Philippe-Pierre Cabourdin (Caen) : "Il faut garantir le choix d'orientation n°1 des bacheliers"

Natacha Lefauconnier Publié le
Philippe-Pierre Cabourdin (Caen)  : "Il faut garantir le choix d'orientation n°1 des bacheliers"
L'université de Caen a annoncé en octobre des capacités d'accueil limitées dans cinq filières "en tension" pour la rentrée 2016. // © 
Philippe-Pierre Cabourdin a quitté l’académie de Reims pour rejoindre celle de Caen en septembre 2015. La priorité du recteur en matière d’orientation postbac : mieux accompagner les élèves et leurs familles pour favoriser la poursuite d’études supérieures.

Philippe Pierre Cabourdin recteurVous arrivez à la tête de l'académie de Caen au moment de la réforme territoriale. Comment voyez-vous ce rôle de "super recteur" de la région Normandie ?

Ma mission sera de porter la parole de l'Éducation nationale devant les interlocuteurs uniques de la région, comme le préfet ou le président de région. Mais cette parole reste représentée par deux recteurs : Nicole Ménager, rectrice de l'académie de Rouen, et moi. 

Lors du prochain comité de recteurs, nous envisagerons de mutualiser certains services dans les deux académies. Attention, une mutualisation ne signifie pas obligatoirement qu'il n'y aura plus qu'un seul service dans un seul endroit pour les deux académies. L'objectif est de faire en sorte que différentes implantations travaillent en complémentarité et en harmonie.

L'université de Caen a annoncé en octobre des capacités d'accueil limitées dans cinq filières "en tension" pour la rentrée 2016. Comment résorber ces engorgements ?

La limitation des inscriptions dans une filière est la conséquence de deux choses. D'une part, le souhait des étudiants, qui n'est pas toujours fondé sur une bonne connaissance des filières. Il va nous falloir agir en amont du choix des élèves, dans le cadre du continuum bac-3/bac+3. Il faut mieux expliquer aux lycéens les métiers, les formations qui y mènent, et quels sont les prérequis nécessaires. Sans oublier de leur parler des débouchés, chiffres à l'appui. Il ne suffit pas de former les jeunes, encore faut-il qu'en aval, ils puissent s'insérer sur le marché du travail.

D'autre part, le contingentement est lié aux contraintes de l'université, qui se doit d'assurer un haut niveau de qualité de ses enseignements et ne peut pas étendre ses capacités. C'est particulièrement vrai pour les Staps, qui nécessitent des installations sportives sécurisées.

Il faut mieux expliquer aux lycéens les métiers, les formations qui y mènent, et quels sont les prérequis nécessaires.

D'où le recours au tirage au sort... Que dire à un élève qui ne peut pas aller dans la filière de son choix ?

Si le tirage au sort est la solution la moins inégalitaire, elle n'est pas intelligente. Nous allons suivre les directives du ministère pour ces filières contingentées, qui sont de garantir le choix n°1 de chaque bachelier. Pour cela, le message à leur faire passer est qu'ils doivent mettre en premier vœu la filière qu'ils veulent faire en priorité dans la procédure Admission-postbac (APB), y compris s'il s'agit d'une licence.

Et pour les bacheliers qui se sont trompés de voie ?

Des conventions ont été signées entre les lycées accueillant des BTS et des CPGE et l'université. On travaille sur des passerelles à double sens entre les licences et ces filières sélectives. S'il est déjà assez fréquent d'accueillir en licence des élèves venant de STS ou de classes préparatoires, le contraire est actuellement plus difficile.

De façon plus large, comment agir pour mieux informer les élèves ?

Certains jeunes se mettent des freins plus importants que ceux qui existent en réalité. Notre boulot, c'est de leur dire "Si, c'est possible !" et de mobiliser toutes les ressources nécessaires. Je ne suis pas persuadé qu'un élève choisit seul son orientation : il est guidé par son environnement familial et amical. Un enjeu important est de réussir à convaincre les familles inquiètes des conditions dans lesquelles pourrait se faire la poursuite d'études.

Pour cela, il faut notamment leur ouvrir les portes des universités. Il faut que les familles qui n'habitent pas près d'une université puissent voir que leurs enfants sont accueillis dans de bonnes conditions, y compris pour ce qui est de la restauration ou du logement. Pour certaines familles, se déplacer 80 km plus loin est un frein à la poursuite d'études supérieures.

J'avais déjà travaillé en ce sens dans l'académie de Reims [en tant que recteur, de 2011 à 2015]. Sauf que là-bas, l'académie s'étend sur 450 km du nord au sud, c'était encore plus compliqué. Nous avions aussi fait le constat qu'il n'y a pas de barrières financières pour accéder au supérieur : il existe de nombreuses aides aux familles. Simplement, nous devons donner davantage d'informations aux familles sur ces dispositifs.

Il faut ouvrir les portes des universités aux familles.

Parmi les sources d'information, il y a les CIO. Or, on parle de la fermeture de trois d'entre eux dans l'académie de Caen...

Seul le département de l'Orne a annoncé son désengagement financier de l'un des CIO (centres d'information et d'orientation), pour le reste, rien n'est décidé. Et surtout, la réglementation exige qu'il y ait au moins un CIO d'État par département. Or, nous avons pour les trois départements de Basse-Normandie [Calvados, Orne et Manche] 11 CIO d'État et trois CIO régionaux. 

Notre objectif est de maintenir la mission des conseillers d'orientation-psychologues (COP), qu'ils suivent les jeunes là où ils sont, pas forcément dans un centre dédié. Ce peut être une permanence dans une mairie, dans les maisons des services publics...

Il ne faut pas perdre de vue que la fréquentation des CIO est en baisse. Il y a toujours des visites de classes, mais les visites isolées de familles diminuent : elles s'informent en ligne. Rappelons que les COP ont aussi un rôle proactif au sein des établissements, ils peuvent repérer les élèves en difficulté qui ont besoin d'accompagnement.

Autre incontournable de l'orientation postbac : APB. Que faire pour que les lycéens se familiarisent avec la procédure ?

En tant que parent, je reconnais qu'il faut faire un gros effort pour comprendre comment ça marche ! C'est forcément complexe : il s'agit d'une procédure – et c'est l'avantage – permettant de s'inscrire dans presque toutes les formations de l'académie. Ce qui est certain, c'est qu'il faut démarrer plus tôt qu'en terminale, au moment où les lycéens font leurs choix.

On en parle déjà un peu au collège avec le Parcours Avenir. Il faut poursuivre la sensibilisation au lycée, le plus en amont possible. Et sans perdre de vue qu'un jeune est en construction : l'orientation n'a pas le même écho pour lui que pour nous. Si on parle à un gamin de seconde de ce qu'il veut faire après le bac, il va répondre qu'il va déjà voir ce qu'il fait en première... Tout ça lui paraît bien loin. Il doit y avoir un travail d'accompagnement approfondi. Pour cela, il faut faire confiance aux équipes pédagogiques.

Natacha Lefauconnier | Publié le