Hervé Biausser : "À Saclay, chaque établissement doit prendre ses responsabilités”

Céline Authemayou Publié le
Hervé Biausser : "À Saclay, chaque établissement doit prendre ses responsabilités”
CentraleSupélec accueillera ses étudiants sur son nouveau campus, à la rentrée 2017. // ©  Laurent Grandguillot/REA
Nouveau campus, nouveau cursus, question du Bachelor… Après la période de fusion, CentraleSupélec construit sa stratégie. Une stratégie qui passe par l’appartenance assumée et revendiquée à l’Université Paris-Saclay, martèle son directeur Hervé Biausser.

Hervé Biausser - directeur général de CentraleSupélecCentraleSupélec est née en janvier 2015. Dix-huit mois après la création de l'école d'ingénieurs, où en êtes-vous ?

Durant la première année, il a fallu fonctionner tout en gérant des dossiers liés au rapprochement des deux écoles existantes, Centrale Paris d'un côté et Supélec de l'autre. Certains ont été très faciles à mettre en œuvre, à l'image de l'offre de formation continue exécutive, qui avait été préparée en amont. De même pour la recherche, les champs des deux écoles étant, de base, très complémentaires.

En revanche, d'autres dossiers ont été plus complexes. Rapprocher une école publique et une structure privée est techniquement compliqué. Les difficultés ont concerné le rapatriement des contrats des personnels de statut privé, CentraleSupélec ayant conservé un statut public.

Les personnels des campus de Metz et de Rennes ont d'ailleurs fait entendre leur inquiétude, avec une journée de mobilisation le 16 juin 2016. Outre les questions de statut, ils craignent que les deux sites soient relégués au second plan, avec cette fusion.

Je l'ai dit et redit : nous sommes à Metz et à Rennes dans une optique de développement. Mais le développement ne veut pas dire qu'on va continuer de faire la même chose, en plus grande quantité. Il faut engager d'autres types d'activité, travailler avec les entreprises locales, faire du partenariat international...

La mise en place de notre nouveau cursus, d'ici à 2018, ne rend pas le dossier simple : on ne peut pas demander à 30 enseignants-chercheurs, qu'ils soient à Rennes ou à Metz, de couvrir les mêmes champs disciplinaires qu'à Gif-sur-Yvette. De là à croire qu'il n'y aura plus d'élèves ingénieurs sur ces sites, ce n'est pas sérieux...

Vous évoquez le nouveau cursus. Dès 2015, vous annonciez vouloir fusionner les formations ingénieurs pour donner naissance à un seul et même diplôme estampillé CentraleSupélec. Quel est l'état d'avancée du dossier ?

Ce nouveau cursus sera déployé dès la rentrée 2018, sur la première année du cycle ingénieur. Actuellement, une équipe projet dédiée, réunissant 13 personnes, travaille sur le dossier. En octobre 2016, les deux directions de l'enseignement seront réunies.

Puis, au cours du second semestre de l'année universitaire 2016-2017, le cursus sera testé sur des petits effectifs. Nous souhaitons proposer des innovations pédagogiques importantes, qui méritent une phase d'expérimentation. Cela prendra la forme d'un cours électif, pour les étudiants volontaires.

Annoncé pour 2017, le nouveau cursus sera finalement mis en place en 2018. Pourquoi ce retard ?

À la rentrée 2017, nous allons déménager pour investir nos nouveaux bâtiments. Nous avons préféré repousser d'une année l'introduction du nouveau cursus par prudence : il va falloir des semaines pour que nous nous approprions les locaux, que les habitudes se fassent.

Nous sommes, à Centrale, dans un campus très "années 70" : plusieurs bâtiments sont disposés sur un terrain. À Gif-sur-Yvette, le principe est complètement différent : sous un même toit, vivra une ville, avec des lieux non structurés, qui devront être apprivoisés par les personnels de l'école comme par les étudiants.

Les écoles d'ingénieurs sont de plus en plus nombreuses à regarder du côté du Bachelor. L'École polytechnique lancera d'ailleurs son programme en 2017. Est-ce une voie que vous allez suivre ?

Pour l'instant, CentraleSupélec n'est pas sur ce projet-là et il n'y aura pas d'annonce forte sur le sujet de la part du groupe des Écoles centrales.

Il faut bien voir que ce que nous savons faire, ce sont des formations de niveau bac + 5. Nous nous en sommes rendu compte à Pékin, lorsqu'il a fallu créer un cursus préparatoire : c'est un métier que nous ne connaissions pas du tout. Aujourd'hui, les acteurs qui savent faire et construire les premiers cycles, ce sont les classes préparatoires et les universités.

En ce qui nous concerne, notre cadre de réflexion est donc la construction d'un premier cycle porté par l'Université Paris-Saclay.

Aujourd'hui, les acteurs qui savent faire et construire les premiers cycles, ce sont les classes préparatoires et les universités.

Comment analysez-vous l'évaluation du jury Idex, qui a donné à l'Université Paris-Saclay dix-huit mois pour revoir sa copie ?

Le tour qui vient de se jouer a au moins le mérite de nous faire passer un message de réalité. Le document signé en décembre 2015 était un document honnête : nous avions réussi à trouver un point de convergence qui nous semblait être raisonnable.

Manifestement, ce qui nous semblait être un point d'équilibre ne convient pas. Il faut désormais voir comment améliorer cela.

Les 18 membres de l'Université travaillent-ils déjà à l'évolution du projet, demandée par le jury international ?

Oui. Nous travaillons dès à présent, pour ne pas nous retrouver dans la même situation qu'en décembre 2015. Le texte présenté au jury n'avait pas pu être validé par les 18 conseils. Ce ne sera pas le cas pour ce que nous présenterons en 2017 : les établissements se seront prononcés.

Il nous faut donc produire un nouveau document, répondant aux attentes du jury. Le but est qu'il soit le plus partagé possible. Si on y arrive, tant mieux. Si on n'y arrive pas, tant pis. Ce sera à chaque établissement de prendre ses responsabilités.

Depuis le début, nous avons une position très claire et sans ambiguïté : à CentraleSupélec, nous sommes des ardents défenseurs du projet Saclay. Moi qui ai connu le Pres UniverSud, je ne cesse de répéter qu'on vient de loin et que le chemin parcouru en dix ans est immense.

Le nœud du problème, à Saclay, réside dans la compréhension de l'expression "université intégrée". Comment dépasser ce débat ?

Confucius disait "quand ça ne va pas, changez le mot". J'ai pour ma part deux convictions. Concernant la structure, une seule question vaut : qui décide de quoi ? Il faut être précis et définir clairement ce que veut dire appartenir à l'Université Paris-Saclay, en termes de décisions, en termes d'affectations de moyens, etc.

Mais au-delà de la structure, il faut se demander quelle valeur nous voulons créer. Pour quels étudiants, quels partenaires, quelles entreprises ? Que pouvons-nous leur proposer que nous ne proposons pas actuellement ? Il faut répondre à ces questions puis adapter la structure en fonction des objectifs. On peut rêver de structure mais ce n'est pas cette dernière qui créera la valeur.

Céline Authemayou | Publié le