Philippe Jamet : "Nous avons tenté de limiter les dégâts pour les grandes écoles"

Cécile Peltier Publié le
Philippe Jamet : "Nous avons tenté de limiter les dégâts pour les grandes écoles"
Philippe Jamet, directeur des Mines de Saint-Étienne et président de la CGE // DR // © 
Conflit autour du diplôme national de master, craintes sur la réforme de la taxe d'apprentissage et la place des écoles dans les Comue... Alors qu'il laisse sa place à Anne-Lucie Wack à la tête de la Conférence des grandes écoles, Philippe Jamet dresse pour EducPros le bilan de ses deux ans de mandat.

Pourquoi ne pas avoir brigué de second mandat ?

J'ai une mission plus étoffée que je ne le pensais à l'Institut Mines Télécom, notamment dans le cadre de la phase 2 de notre stratégie, qui est le regroupement des écoles. Par ailleurs, les deux dernières années ont été extrêmement denses, c'est un mandat fatigant. Enfin, il est très bon que la présidence circule au sein de la Conférence pour renouveler le discours et mobiliser de plus en plus de membres.

Pourquoi avoir soutenu Anne-Lucie Wack, directrice de Montpellier SupAgro ?

Elle a des qualités de leadership incontestables, une très forte légitimité personnelle sur l'enseignement supérieur et la recherche et une reconnaissance au niveau national intéressante pour la CGE puisqu'elle a participé aux Assises nationales de l'ESR et à la Stranes [Stratégie nationale de l'enseignement supérieur]. Elle est identifiée par le ministère et la communauté universitaire au sens large. Enfin, elle représente un bon compromis entre la nécessité d'être ferme et sans concession sur les valeurs de la CGE et le besoin d'être dans le dialogue et la proposition. La CGE est bien dans son rôle quand elle n'est pas dans une crispation.

Ce qui aurait pu être le cas avec quelqu'un d'autre ?

Ce ne sera pas le cas avec elle... Le président de la CGE doit être capable d'écouter les différentes sensibilités. Il y a des communautés d'écoles qui ont des besoins spécifiques, je pense notamment aux écoles de management, avec une sensibilité particulière et des réactions particulières par rapport à ce qui est train de se passer dans l'enseignement supérieur. Un bon président de la CGE, c'est quelqu'un qui écoute ça et en fait une bonne synthèse.

Vous avez attiré l'attention de l'assemblée générale sur des points de vigilance. Quels sont-ils ? 

Sur la taxe d'apprentissage bien sûr, mais aussi sur l'alternance. Nous sommes très préoccupés des évolutions en termes de financement et d'attractivité des filières d'apprentissage dans l'enseignement supérieur.

Il y a aussi la question des stages qui n'est pas réglée. Les écoles sont toujours demandeuses de modalités beaucoup plus flexibles et d'un stage inscrit dans un cursus, et non pas d'un statut salarial comme le laisse à penser la loi. Concernant la césure, une circulaire est en préparation et il semblerait que le ministère ne soit pas contre une césure en entreprise d'un an au niveau master, avec des conditions telles que la césure ne pouvant être la dernière année d'études....

J'ai évoqué également les regroupements de sites. À l'occasion du colloque de la Cdefi, certains établissements privés se sont plaints d'être marginalisés au sein des Comue. C'est quelque chose que nous dénonçons depuis un certain temps, en disant qu'elles doivent regrouper tout ce qui est excellent et pas seulement les statuts particuliers.

Il existe aussi un risque potentiel de régionalisation de l'enseignement supérieur suite à l'introduction au Sénat d'un amendement stipulant que les régions pourront agir sur la carte des formations. C'est une dérive qu'on a observée hier sur l'apprentissage et qu'on peut voir demain sur les schémas d'orientation de l'ESR. Que les écoles soient fortement implantées en région, qu'elles soient des acteurs du développement économique des territoires, très bien, mais qu'on oriente leur stratégie en fonction de cet objectif prioritaire n'est pas possible, ne serait-ce que parce qu'elles recrutent essentiellement en dehors du territoire régional.

