Olivier Galland : "L'idée que le bac est garant de l'égalité est un leurre"

Erwin Canard Publié le
Olivier Galland : "L'idée que le bac est garant de l'égalité est un leurre"
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Olivier Galland estime que les mentalités ont changé à propos du rôle du bac, comme l'illustre le sondage exclusif EducPros-l'Etudiant. Pour les lycéens, le contrôle continu semble désormais plus juste que l'examen terminal. Une manière de renforcer la méritocratie scolaire qu'analyse le sociologue au CNRS et spécialiste de la jeunesse.

Olivier Galland, sociologue, directeur de recherche au CNRS.Pour les lycéens, le bac est difficile et a de la valeur. Il est encore, pour beaucoup d'entre eux, un "rite de passage". Comment l'expliquez-vous, alors que l'on assène que le bac "ne vaut rien" ?

Les jeunes sont toujours attachés au symbole du bac puisqu'ils ne veulent pas qu'il soit supprimé. Le rôle du bac a toutefois évolué. Il a désormais, comme le disent les jeunes dans l'enquête, pour fonction principale de donner accès à l'enseignement supérieur. Son importance est due à cela. Le diplôme en lui-même n'a plus beaucoup de valeur.
En revanche, je suis sceptique sur l'aspect "rite de passage". "Passage" de quoi ? Ce n'est plus vraiment ça. Aujourd'hui, la jeunesse se prolonge beaucoup plus tard. Le bac était un rite de passage lorsqu'il correspondait à une coupure forte entre deux âges. Ce n'est plus le cas. 

N'est-ce pas surprenant, puisque près de 90 % d'une classe d'âge obtient le diplôme désormais ?

Le bac conserve un poids important dans l'imaginaire collectif notamment car le symbole reste fort chez les parents et les grands-parents des jeunes. Le bac demeure un marqueur social : il y a ceux qui l'ont et ceux qui ne l'ont pas. Il est possible que cela s'atténue au fil du temps, à partir du moment où une grande partie des jeunes l'ont. Mais il reste encore une partie non négligeable de gens qui n'ont pas le bac voire pas de diplôme, et ceux-là sont de plus en plus stigmatisés.

En 2005, des milliers de lycéens sont descendus dans la rue pour protester contre la réforme du bac de François Fillon qui instaurait davantage de contrôle continu. Notre sondage montre aujourd'hui qu'ils seraient à 79 % en faveur d'une réforme similaire. Est-ce que l'on peut en un déduire une évolution des mentalités ?

J'ai en effet l'impression que l'attitude des lycéens a un peu évolué. En 2005, il y avait une opposition forte des jeunes qui semblaient très attachés au maintien du bac dans sa forme traditionnelle au nom de l'égalité que semblait garantir l'examen national. Aujourd'hui, il y a une évolution des mentalités. Il est difficile de dire pourquoi mais ce qui ressort est que les jeunes veulent une sorte de compromis entre conserver le symbole de l'examen et diminuer le stress dû à l'examen. Il y a l'idée que le contrôle continu est plus juste puisque les jeunes qui ont travaillé toute l'année ne risquent pas d'être éliminés sur un coup de dés.

Les jeunes sont en fait assez favorables
à la méritocratie scolaire.

C'est paradoxal : en 2005, ils se battaient pour garder l'examen au nom de l'égalité, et désormais, ils seraient favorables au contrôle continu au nom de la justice…

En 2005, ils se battaient pour une justice théorique. L'idée que l'examen national soit garant de l'égalité est un leurre car un bac à Louis-le-Grand est différent d'un bac en Seine-Saint-Denis. La preuve : comme les inscriptions dans le supérieur se font avant le bac, c'est davantage l'établissement que le bac qui joue un rôle. En outre, comme les inscriptions sont de plus en plus sélectives, l'établissement risque de plus en plus de compter. D'ailleurs, les lycéens, dans le sondage, souhaiteraient que les mentions aient un poids plus important dans l'orientation dans le supérieur.

Qu'est-ce que cela signifie ?

Les lycéens pensent peut-être aux risques d'échec en premier cycle universitaire pour ceux qui s'engagent dans des filières qui ne correspondent pas à leur niveau scolaire. Plus globalement, une partie des lycéens est plutôt favorable à la méritocratie scolaire, c'est-à-dire à l'idée que le niveau de réussite dans les études doit être pris en compte dans l'orientation, ce qui n'est pas très éloigné d'une idée de sélection par le mérite scolaire, idée pourtant totalement rejetée par les syndicats étudiants.

En fait ce résultat n'est pas totalement une surprise : une enquête menée en 2009 au sein de mon laboratoire (l'enquête dite PISJ, pour "Perception des inégalités et des sentiments de justice"), reposant sur un échantillon représentatif, montrait que 63 % des 18-24 ans (54 % des 25-29 ans, 50 % des 30 ans et plus) étaient d'accord avec la proposition suivante : "En France, les revenus du travail devraient dépendre davantage du niveau de diplôme." L'idée n'est évidemment pas tout à fait la même, mais elle valide bien cependant l'adhésion assez large à la méritocratie par la valeur du diplôme.

Que retenez-vous d'autre de ce sondage sur l'évolution du lycée ?

L'idée d'un lycée modulable, où l'on pourrait choisir ses propres matières selon ses goûts et son orientation personnelle me semble intéressante. Cela va dans le sens d'un enseignement plus personnalisé.

Également, la partie sur l'enseignement critique est une bonne chose. L'enseignement en France est très formel : les lycéens écoutent un prof dans une conception de l'enseignement très traditionnelle. Tant mieux si les lycéens désirent un enseignement plus participatif !

Plus globalement, que dit ce sondage sur la jeunesse d'aujourd'hui ?

C'est plutôt encourageant. Les jeunes se montrent plus pragmatiques, moins idéologiques. Ils sont pour des solutions souples, adaptables. On entend dire que les jeunes sont moins politisés : c'est sans doute vrai, mais si être politisé signifie être contre toutes les réformes, ce n'est pas forcément une bonne façon d'être politisé… Les jeunes – et pas que les jeunes d'ailleurs ! – sont favorables à une grande réforme des partis traditionnels, et ils sont toujours prêts à s'engager pour des causes qui les motivent et les intéressent.

Erwin Canard | Publié le