciences Lettres] dont nous faisons partie. Ce doctorat implique cinq grandes écoles de PSL. Être membre de PSL est important, car cela permettra de faire des ponts entre différentes écoles qui ont toutes une tradition d’indépendance.

La cote des artistes français est en berne, contrairement à celle d’artistes chinois comme Yue Minjun (1). Qu’en est-il de la réputation des Beaux-Arts ?

Je peux vous dire que l’école tient encore son rang. Selon une étude récente [du cabinet de conseil Roland Berger, NDLR], l’ENSBA est classée 20e école d’art au monde [sur 864]. Et le dernier rapport de l’AERES a accordé un A+ à l’école. La même année, en 2010, le diplôme national supérieur d'arts plastiques (DNSAP) a obtenu le grade de master. Ce sont plutôt de bonnes nouvelles.

Après, la cote des artistes français est à l’image de la taille du pays. Évidemment, les artistes français avaient l’habitude d’être au centre du monde, ce qui n’est plus le cas. Nous avons sans doute été paresseux. Mais si la cote des Chinois explose, c’est surtout grâce aux acheteurs chinois.

Comment comptez-vous mettre en valeur le fabuleux patrimoine de l’école ?

Nous inaugurons, en avril 2013, le Palais des beaux-arts. Il y avait déjà un lieu d’exposition, mais il n’avait pas de nom. Nous organiserons dans ce lieu des expositions thématiques en quatre parties : une exposition collective d’art contemporain, à partir de travaux sélectionnés d’étudiants ou de jeunes diplômés de l’école, une exposition personnelle d’un artiste du XXe siècle, et enfin une exposition à partir de nos collections extraordinaires, qui remontent au XVIe siècle. D’ailleurs, nous présentons actuellement au public une centaine de dessins de la Renaissance allemande autour d’Albrecht Dürer [1471-1528] qui ont été légués à l’école.

Et pour développer le prestige de l’école ?

Nous reconstituons une collection d’œuvres contemporaines à partir de nos étudiants diplômés, sur la base de la donation volontaire. Depuis le XIXe siècle, la tradition voulait que chaque Prix de Rome lègue une œuvre à l’école. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle a pu se constituer une collection aussi fabuleuse. Cette tradition a été abandonnée en 1968 lorsque le concours du Prix de Rome fut supprimé, et les liens entre l’école et la Villa Médicis coupés. Les projets d’exposition, notamment à partir des collections, joueront désormais un grand rôle dans son rayonnement international, ainsi que sa politique de recrutement de professeurs prestigieux.

Enfin, il ne faut pas oublier les événements sociaux et festifs. Le bal des Quat’z’arts (2), qui n’avait pas eu lieu depuis 1966, a fait son retour en juin dernier. Il avait été interdit avant 1968, sans doute en raison de son caractère subversif à l’époque. Dans un autre registre, en octobre a lieu le gala de l’école, le soir de l’ouverture de la Foire internationale d’art contemporain (FIAC). Nous accueillons à ce moment-là les professionnels du monde de l’art. C’est aussi un moment essentiel de la vie de l’école.

Quelles sont vos relations avec les autres écoles d’art en régions ?

Nous avons réaffirmé notre présence au sein de l’Association nationale des écoles supérieures d’art (AndEa), qui regroupe les écoles d’art françaises sous tutelle du ministère de la Culture. Pendant longtemps, nous en avons fait partie mais nous n’y participions pas. Ce qui était dommage, car nous sommes très demandeurs d’un dialogue avec nos homologues en régions. Ensuite, la création d’une association internationale d’écoles d’art serait évidemment une bonne chose, mais n’est pas encore d’actualité.



(1) «L’ombre du fou rire», exposition de l’artiste Yue Minjun à la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Jusqu’au 17 mars 2013. En 2007, son tableau Execution a été vendu 4,2 millions d'euros !
(2) Célèbre pour son humour potache, le bal des Quat’z’arts portait ce nom car l’école formait aux «quatre arts» (architecture, sculpture, dessin, peinture). Après les événements de Mai 68, les écoles d’architecture sont devenues indépendantes des écoles des beaux-arts.

Portrait de Nicolas Bourriaud
Nommé en novembre 2011, le directeur des Beaux-Arts de Paris (ENSBA) a un profil atypique. Diplômé de l’ICART, l’école des métiers de la culture et du commerce de l’art du groupe EDH (écoles Denis-Huisman), Nicolas Bourriaud a été critique d’art et commissaire d’exposition. Il a ensuite dirigé pendant deux ans le service de l’inspection à la Direction générale de la création artistique au ministère de la Culture.

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L’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris en bref
L’ENSBA est l’héritière de l’Académie royale de peinture et de sculpture créée en 1648. Située sur un site exceptionnel au cœur de Paris, l’école occupe des bâtiments (certains datant du XVIIe siècle) à Saint-Germain-des-Prés, sur un terrain de deux hectares allant de la rue Bonaparte au quai Malaquais.

Il s’agit d’un établissement public à caractère administratif, sous tutelle du ministère de la Culture et de la Communication. L’école prépare en cinq ans après le bac au diplôme national supérieur d’arts plastiques (DNSAP). À noter : jusqu’en 1968, elle formait aussi à l’architecture, désormais enseignée dans des écoles spécialisées.

Actuellement, l’établissement compte 550 étudiants, dont 20% d’étrangers. L’admission se fait directement après le bac sur concours. Le candidat doit présenter un dossier artistique, passer des épreuves écrites (dessin, culture générale artistique) et un oral. Seuls 10% des candidats sont admis chaque année. La plupart d’entre eux sont passés par une année préparatoire, principalement dans des ateliers parisiens.
Sophie de Tarlé | Publié le