Pierre Mathiot : "Il faut créer une fondation nationale des Sciences po en Région"

Camille Stromboni Publié le
Pierre Mathiot : "Il faut créer une fondation nationale des Sciences po en Région"
Pierre Mathiot - Sciences po Lille // ©  Camille Stromboni
Directeur de Sciences po Lille depuis 2007, Pierre Mathiot quitte ses fonctions à l'été 2015. Le médiatique universitaire, qui dénonce depuis plusieurs années le manque de moyens de son établissement, espère qu'un nouveau cap va être franchi par les instituts d'études politiques, avec le développement d'un réseau plus intégré.

Après une décennie à la tête de Sciences po Lille, quelles sont les principales réussites de l’institut que vous retiendrez ? Vos regrets ?

Ce sont les succès d’une équipe ! Notre programme de démocratisation, le passage de trois à cinq années d’études, les performances sur l’international, la mise sur les rails du déménagement… Et nous avons surtout réussi à nous développer en dépit de moyens très réduits.

J’ai bien sûr le regret de ne pas avoir pu tout mettre en route. Il a fallu retarder des chantiers pourtant prioritaires, comme celui du système d’information, ou de l’insertion professionnelle, sur laquelle nous devons aller plus loin. Nous aurions aussi dû déménager plus vite.

Défendre le budget de l’institut a été votre cheval de bataille. En cette période de restrictions budgétaires, est-ce un combat perdu d’avance ?

L’État n’a plus d’argent ni d’idées pour l’enseignement supérieur et la recherche. Je m’interroge profondément sur le sens qu’aujourd’hui, le gouvernement souhaite donner aux politiques publiques dans notre secteur.

Nous devrions être mieux dotés. Nous le méritons doublement car même avec notre sous-dotation, nous sommes performants. Il est ironique de constater que la reconnaissance de l’État s’exprime à notre égard en nous prenant 18% de notre fonds de roulement. S’il voulait nous faire regretter de ne pas avoir géré n’importe comment, c’est efficace. Mais on peut citer Gramsci et rappeler qu’à côté du pessimisme de la raison, il y a l’optimisme de la volonté !

Je n’ai jamais renoncé à expliquer que cette situation n’est pas normale et je sais déjà que mon successeur est sur la même ligne. On continuera à se battre, même si le réalisme des politiques publiques nous amène à considérer que ce sera très compliqué.

L’État n’a plus d’argent ni d’idées pour l’enseignement supérieur et la recherche.

Le paysage des écoles et des universités est en cours de recomposition autour des regroupements institués par la loi "Fioraso". Quelle place pour l’IEP lillois dans ce jeu d’alliance ?

Pour l’instant, comme l’ensemble des écoles lilloises, nous sommes en stand-by s’agissant du type d’association que nous allons avoir avec la Comue (Communauté d’universités et établissements, qui regroupe les 6 universités, La Catho, Centrale, les Mines de Douai, et plusieurs organismes de recherche).

Va-t-on être associé et comment ? Le débat n’a toujours pas eu lieu. Nous attendons qu’il y ait une gouvernance de la Comue, pour connaître le rôle de cette dernière sur le territoire.

Sciences po - Concours commun des six IEP à Lille en juin 2012

Vous avez constitué un réseau avec 6 autres IEP (Aix, Lyon, Rennes, Strasbourg, Toulouse, Saint-Germain-en-Laye) autour d’un concours commun d’entrée en première année. Quel avenir pour ce regroupement à l'échelle nationale ?

Ce réseau est un vrai défi. Aujourd'hui, c’est un concours, un programme de démocratisation, mais aussi de nombreuses relations entre les directions et les services. L’enjeu désormais est de savoir comment aller plus loin et que construire tous ensemble.

Nous sommes à la croisée des chemins, après avoir réussi cette première étape. Le risque à ce stade est de stagner et de n'être au final qu'une super banque d’épreuves. Il faut inventer autre chose, créer une véritable fondation nationale des Sciences po en Région, avec probablement une intégration plus forte. En allant pourquoi pas vers un statut comparable aux Mines-Télécom ? Nous en parlons entre directeurs et futurs directeurs, le sujet est à l'agenda.

Mais nous restons tous bien conscients du double ancrage nécessaire de chaque Sciences po : dans le réseau national mais aussi sur son territoire.

Lancé à Lille, le programme "égalité des chances" IEPEI est désormais porté par l'ensemble des instituts du concours commun. A-t-il atteint ses limites pour démocratiser vos écoles, dont le taux de boursiers s’est peu à peu stabilisé ?

C’est d’abord une réussite. Pas seulement parce que nous avons augmenté notre taux de boursiers, mais surtout parce que les IEP préparent des milliers de jeunes au passage dans l’enseignement supérieur, bien au-delà de nous. En l’état actuel, le programme ne permet plus d’augmenter substantiellement la part de boursiers chez nous. Mais dans le réseau, nous sommes à un taux de 34% de boursiers, ce qui est très correct [35% dans l’enseignement supérieur].

L’objectif de démocratisation du recrutement demeure néanmoins. Il nous faut toucher encore plus de monde avec ce dispositif, qui accompagne actuellement 3.000 élèves par an du collège au lycée. L'autre levier, ce sont les épreuves d'admission. Nous devons mener une vraie réflexion à ce sujet.

Nous arrivons à la 8e édition du concours commun. Il marche bien, c’est l’un des moins injustes qui existe, mais ce n’est jamais totalement satisfaisant. Par exemple, sur l’épreuve de Questions contemporaines : cela devient difficile de trouver des thèmes génériques, mais surtout elle a été récupérée par les prépas, avec un effet d’homogénéisation des copies.

Le risque à ce stade [pour le réseau des IEP] est de stagner et de n'être au final qu'une super banque d'épreuves.

La crise à Sciences po Aix, qui a pu entacher l’image des IEP avec l’affaire des diplômes douteux, n'illustre-t-elle pas aussi les risques d'appartenir à un réseau ?

Bien sûr, cela montre qu’on peut être affaibli par la défaillance de l’un des membres. Mais cela a surtout démontré notre force ensemble. La menace d’exclure Aix a eu des effets, nous avons une force prescriptive.

C’est très largement parce que nous nous sommes mobilisés que l’université d’Aix-Marseille et la Dgesip (Direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle) ont réagi. 

Quid du lien avec Sciences po Paris ?

Nous avons signé en janvier un accord sur l’utilisation partagée de la marque, c’est une avancée. Pour le reste, il est bien clair que la stratégie de Sciences po se développe sans nous. La nôtre se déploie donc de son côté.

Et après ?
Pierre Mathiot va reprendre son activité de professeur de science politique à Sciences po Lille. "En accord avec le nouveau directeur, je vais être coordinateur du Collégium des grandes écoles de Lille, qui vient d’être mis en place. Et je vais rester bien sûr investi dans le programme ‘égalité des chances’", explique-t-il.
Aller plus loin
- La biographie EducPros de Pierre Mathiot
- La biographie EducPros de Benoît Lengaigne, directeur de Sciences po Lille à compter du 1er septembre 2015
Camille Stromboni | Publié le