Vincent Mangematin : «Les Etats-Unis ne sont plus les seuls moteurs de l’innovation en sciences de gestion»

Propos recueillis par Grégory Danel Publié le
Vincent Mangematin : «Les Etats-Unis ne sont plus les seuls moteurs de l’innovation en sciences de gestion»
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Chercheur à l’Inra et à l’EM Grenoble, Vincent Mangematin est l’auteur avec Charles Baden-Fuller de la Cass Business School de Londres d’une étude sur la compétition scientifique mondiale en sciences de gestion. Publié dans la très sérieuse Long Range Planning fin 2007, ce travail remet en cause la domination américaine, jusqu’ici sans partage et, souligne à l’inverse l’ascension de l’Europe et de l’Asie. Selon Vincent Mangematin, la masse des Business Schools françaises devraient travailler sur des « niches » plutôt que de se rêver en établissements généralistes.

Comment avez-vous procédé ?

Nous utilisons les revues recensées par une importante base de données dont la coloration est assez nord-américaine. Tous les journaux y sont dépouillés et on regarde les bibliographies. Là nous faisons intervenir un facteur d’impact : le nombre de citations reçues par un article de journal, le nombre de publications d’un article, comment on se positionne par rapport à cet article. Bref : est-ce qu’il marque ? Notre objectif est d’estimer une part de marché intellectuel.

Que constate l’étude ?

A notre grande surprise, les Américains ne sont pas aussi dominateurs alors qu’ils ont défini eux-mêmes les critères de la compétition intellectuelle. A l’inverse, il y a à l’heure actuelle une « prime » à publier en Europe ou en Asie. Ces zones ont bénéficié des conséquences du 11 septembre 2001 et de la chute du dollar. Les enseignants américains n’hésitent plus à s’y exporter. Malheureusement si la Grande-Bretagne et les Pays-Bas se montrent très dynamiques, la France est très mal positionnée.

Qu’arrive-t-il aux Américains ?

Les Etats-Unis ne sont plus les seuls moteurs de l’innovation intellectuelle même s’ils dominent encore la compétition. Il s’avère que les chercheurs dans le monde entier ont intégré leurs standards et les battent désormais sur leur propre domaine. Et puis le modèle dominant est, à l’heure actuelle, contesté. La recherche en sciences de gestion suit un modèle scientiste porté à son paroxysme. C’est scientifiquement bien fait mais ça ne présente aucun intérêt.

Quels enseignements peut-on tirer de votre étude ?

Que les business schools ont besoin de recherche. On constate une corrélation entre les MBA, les diplômes post-graduate et les classements en recherche. Il est important d’avoir un corps enseignant au cœur de la recherche, connecté avec les dernières modes manageriales.

Deuxième enseignement : Quand les marchés sont mûrs, on différencie les produits. On éclate l’offre pour s’adresser à différents segments de marchés. Tout le monde ne peut prétendre proposer un bon MBA généraliste alors on se spécialise.

C’est-à-dire ?

Prenons l’exemple français. Il y a deux ou trois grandes écoles qui forment des cadres de très haut niveau et puis il y a les ESC du premier groupe. Celles-ci forment des cadres intermédiaires spécialisés. Pour ces écoles, ce n’est peut-être pas une stratégie gagnante d’être la 858ème généraliste à tel ou tel classement. Mieux vaut être leader sur un petit segment de marché. Il faut appliquer ce qu’on enseigne dans nos propres business schools. On attaque toujours sur les niches et pas sur le marché principal.

Vous évoquiez le mauvais positionnement français, quelles en sont les raisons ?

C’est à mon avis très lié aux débats actuels sur l’enseignement supérieur. Ainsi les sciences de gestion à l’Université sont de très mauvaise qualité. Elles n’ont pas su faire leur aggiornamento comme l’a fait l’économie, il y a une vingtaine d’années. De l’autre côté, nos écoles ne représentent qu’un département d’une université américaine. Là-bas, les sciences de gestion y côtoient la sociologie, l’économie. En France, on n’a pas ce mélange. Plutôt que d’acquérir une taille critique à l’international, les écoles préfèrent leur querelle franco-françaises.

Propos recueillis par Grégory Danel | Publié le