Philippe Nemo, normalien, auteur du "Chaos pédagogique" : «Les universités sont devenues de grandes machines bureaucratiques totalement irresponsables»

Propos recueillis par Sophie de Tarlé Publié le
Philippe Nemo, normalien, auteur du "Chaos pédagogique" : «Les universités sont devenues de grandes machines bureaucratiques totalement irresponsables»
24045-nemo-philippe-2006-original.jpg // © 
Normalien, professeur à l’ESCP-EAP, Philippe Nemo a apporté sa pierre au débat sur l’école en publiant Pourquoi ont-ils tué Jules Ferry? (Grasset, 1991) et Le chaos pédagogique (Albin Michel, 1993). Richard Descoings signalait fin mars 2009 sur Facebook avoir lu ce dernier ouvrage, qu'il qualifiait « d'essai polémique, engagé et éclairant (…) pour comprendre la violence des conflits pédagogiques et politiques sur le lycée ».

Avez-vous été surpris qu’un responsable de l’enseignement supérieur comme Richard Descoings vous cite ainsi ?
La vérité finit toujours par s'imposer. Dieu sait si ce livre et les nombreux autres faisant le même diagnostic ont été étouffés, niés, si l'on a tenté de disqualifier leurs auteurs en leur faisant la réputation d'être de droite... Mais peut-être le pays, "sonné" par une propagande ininterrompue depuis quarante ans sur ces questions, commence-t-il à se réveiller. Voyez le film "La journée de la jupe"...

Dans quelle mesure les thèses que vous développiez en 1993 sont-elles toujours d'actualité (sachant qu'il y a eu depuis une énorme remise en cause des IUFM, des méthodes pédagogiques préconisées en sciences de l'éducation....)?
Mes thèses sont toujours d'actualité, puisqu'il y a eu zéro réforme depuis 1993. Toutes les options absurdes prises entre 1959 et 1976 ont été intégralement conservées, ainsi que les pédagogies nouvelles, et par conséquent la machine folle a continué à produire ses effets, sûrement et irréversiblement. Vous dites qu'il y a eu une "remise en cause des IUFM". Sans aucune conséquence, puisque le gouvernement vient d'annoncer le retrait pur et simple de sa réforme, comme d'habitude... De toute façon, l'intégration des IUFM dans des universités massifiées n'était pas une solution.

Pensez-vous qu'il y ait aussi un "chaos pédagogique" dans l'enseignement supérieur ?
Oui, pour la bonne raison que tout le monde se fiche de ce qui se passe ou ne se passe pas dans les universités. Elles sont devenues de grandes machines bureaucratiques totalement irresponsables qui ne servent qu'à payer des salaires de leurs enseignants. Personne n'y a ni le pouvoir, ni par conséquent le souci, d'assumer une responsabilité pédagogique quelconque, de fixer des programmes cohérents, de vérifier que les étudiants ont bien acquis les connaissances de chaque niveau avant de passer au suivant, enfin de s'assurer que les formations proposées correspondent à des besoins réels quelconques de la société en enseignants, chercheurs, experts, professionnels.

Cette non gouvernance de l'université est celle du système scolaire public tout entier, dont la situation n'est pas grave, mais désespérée. Nous sommes en train de fabriquer des générations entières de crétins illettrés à qui l'on n'a rien appris de solide, y compris dans les sciences de base.

Comme cela dure depuis maintenant quelque quarante ans qu'on a mis en place l'école unique maçonnico-socialisto-communiste, la France se transforme peu à peu, intellectuellement parlant, en un pays du tiers-monde dont se moquent nos voisins civilisés et qui occupe les dernières places des palmarès internationaux. L'"Education nationale" telle que nous l'avons laissée devenir ne peut pas être sauvée parce qu'il est politiquement incorrect d'y valoriser la science, la rigueur, la qualité intellectuelle et la compétition, donc de continuer à y poursuivre l'idéal de l'instruction et des Lumières. Cela durera aussi longtemps qu'aucun homme politique ne voudra assumer d'être politiquement incorrect.

J'ajoute que cette situation est largement irréversible parce que les corps enseignants publics, recrutés uniquement, dans les décennies récentes, sur des critères politiques et syndicaux, sont devenus extrêmement médiocres (y compris les inspecteurs de l'Education nationale...). Par conséquent, dès lors que le principe général est que le monde enseignant s'auto-recrute, la situation ne peut que s'aggraver encore dans les années à venir.

Pour moi, le salut, s'il vient jamais, ne viendra que du lancement d'écoles alternatives, et cela sur une base européenne.

Propos recueillis par Sophie de Tarlé | Publié le