Enfin, nous demandons à ce que tous les établissements aient la même légitimité pour délivrer des diplômes, l'État restant libre, in fine, de choisir ceux qui ont le droit. Aujourd'hui, on interdit à certains établissements de solliciter la délivrance de diplômes. C'est un problème général qu'on a voulu soulever à travers un cas particulier : le DNM. Et qui a motivé notre recours auprès du Conseil d'État

Anne-Lucie Wack représente un bon compromis entre la nécessité d'être ferme et sans concession sur les valeurs de la CGE et le besoin d'être dans le dialogue et la proposition.

Pourquoi avoir décidé de saisir le Conseil d'État ? 

Nous nous sommes contentés de suivre la voie normale : nous avions déposé un recours auprès du ministère en annulation d'arrêts ministériels illégaux. Face à l'absence de réponse à nos deux demandes, nous étions autorisés à saisir l'autorité judiciaire supérieure, qui ici est le Conseil d'État. Nous ne sommes pas du tout sortis du bois brusquement, cela fait un an que ça dure et on en a parlé plusieurs fois à la Dgesip. Alors, lorsque la CPU dit qu'il n'y a pas eu de concertation...

Quelle est la prochaine étape ?

Nous allons attendre la décision du Conseil d'État qui, je pense, est l'affaire d'un an. En fonction de la décision, nous aviserons. S'il tranche tout ou partie en notre faveur, nous verrons quelle conséquence en tirera l'administration. Si ce n'est pas le cas, nous réfléchirons à d'autres saisines au niveau européen.

Saisir les tribunaux pourrait être une solution sur d'autres dossiers chauds ?

La CGE n'a jamais fait de la saisine du Conseil d'État une question de conflit ou d'épreuve de force. Ce type de démarche doit être utilisé avec parcimonie et ne peut pas devenir un outil systématique sur tous les sujets. D'ailleurs, la plupart des thématiques sur lesquelles la CGE s'implique ne sont pas des sujets d'ordre réglementaire, mais davantage d'ordre stratégique. 

La CGE n'a jamais fait de la saisine du Conseil d'État une question de conflit ou d'épreuve de force. 

Estimez-vous que vous avez échoué sur certains dossiers ?

Dans une perspective de court terme, il est vrai que sur beaucoup de sujets – la loi stage, la formation professionnelle, la réforme de la taxe d'apprentissage, les regroupements de sites – nous avons obtenu des choses à la marge. Pendant deux ans, nous avons tenté de limiter les dégâts pour les grandes écoles. En revanche, nous nous sommes beaucoup investis pour défendre notre point de vue, pour faire des contre-propositions, nous sommes davantage identifiés comme interlocuteurs, et sur le long terme, c'est plutôt une bonne chose. Nous avons mis le pied dans la porte. C'est dommage de le mettre lorsqu'elle est en train de se refermer, mais c'est toujours ça de pris...

Quel est le premier chantier de la nouvelle équipe selon vous ?

Le chantier urgent, c'est l'élaboration de nos propositions pour la présidentielle. Pierre Tapie et son équipe avaient fait un travail magnifique en 2012, avec des propositions très innovantes. L'enseignement supérieur a été complètement à l'écart des propositions des candidats, donc beaucoup de problèmes sont restés en suspens et il devient vraiment urgent de les aborder. C'est dans cet esprit que la Conférence va faire des propositions de rupture.

De quel type ? 

Sur l'offre d'enseignement supérieur en elle-même. Il y a beaucoup trop d'échec. Envoie-t-on trop d'étudiants dans le supérieur ou est-ce que l'offre n'est pas suffisamment adaptée à la diversité des profils ? L'une de nos approches est de dire qu'il faut augmenter l'offre de cycles courts dans le supérieur, pour la bonne raison que la pyramide des diplômes professionnels en France est inversée : on en délivre plus au niveau bac +5 qu'à bac +3.

Notre idée serait de dire : "Commençons par installer dans l'esprit de tout le monde que l'excellence ce n'est pas seulement d'avoir le diplôme le plus élevé possible en formation initiale, mais d'avoir la garantie d'un emploi quel que soit son niveau de sortie. Et plus tard, de pouvoir reprendre ses études avec une formation tout au long de la vie." Le projet éducatif de la nation doit être beaucoup plus riche, et beaucoup plus à l'écoute de la diversité des besoins et de toutes les formes d'intelligence.

Cécile Peltier | Publié le