Thierry Curiale (Orange) : "Nous souhaitons lancer une plate-forme de MOOC francophone d’ici fin 2013"

Sophie Blitman Publié le
Alors que les Etats-Unis ont sans conteste une longueur d'avance en matière de MOOC, des initiatives ponctuelles voit le jour en France depuis l'automne 2012. Orange souhaite fédérer universités et grandes écoles sur une plate-forme francophone qui pourrait voir le jour d'ici la fin de l'année 2013. Directeur marketing, e-education et MOOC au sein du groupe, Thierry Curiale dévoile la stratégie de l'opérateur.

Thierry Curiale, directeur marketing, e-education et MOOC au sein du groupe Orange // DROrange travaille sur la création d’une plate-forme de MOOC (Massive open online courses) francophones. Pourquoi une telle initiative ?

Si les diplômes de formation initiale conservent une valeur importante, la logique est désormais celle de la formation tout au long de la vie : les besoins de sessions plus courtes, permettant d’acquérir des savoirs, savoir-faire et savoir-être plus opérationnels, vont croissant. Les MOOC sont un instrument de développement de ces compétences. Certifiées, elles constitueront à terme des indicateurs supplémentaires utiles aux recruteurs.
Or, pour l’instant, les pure-players américains, comme Coursera ou edX, n’ont pas encore investi la francophonie, alors que l’on comptera 700 millions de francophones en 2050, en raison notamment de l’explosion démographique en Afrique. Dans ce contexte, Orange possède un avantage compétitif du fait de sa présence en Afrique francophone. Tous ces éléments plaident en faveur de la création d’une plate-forme de MOOC francophones populaires : nous voulons ainsi contribuer à l’adoption massive des technologies de l’information et de la communication dans l’éducation.

A quel stade en est le projet ?

Nous avons approché des partenaires éditoriaux d’excellence, universités et grandes écoles françaises et d’Afrique francophone, avec l’objectif de lancer au dernier trimestre 2013 une première offre de quelques MOOC. Nous élargirons ensuite le catalogue au cours de l’année 2014. Le cœur de cible est la francophonie mais nous n'excluons pas, si certains établissements le proposent, d'intégrer à la plate-forme des MOOC en anglais, voire en d'autres langues.

Comment envisagez-vous la répartition des rôles entre votre entreprise et les établissements d’enseignement supérieur ?

L’idée est qu’Orange soit le fournisseur des briques logicielles, mais joue aussi le rôle d’une "MOOC agency" (comme il existe des web agencies) auprès des établissements qui voudraient créer l'un de ces outils mais n’auraient pas les compétences pour le faire : pour cela, nous passerions des contrats avec des acteurs de l’ingénierie pédagogique et ferions le lien entre les deux.
En effet, nous n’allons pas changer de métier et nous improviser créateur de contenus pédagogiques : ceux-ci seront apportés par les établissements, mais nous souhaitons être coanimateur de l’écosystème des MOOC. L’esprit du projet est de travailler dans une logique d’innovation ouverte avec les pionniers dans ce domaine afin de créer ensemble une plate-forme utile, accessible et désirable.

Nous voulons contribuer à la démocratisation d’accès au savoir et en faire une nouvelle activité du groupe Orange. Ce n’est certes pas une œuvre de philanthropie, mais pas non plus un projet uniquement mercantile.

Quel serait le modèle économique de cette plate-forme ?

Le principe est celui, classique, de revenus partagés entre Orange et les établissements d’enseignement supérieur. Cependant, la répartition qui se pratique habituellement sur des plates-formes américaines comme Coursera, 80% pour le fournisseur et 20% pour l'établissement, ne nous semble pas assez équilibrée.
En outre, si la délivrance de certifications authentifiées peut être une source de revenus, le tutorat personnalisé pourrait en être une autre, qu'il soit conduit par des enseignants ou par des pairs, c’est-à-dire d’autres internautes identifiés par leur activité au sein des MOOC et formés à cela.

Cela permettrait de remédier à la solitude du e-learner qui induit des taux d’abandon importants : si l’enseignement à distance se développe et constitue une réelle opportunité de formation, il existe parallèlement une demande de lien social. Enfin, nous envisageons d’être en lien avec des distributeurs, de manière à permettre aux participants d’acheter un ouvrage cité en référence bibliographique en un seul clic : tout en rendant un service, nous pourrions bénéficier de ces transactions.
Ainsi, notre projet est à la fois social et économique : nous voulons contribuer à la démocratisation d’accès au savoir et en faire une nouvelle activité du groupe Orange. Ce n’est certes pas une œuvre de philanthropie, mais pas non plus un projet uniquement mercantile.

 

Les établissements en pleine réflexion

Engagé dans une démarche proactive, Orange a pris contact avec de nombreux établissements d'enseignement supérieur. Pour l'heure, seule Lyon 1 affiche clairement sa volonté d'être partenaire de l'expérience : les développeurs du service Icap (Innovation conception et accompagnement pour la pédagogie) travaillent sur une nouvelle plate-forme d'apprentissage en ligne opensource, Claroline, qui devrait être utilisée dans le projet d'Orange.

"Persuadé de la nécessité de créer une plate-forme partagée au niveau francophone", Jean-Marie Gilliot, maître de conférences à Télécom Bretagne et l'un des instigateurs du premier MOOC francophone ITyPA examine actuellement les différentes possibilités. Si aucune décision n'est encore prise, il se dit néanmoins "intéressé par l'initiative d'Orange : c'est la seule offre sérieuse en train de se monter qui essaie de fédérer les différents acteurs de manière visible". Egalement attentif au projet mais avant tout pragmatique, Rémi Bachelet, maître de conférences à Centrale Lille à l'origine du MOOC gestion de projet, attend de voir plus concrètement ce que propose Orange, notamment en termes de conditions d'accès et de fonctions données : "ma priorité, c'est l'efficacité, explique-t-il. Il faut quelque chose qui marche".

En outre, la réflexion individuelle des établissements doit s'articuler avec la stratégie du réseau auquel ils appartiennent : pour l'Institut Mines Télécom comme pour le groupe des Ecoles centrales, avoir une plate-forme commune à tous les membres contribuerait à la notoriété de leur marque.

De son côté, ParisTech entend d'abord laisser ses membres expérimenter chacun de leur côté des plates-formes et en organiser le partage d'expérience, avant d'envisager une action collective : "notre présence sur les MOOC devra mettre en avant le savoir-faire spécifique de ParisTech, détaille son président Yves Poilane. Dans cette logique, nous proposerons, sous notre marque, des formations pluridisciplinaires en réponse aux besoins des entreprises : plutôt que d'ouvrir un cours pointu de physique quantique, ce que pourra faire une école, nous nous intéresserons par exemple, en tant que collectif, aux énergies renouvelables ou à la mobilité du véhicule électrique". En attendant, sept écoles sur les douze que compte le PRES devraient lancer leur propre MOOC à la rentrée 2013.

 

Pour suivre l'actualité des MOOC

"Une page autour des MOOC" : c'est le nom de la "collecte de références" initiée par Michel Briand, directeur adjoint de la formation à Télécom Bretagne, sur le mode collaboratif du wiki. Les internautes sont en effet invités à compléter et mettre à jour les informations.
Outre les articles, vidéos et sites traitant du sujet, cette page dresse la liste des MOOC passés, en cours ou annoncés, par domaine et par pays.
Sophie Blitman | Publié le