Philippe Jamet (CGE) : "L'ancrage régional des grandes écoles doit nourrir la réflexion nationale"

Céline Authemayou Publié le
Philippe Jamet (CGE) : "L'ancrage régional des grandes écoles doit nourrir la réflexion nationale"
Philippe Jamet, nouveau président de la CGE. // © 
Le 11 juin 2013, Philippe Jamet était élu président de la Conférence des grandes écoles. Le directeur de l’École des mines de Saint-Étienne entend poursuivre le travail entamé par son prédécesseur Pierre Tapie, tout en y ajoutant "sa tonalité".Ses priorités ? Renforcer le maillage régional de la CGE, tisser des liens avec l’international et travailler à la reconnaissance de la Conférence... L’ère Jamet, marquée par l’entrée en vigueur de la loi ESR, s’annonce ambitieuse.

Lors de votre prise de fonction, le 11 juin dernier, vous avez tenu à préciser que vous vous inscriviez "à 80-90%" dans la lignée de votre prédécesseur, Pierre Tapie. Dans un contexte de profonds changements portés par le projet de loi ESR, quels sont les grands dossiers dont vous héritez ?

Il est clair que la réorganisation de l'enseignement supérieur, impulsée par le projet de loi ESR, est un grand chantier. La CGE a participé aux débats depuis la tenue des assises en région et suit de très près les évolutions du texte, aujourd'hui au Sénat. Et cette action ne s'arrêtera pas avec la loi : le chantier de refonte de l'enseignement supérieur, ouvert il y a sept-huit ans, devrait nous occuper encore quelques années !

Un autre texte législatif nous intéresse particulièrement, c'est celui dédié à la formation professionnelle, qui devrait être prochainement proposé par le gouvernement. Pour nous, le sujet est important car il est du devoir des écoles de proposer des "recharges" de compétences, accessibles en cours de parcours professionnel. Mais, pour développer cette activité, nous avons besoin d'un cadre approprié et, aujourd'hui, le dispositif de formation continue est certainement à revisiter. Tant au niveau de son organisation que de son financement.

La question du financement paraît être cruciale, dans un contexte où les écoles pourraient voir diminuer la part de la taxe d'apprentissage qui leur est librement affectée, comme le préconise le rapport Patriat ?

Actuellement, la taxe d'apprentissage couvre environ 5% des frais de fonctionnement des écoles d'ingénieurs (un peu plus pour les écoles de management). C'est tout de même un des rares budgets libres que les écoles ont à disposition pour financer les investissements. Nous défendons l'idée selon laquelle la finalité de cette taxe est de financer l'enseignement professionnel. Et non uniquement l'apprentissage.

La finalité de la taxe d'apprentissage est de financer l'enseignement professionnel

Ce n'est pas le sens des recommandations du sénateur François Patriat, qui souhaite que la taxe d'apprentissage aille uniquement à l'apprentissage.

C'est un slogan un peu facile... Les filières par apprentissage sont des filières d'excellence à part entière, dont la qualité est portée par les cursus de haut niveau (bac+3, bac+5). Si les établissements d'enseignement supérieur sont privés de cette taxe et qu'on redéfinit l'apprentissage comme un outil d'amortissement social, le risque est de mettre à mal tout le travail qualitatif entrepris par les écoles et les universités depuis vingt ans...

Autre sujet hérité de votre prédécesseur : la reconnaissance des établissements privés. Ce dossier était très cher à Pierre Tapie, allez-vous continuer son travail ?

Oui, car c'est un vrai sujet. Nous avions proposé lors de la campagne présidentielle que soit reconnu un statut d'établissement privé d'intérêt général. On nous a fait comprendre que c'était très intéressant, mais que le texte n'avait pas sa place dans le projet de loi ESR.
L'idée apparaît sous diverses formes – avec notamment un amendement au Sénat – mais je constate que certaines dispositions de la loi en cours de discussion ne vont pas améliorer la situation. Par exemple, les établissements privés qui rejoindront les communautés d'universités ne pourront pas délivrer les diplômes nationaux proposés par ces communautés. Cet ostracisme n'est pas justifié.

Un programme à 80-90% dans la lignée de Pierre Tapie. Évidemment, la question se pose : quid des 10-20% restants ? Quelles actions seront marquées du sceau "Philippe Jamet" ?

Chaque président apporte sa propre tonalité ! Le premier dossier que je souhaite développer, c'est le rayonnement en province de la CGE. Ces dernières années, la Conférence a beaucoup travaillé dans l'urgence et nous avons peut-être manqué de retours envers nos membres... Or, l'une des forces des écoles de province, c'est leur maillage territorial.
Le régional doit pouvoir nourrir les réflexions nationales et l'action nationale a besoin d'être relayée en province. Aujourd'hui, nous n'avons pas de cadre organisationnel clair avec les Conférences de province, il n'existe aucun lien organique. C'est pourtant essentiel dans le contexte actuel, avec notamment la politique de sites.

Le rayonnement en province de la CGE est le premier dossier que je souhaite développer

Concrètement, comment se mettrait en place ce maillage ?

Plusieurs pistes ont été observées. La première consiste tout simplement à avoir des contacts, à travers par exemple un rendez-vous annuel. Mais nous pouvons aller plus loin, avec des réformes structurelles. Il faut regarder ce que font les syndicats professionnels, qui sont organisés en secteurs régionaux, définir un principe de subsidiarité, revoir par exemple le système des cotisations et penser pourquoi pas à une mutualisation des services.

Vous évoquiez par ailleurs, lors de votre prise de fonction, l'importance de créer des alliances avec des instances homologues à la CGE à l'étranger. Pourquoi ?

Au cours des dernières années, le gouvernement a mené une politique vigoureuse pour remembrer l'enseignement supérieur. Cette politique s'est accompagnée parfois de messages quelque peu réducteurs, laissant croire que le système français était très différent des schémas étrangers. Or, l'enseignement supérieur étranger est plus voisin de ce que nous sommes que nous ne l'imaginons. Ce message est difficile à faire passer en France. C'est pourquoi il est indispensable de créer des événements avec des organisations homologues, de mener des réflexions communes sur nos pédagogies... Il faut bien avoir en tête qu'une partie de notre crédibilité nationale passe par l'international.

Maillage régional, ouverture à l'international... Un autre grand chantier vous attend sur le plan national cette fois-ci : c'est la reconnaissance de la CGE. Depuis 2007 et la loi LRU, le dossier reste ouvert.

Cela fait très longtemps qu'on nous promet cette reconnaissance, dans des discussions en tête en tête... Sauf que ça irait mieux en l'écrivant ! À ce jour, nous ne sommes pas mentionnés dans l'article 123.1 du Code de l'éducation.

Vous participez déjà aux débats, faites entendre vos positions. Que changerait cette reconnaissance ?

C'est une première étape pour que la CGE puisse obtenir un statut d'association d'utilité publique. Cela permettrait notamment de renforcer la participation des entreprises au sein de la Conférence. Ce n'est pas un point déterminant, mais ça peut faciliter les choses.

Céline Authemayou | Publié le