Pour Deloitte Digital, "il faut rendre la filière EdTech plus lisible"

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Pour Deloitte Digital, "il faut rendre la filière EdTech plus lisible"
Le profil type de l'entrepreneur EdTech : un homme diplômé d'école de commerce. // ©  kadenze
Une filière foisonnante, mais encore sous-dimensionnée, au vu de la taille du marché de l'e-éducation en France : tels sont les enseignements de l'analyse des données recueillies par l'Observatoire de la EdTech, menée par Deloitte Digital, en collaboration avec la Caisse des dépôts. Pour Caroline Letellier, manager au sein de l'entreprise de conseil, l'une des explications tient à l'éloignement des fondateurs de start-up de leur cible, le monde enseignant.

Caroline Letellier - DeloitteQuelles sont les caractéristiques de la filière EdTech française telles que vous les avez observées ?

Son principal point fort, c'est le foisonnement du secteur. 242 entrepreneurs se déclarent start-upers de la filière EdTech et œuvrent pour l'innovation technologique dans l'éducation et dans la pédagogie, en formation initiale et continue. Autre atout : cette filière est capable de mobiliser des compétences très diverses : la maîtrise des réseaux sociaux conjuguée à la gestion de plates-formes de distribution par exemple, ainsi que des compétences techniques et pointues en matière d'intelligence artificielle et de réalité augmentée.

Nous assistons à un mouvement de structuration de la filière : le montant des levées de fonds n'a jamais été aussi important qu'en cette première moitié d'année 2017. Ce "souffle" n'existait pas il y a trois ans. La création d'un fonds d'investissement français dédié à l'EdTech, Educapital, l'illustre bien.

Parallèlement, les acteurs institutionnels, comme la Caisse des Dépôts ou le ministère, se mobilisent, donnent des repères et une vision, animent la filière, ce qui permet de structurer les initiatives : des challenges créatifs (hackathons) organisés par Canopé, les investissements d'avenir (e-fran), les Trophées de l'innovation organisés par Ed21...

Enfin les acteurs de l'EdTech ont réussi à mixer les modèles économiques, à destination des professionnels ou du grand public, adressant plusieurs offres et plusieurs publics, plusieurs technologies. Cette polyvalence, cette richesse contribuent au foisonnement de la filière.

242 start-up, est-ce un chiffre assez faible ?

Si on le compare à la FinTech par exemple, le secteur n'a en effet pas la même maturité... Aujourd'hui, il y a un vrai besoin d'acculturation des professionnels de l'éducation à cet écosystème, plus ils connaîtront et adopteront l'offre EdTech, plus la filière pourra se développer. Quelles formes de partenariats et de collaboration cela peut-il prendre ? La question reste posée.

Il y a aujourd'hui un vrai besoin d'acculturation des professionnels de l'éducation à cet écosystème.

Quelles sont les faiblesses de ce secteur et comment expliquer sa petite taille ?

Les entreprises de la EdTech peinent vraiment à dépasser les 500.000 euros de chiffre d'affaires. D'après nos observations, seulement 5 % d'entre elles dépassent un chiffre d'affaires de ce montant-là. Un chiffre est particulièrement emblématique : les trois quarts des start-up créées depuis 2014 comptent seulement 5 employés ou moins.

Le rythme des levées de fonds du secteur n'est pas suffisant : la majorité des entreprises peinent à lever des sommes importantes, nécessaires pour changer d'échelle. En outre, nous observons dans notre étude une stagnation des offres technologiques à forte intensité de recherche et développement, telle que l'intelligence artificielle ou la réalité augmentée, qui progressent moins rapidement que prévu.

La rencontre du monde de l'éducation et de l'EdTech n'est pas simple. Côté éducation, on a parfois des portages institutionnels qui sont complexes à appréhender pour un entrepreneur, de l'autre, la filière EdTech est très hétérogène avec des acteurs multiples et variés (prescripteurs, payeurs, publics, privés etc.).

L'observatoire de l'EdTech française vise d'ailleurs à rendre plus lisible son offre pour ses bénéficiaires potentiels. La clé est peut-être de créer du lien entre les entrepreneurs et les acteurs de l'enseignement, voire les acteurs de l'entreprise. Il s'agit pourtant d'un marché potentiellement très important : la formation professionnelle représente 30 milliards d'euros et les dépenses d'éducation avoisinent les 150 milliards d'euros.

Les entrepreneurs du secteur sont ainsi assez éloignés de leurs cibles (les enseignants notamment), majoritairement masculins et issus d'écoles de commerce.

Quel est le profil type de l'entrepreneur de l'EdTech ?

Les données que nous avons collectées en observant les profils LinkedIn de ces entrepreneurs sont parlantes : les entrepreneurs du secteur, majoritairement masculins et issus d'écoles de commerce, sont assez éloignés de leurs cibles – des enseignants notamment. Ils sont souvent d'abord inspirés par le côté vocationnel et noble de l'éducation et la formation et gagneraient peut-être à travailler davantage autour de la pédagogie, mais cela nécessite une certaine légitimité dans ce domaine.

Pour les parents comme pour les enseignants, l'idée que la technologie peut améliorer les apprentissages est loin d'être une évidence. N'est-ce pas une difficulté ?

Certes, le grand public n'est pas toujours convaincu du lien entre efficacité pédagogique et numérique. Nous avons encore besoin d'observer ce que l'innovation technologique peut apporter à l'enseignement, à travers la recherche et la science. La formation des enseignants et leur acculturation est tout autant indispensable.

EducPros est partenaire de l'Observatoire des EdTech, une plate-forme conçue sur un mode collaboratif, par et pour l'écosystème numérique de l'éducation et de la formation. Il a pour objectif de valoriser la scène EdTech française et de rendre compte de ses grandes tendances.
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