En 2035, l'université à la carte ?

Marine Miller Publié le
En 2035, l'université à la carte ?
Lors du Hack'Apprendre 2015, huit équipes mixtes ont réuni une centaine d'étudiants, professeurs, jeunes thésards et personnels administratifs ont passé une journée à imaginer l'université de demain. // ©  Université de Louvain
Que sera l'université en 2035 ? Le learning lab de l'université catholique de Louvain (Belgique) a posé la question fin 2015 à des étudiants, des enseignants et quelques personnes de la société civile. Du paquebot aux classes virtuelles en passant par la suppression de l'évaluation, une centaine de réponses sont sorties de la boîte à idées. Le président du learning lab, Benoît Raucent, les commente pour EducPros.

Benoît Raucent, président du Learning Lab de l'université catholique de Louvain.Comment est née l'idée de lancer une consultation sur l'université en 2035 ?

Pour fêter les vingt ans du learning lab de Louvain, nous ne voulions pas faire le bilan de ce que nous avions accompli, mais plutôt essayer de réfléchir aux vingt ans à venir en nous adressant directement aux acteurs eux-mêmes : les étudiants, les enseignants et la société civile.

C'est pourquoi nous avons mis en place un Hack'Apprendre, le 13 novembre 2015. Il s'agit d'un travail collaboratif, basé sur les principes de l'innovation ouverte, à mi-chemin entre un hackathon et un think tank.

Huit équipes mixtes ont réuni une centaine d'étudiants, de profs, de jeunes thésards et des personnels administratifs qui ont passé une journée à imaginer l'université de demain. Peu de chefs d'entreprise et d'hommes politiques ont répondu à notre appel alors qu'ils étaient invités à s'exprimer, ce qui est dommage.

Cette journée a été précédée d'un appel à idées. Nous avons reçu plus d'une centaine de réponses. Des choses farfelues et d'autres, inattendues et originales, qui peuvent faire naître une réflexion, comme cette idée de faire une université sur un paquebot qui sillonnerait la Méditerranée à la rencontre des migrants. Pourquoi, en effet, ne pas créer des universités mobiles ? Les universités doivent-elles rester figées dans les villes ?

Quelles sont les grandes tendances qui émergent ?

Il y a clairement une interrogation sur le rôle de l'université. Doit-elle former à un métier, à une profession ou doit-elle à apprendre à être soi ? Les thématiques relatives à l'aspiration personnelle sont de plus en plus importantes.

Des étudiants ont proposé de séparer les cursus en deux temps : le matin, des cours pour "apprendre" un métier, et l'après-midi, des cours pour favoriser le développement de soi. Mais cela pose des questions : si l'on divise le programme en deux, quelles seront les priorités, discipline par discipline ?

L'idée de supprimer toute forme d'évaluation, sur le modèle de l'école 42, a été exprimée. Dans un cadre ciblé, on peut imaginer que les étudiants seraient évalués par leurs pairs ou qu'ils proposeraient eux-mêmes les thématiques d'apprentissage.

Pourquoi ne pas créer en effet des universités mobiles ? Les universités doivent-elles rester figées dans les villes ?

Quelles propositions vous paraissent pertinentes en matière de pédagogie ?

Nous avons peu débattu de pratiques pédagogiques à proprement parler, mais plutôt du sens même de l'université et de la formation. La thématique qui est revenue le plus souvent est celle des "parcours à la carte", en décloisonnant les disciplines.

Tout individu, quels que soient son âge et son parcours de vie (on ne parle plus ici uniquement de l'étudiant de 20 ans), peut venir y chercher une formation, courte ou plus longue, correspondant à son besoin : "la bonne formation au bon moment", et ce tout au long de la vie. Les périodes de vie ne sont plus autant cloisonnées, mais c'est bien une imbrication entre vie, travail, études qui est à l'œuvre.

La deuxième thématique est liée à la société du savoir. L'université n'est plus seulement un lieu de transmission de savoir, c'est un lieu où se tissent des liens forts entre les individus, un lieu ouvert sur la société, où l'on accueille des projets impliquant les citoyens, les entreprises...

Les étudiants sont donc demandeurs de changements...

Les étudiants sont en quête de sens, ils ne veulent plus apprendre pour apprendre. Nous essayons d'accompagner ce mouvement. Je connais une fac de médecine, dans laquelle les étudiants de première année passent les mêmes tests que les étudiants de 6e année. Cela leur permet de voir à quoi servent les cours de physique et de chimie.

Le sens doit être au cœur de l'apprentissage. Les étudiants veulent être plus autonomes et développer leur esprit critique sur le contenu de l'enseignement. Certains étudiants estiment qu'il y a une tendance à développer la pensée unique dans leur discipline, par exemple en économie, où les économistes hétérodoxes sont très peu représentés à l'université.

Côté pédagogique, nous encourageons la technique du "triple saut", qui favorise la recherche du sens. Le premier saut est celui de la formulation du problème, ensuite vient le rendez-vous avec l'enseignant et le moment de la discussion ; enfin, le troisième temps, qui est celui de la reformulation de la réponse. C'est le processus qui est évalué et non plus la réponse seule.

Le point de vue de l'individu s'enrichit du point de vue du collectif. Dans de nombreuses universités, l'erreur est stigmatisée, elle est sanctionnée alors que l'on devrait pouvoir rebondir afin d'en faire un élément d'apprentissage.

On revient au modèle d'il y a cent ans, où l'enseignant était dans une logique de compagnonnage.

Comment doit se positionner l'enseignant dans ce contexte ?

Le métier de l'enseignement a déjà évolué. Aujourd'hui, le professeur travaille à la construction d'une réponse, il donne à réfléchir sur le savoir et participe à entretenir l'esprit critique. Il dispose de multiples moyens pour faire réfléchir l'étudiant et susciter sa curiosité.

On se demande aussi s'il faut continuer à former des hyperspécialistes ou, au contraire, favoriser la formation généraliste. On revient au modèle d'il y a cent ans, où l'enseignant était dans une logique de compagnonnage. L'enseignant ne dispense plus le savoir, il pose des questions et nourrit ensuite la discussion avec les étudiants.

Quel sera le rôle du numérique dans la formation ?

Étrangement, la thématique du numérique n'a pas fait écho. Peu d'idées sont ressorties sur ce point. Peut-être parce qu'il est difficile de se projeter sur ce que sera le numérique en 2035 ? En tout cas, les participants ont choisi de s'intéresser au sens... Peut-être parce que c'est ce qui leur manque le plus actuellement ?

Quelle est la suite que vous donnerez à cet exercice ?

Pour l'instant, nous ne savons pas encore ce que nous allons faire de ces propositions. Environ 12 participants du Hack'Apprendre ont souhaité prolonger la réflexion. Certaines idées pourraient être mises en œuvre... En mai prochain, nous ferons le point avec des experts de l'éducation et des philosophes.

Marine Miller | Publié le