René Chelle (AB 7) : "Il y a méprise à conférer à la recherche publique une fonction économique"

Propos recueillis par Frédéric Dessort Publié le
René Chelle, patron d’AB 7, a créé plusieurs entreprises innovantes en biotechnologies et lié de nombreux partenariats avec des laboratoires publics. Partage d’expérience et point de vue critique sur la politique actuelle du transfert de technologies. Un entretien Interface.

René Chelle, président d'AB 7 // DRCela fait plus de quarante ans que vous avez établi des relations avec des laboratoires universitaires. Comment cela a-t-il commencé ?

Quelques années après ma formation d'ingénieur en génie chimique, en 1971, je crée Sétric, ma première entreprise. J'ai alors l'idée de mettre au point une biotech­nologie de traitement bactérien de fosses septiques. Pour cela, j'ai besoin de valider certaines propriétés : je vais à la rencontre du patron du laboratoire de génie biochimique à l'INSA de Toulouse. C'est le début d'un travail fructueux qui s'est poursuivi à travers des liens avec des chercheurs d'autres labos de l'université ­Toulouse 3-Paul-Sabatier. Une démarche que je continue de mener.

Parmi les produits créés grâce à la contribution de la recherche publique : des aquariums domestiques bénéficiant d'une technique d'autonettoyage bactérien, le levurage des raisins vendangés... et aujourd'hui, dans le cadre d'AB7, des colliers antiparasitaires pour chiens et chats.

Cette collaboration avec la recherche académique a consisté et consiste encore, très classique­ment, en des prestations de recherche de laboratoires répondant à des demandes de notre entreprise. Mais, aujourd'hui, les instances ministérielles poussent dans l'autre sens : c'est – aussi – aux chercheurs d'aller vers l'entreprise et de déposer des brevets avant de les proposer au monde économique.

Est-ce une bonne chose ?

J'estime qu'il y a méprise à conférer à la recherche publique une fonction économique. On voit maintenant des laboratoires auxquels on demande d'augmenter leur "chiffre d'affaires" avec les entreprises, leurs revenus sur brevets, c'est exagéré... De surcroît, on peut observer, au travers des Investissements d'Avenir, l'émergence de structures publiques [NDRL : SATT, IRT, labos PME...] qui font de la R&D à un stade préindustriel, proche du marché. Composées d'ingénieurs, elles sont souvent animées par des universitaires qui n'ont donc pas l'expérience du développement de produits et de procédés et, plus généralement, de l'entreprise. C'est une erreur, à mon sens.

Ce sont les PME et PMI qui devraient être sollicitées pour organiser et diriger ce type de structures... On renverse le problème : ce sont les entreprises qu'il faut inciter à se rapprocher des laboratoires publics, et non l'inverse ! D'ailleurs, ce chemin est semé d'embûches : aujourd'hui, pour mener une prestation pour le compte d'industriels, le laboratoire est engoncé dans une gangue administrative et doit apporter des justifications économiques excessives à ses ­décisions. Il y a trente ou quarante ans, les ­collaborations étaient plus faciles. On pouvait rencontrer directement le directeur du labo, qui avait les mains libres. En outre, le message qui incite les chercheurs à devenir des chefs d'entreprise peut s'avérer dangereux.

Ce sont les entreprises qu'il faut inciter à se rapprocher des laboratoires publics, et non l'inverse!

Pourquoi ?

Parce que se lancer sans expérience dans le monde de l'entreprise, c'est vraiment prendre le risque d'échouer !

Si un chercheur souhaitait quand même créer une entreprise, que lui conseil­leriez-vous ?

Je lui conseillerais de ne pas foncer tête baissée sur le développement de sa technologie. Dès le départ, il doit viser l'autonomie financière de sa start-up en diversifiant ses activités. Sinon, il risque de voir son capital dilué avec l'arrivée d'investisseurs. S'adosser à une entreprise industrielle qui a l'habi­tude de l'innovation peut être aussi une bonne solution. C'est, d'une certaine manière, ce que nous faisons avec les étudiants qui viennent chez nous en stage ou faire leur doctorat. Pas moins de quatre thésards passés chez nous ont créé leur entreprise... Pour un universitaire, c'est peut-être le meilleur apprentissage de ­l'innovation. Plus globale­ment, j'ai un message : créez des entreprises qui travaillent avec la recherche ­appliquée et vous développerez les deux !


Interface, la lettre des relations écoles-universités-entreprises

Comment optimiser sa récolte de la taxe d’apprentissage  ? Comment améliorer l’insertion professionnelle de ses jeunes diplômés ? De quelle manière établir des partenariats avec des PME ? La réponse est dans Interface, la nouvelle lettre bimensuelle qui facilite les relations entre l’enseignement supérieur et le monde économique.

Lancée par l’Etudiant-EducPros et l’Entreprise, Interface s’adresse aux professionnels des relations écoles-universités-entreprises (directeurs d’établissements, responsables des relations entreprises, BAIP, mais aussi campus managers, recruteurs, RH…).

Dans chaque numéro, huit pages de conseils, d’analyses et de bonnes pratiques mais aussi toute l’actualité du secteur, les manifestations et les nominations qui comptent.

Interface est disponible sur abonnement


Propos recueillis par Frédéric Dessort | Publié le