Yann Bergheaud (université Lyon 3) : "Avec le numérique, l'enseignant doit devenir un coach"

Camille Stromboni Publié le
Yann Bergheaud (université Lyon 3) : "Avec le numérique, l'enseignant doit devenir un coach"
Yann Bergheaud, directeur du Service universitaire d’enseignement en ligne de Lyon 3 © David Venier - Université Jean Moulin Lyon 3 // © 
À l'occasion des Journées du e-learning les 27 et 28 juin 2013, Yann Bergheaud, directeur du Service universitaire d’enseignement en ligne de l'université Jean-Moulin-Lyon 3 et organisateur de l'événement, défend l'idée qu'à l'heure des MOOC et autres outils numériques, l'enseignant doit se concentrer sur l'accompagnement et le tutorat, et non plus être un simple "passeur de connaissances".

Vous organisez la huitième édition des Journées du e-learning. Qu'est ce qui a changé depuis la création de ce rendez-vous annuel ?

Il y a eu une prise de conscience : l'enseignant n'aura jamais plus le même rôle que par le passé. Il ne peut plus être simplement un passeur de savoir et de connaissances. L'enseignement, avec un professeur qui dicte son cours devant un amphithéâtre, touche à sa fin. Si notre métier se limite à ça, on pourra très vite le remplacer.

C'est la fin de l'enseignant ?

Absolument pas. Au sens classique oui. Il en va de la survie de notre système. La ressource pédagogique n'est plus une valeur ajoutée. Quand on a la possibilité de suivre un cours au MIT, pourquoi s'inscrire à l'université ? Cette ressource, on la trouve partout, et rien ne rend nécessaire d'avoir un media particulier qui serait l'enseignant pour la transmettre.

La valeur ajoutée de l'enseignant se situe ailleurs : dans l'accompagnement et le tutorat. Il doit être un coach et un animateur de communauté, qui apprend aux étudiants à travailler sur les connaissances. C'est une grande révolution. Et s'il y a évidemment des levées de boucliers, je pense que tout le monde a conscience que les rôles changent et qu'on ne peut plus enseigner de la même manière.

La valeur ajoutée de l'enseignant se situe dans l'accompagnement et le tutorat

Comment faire pour que les enseignants prennent le tournant de cette révolution en plus grand nombre ?

Nous avons la liberté de le faire. La problématique est plutôt comptable. C'est une question de moyens. Je ne parle pas du matériel : les universités sont largement équipées, au moins avec du wifi, des salles avec ordinateurs, des plates-formes pédagogiques, etc.

Le blocage est ailleurs : ces activités numériques ne sont pas valorisées comme elles devraient l'être dans le travail d'un enseignant. D'autant plus qu'elles sont chronophages. Il y a aussi une question culturelle. Il n'est pas toujours évident pour un enseignant de mettre ses ressources pédagogiques en libre accès. Enfin, il faut former les enseignants pour un usage pertinent des outils.

La loi sur l'enseignement supérieur s'intéresse à la question numérique, notamment en prévoyant un vice-président en charge de ces questions dans les futures communautés d'universités

Cette loi prend le problème sous l'angle de la gouvernance des établissements… Je suis un peu perplexe quant à savoir si cela va changer la donne. Je pense que nous avons vraiment raté le coche au moment de la modification du statut des enseignants-chercheurs [sous le gouvernement précédent]. C'est là qu'il aurait fallu intégrer cette mission. On a préféré botter en touche et laisser les universités se débrouiller pour valoriser en interne ces missions.

Il faudrait remettre sur la table cette question de la place des activités numériques dans la mission de tous les enseignants de l'université – enseignants-chercheurs, PRAG, associés, vacataires, etc. Cela pourrait donner lieu à des rémunérations supplémentaires, ou être compris dans le service de base, si l'on considère que cela fait partie du service minimum d'un enseignant.

Au début des débats sur la loi ESR d'ailleurs, il avait été envisagé d'intégrer le numérique, et la mise en ligne de ses cours, comme faisant partie du service public de l'enseignement supérieur… Cela a été abandonné.

Le MOOC est à la mode depuis plusieurs mois. Les universités doivent-elles s'en emparer ? Est-ce le Saint-Graal du numérique ?

Pas forcément. Cette mode a le mérite de créer la discussion autour du numérique dans l'enseignement. Avec un questionnement sur l'accès à la ressource, l'accompagnement, la certification, le modèle économique…

Toutes les universités peuvent développer des MOOC, mais il faut savoir pourquoi, comme l'explique bien Matthieu Cisel. Sinon, on risque de revenir à l'époque où il fallait "faire un site Web" pour "faire un site Web", dans les années 2000. Il faut bien poser le projet, mais aucune discipline n'est retorse au numérique. Le plus gros potentiel semble même dans les SHS (sciences humaines et sociales), où toutes les portes sont ouvertes à l'imagination.

Oui, le numérique est un gage de réussite, d'abord parce que le public étudiant attend du numérique

La question de la réussite des étudiants, via le numérique, est au cœur du colloque à venir. Le lien est-il automatique ?

C'est un problème d'indicateurs. Il s'agit d'un casse-tête phénoménal pour mesurer l'impact du numérique sur la réussite, avec les réformes permanentes qui rendent impossible de comparer les années. Mais oui, le numérique est un gage de réussite, d'abord parce que le public étudiant attend du numérique. Ça lui parle, il y est réceptif. Les étudiants apprennent de plus en plus en picorant, en faisant de moins en moins travailler la mémoire. L'enseignement doit s'adapter.

Cela me convient d'autant plus en tant que juriste : je répète toujours à mes étudiants que je n'ai jamais appris un texte de loi par cœur ! Il faut savoir chercher l'information et l'utiliser. Le défi est de rendre les étudiants critiques face à l'information.

Le numérique permet de se détourner de la simple acquisition des savoirs, vers les compétences. Avec de nombreux outils, comme la simulation. C'est d'ailleurs ce qui intéresse les recruteurs. On ne diminue absolument pas le niveau des étudiants, on augmente leurs compétences.

Journées du e-learning 2013
Organisées par l'université Jean-Moulin-Lyon 3, les Journées du e-learning, dont EducPros est partenaire, auront lieu les 27 et 28 juin 2013. Pour suivre les débats sur twitter : https://twitter.com/JELearning.
Retrouvez le programme du colloque.
Camille Stromboni | Publié le