William Dab, titulaire de la chaire Hygiène et Sécurité du CNAM : « Donner un socle de compétences aux jeunes ingénieurs et managers »

Propos recueillis par Mathieu Oui Publié le
William Dab, titulaire de la chaire Hygiène et Sécurité du CNAM : « Donner un socle de compétences aux jeunes ingénieurs et managers »
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William Dab est l’auteur d’un rapport sur la formation des managers et ingénieurs en santé au travail, remis en juillet 2008 à Xavier Bertrand et Valérie Pécresse. À l'heure des suicides chez France Télécom et dans d'autres entreprises, ce thème de la santé au travail interroge la formation initiale des managers et des ingénieurs.

Comment les grandes écoles de management et d’ingénieurs abordent-elles la question de la santé au travail dans leurs formations initiales ?
La situation est assez hétérogène mais globalement insatisfaisante. Dans les écoles d’ingénieurs, il y a toujours un chimiste qui aura une formation de base autour des notions de sécurité. Mais les écoles de management n’ont pas ce type de profil et elles ne vont pas recruter des spécialistes d’hygiène et sécurité, d’où l’idée de constituer un réseau.

De quoi s’agit-il ?
Le Réseau francophone de formation en santé au travail, que vient de lancer le ministère du travail, vise à fournir un ensemble de ressources et compétences aux écoles, entreprises, services de formation continue. La France n’a pas un déficit de compétences en la matière, au contraire. Mais ces compétences sont très dispersées entre le ministère, les universités, les écoles ou les entreprises. Ce réseau ambitionne de relier tous ces spécialistes en fonctionnant par projet. Au final, nous allons produire des outils pédagogiques qui seront mis gratuitement à disposition des entreprises ou des formations.

En juillet 2008, dans les conclusions d’un rapport ministériel, vous définissiez déjà un référentiel de formation…
Il ne s’agit pas de faire de tout jeune manager ou ingénieur un spécialiste de la santé au travail, mais de lui donner un socle de compétences indispensables. C’est par exemple apprendre à maîtriser ses émotions, savoir repérer les collaborateurs en souffrance pour pouvoir en tenir compte et alerter la médecine du travail. La plupart des jeunes diplômés n’ont jamais entendu parler des outils qui relient le travail à la santé mentale. En la matière, il existe des signaux connus, bien identifiables. Une fois défini ce référentiel, les modalités pédagogiques appartiennent à chaque école : il y a mille et une manières de se l’approprier.
 
Traiter la question de la santé au travail, n’est-ce pas un alibi pour éviter les questions plus politiques : une déshumanisation du travail liée à la financiarisation à outrance de l’économie ?
Poser la question en ces termes conduit selon moi à une impasse. Même s’il existe une tendance lourde de déshumanisation du travail, cela ne doit pas être un alibi pour ne pas agir. Car, une fois que l’on a dit ça, que faire sinon la révolution ? Certes, la dimension humaine du travail doit être reconsidérée, mais je pense que les managers de proximité ont un rôle considérable à jouer sur le bien-être collectif. Ce n’est pas facile, mais ils ont une marge de manœuvre.

C’est-à-dire ?
Ils ne sont pas juste une courroie de transmission, mais doivent avoir une capacité de dialogue et de transmission. Cela veut dire par exemple pouvoir gérer ses émotions et son stress sans les transférer directement sur autrui. Un manager de proximité doit pouvoir exposer les contraintes et pas uniquement les imposer. Car, au final, c’est lui qui donne du sens au travail. Mais lui-même ne peut le faire que s’il dispose d’un modèle impulsé par le haut, c’est ce sur quoi j’insiste dans mon rapport.

Plus globalement, n’y a t-il pas un problème de formation des managers ? Ne reproduisent-ils pas le modèle de compétition et de sélection des classes prépas ?
Nous avons le système éducatif le plus inégalitaire au monde. L’école française n’apprend pas à travailler en groupe. À tel point que des chefs d’entreprise créent des écoles dont la finalité explicite est d’apprendre à tous leurs collaborateurs ce travail en équipe. Pendant des années, les jeunes sont élevés dans un esprit de compétition individuelle parfois très sévère. Mais, dans le milieu du travail, ce n’est pas comme cela qu’on est efficace et que l’on s’épanouit. Cela dit, je n’ai pas réfléchi à la manière dont on peut changer ou infléchir ce modèle.

Propos recueillis par Mathieu Oui | Publié le