25 ans d’évolution de l’apprentissage (1/3) : le rôle de l’enseignement supérieur

Jean Saavedra, consultant de projets en éducation Publié le
Ancien directeur du CFA de Poissy qu'il a contribué à créer, Jean Saavedra a par la suite travaillé en tant que consultant sur la conception et le développement du le CFA de l'Essec ainsi que sur le dispositif d'apprentissage de l'Edhec. Poursuivant aujourd'hui son activité de conseil dans le domaine de l'enseignement supérieur, il revient sur l'évolution de l'apprentissage depuis un quart de siècle, dans une tribune pour EducPros, dont le premier volet est dédié au rôle de l'enseignement supérieur.

L’apprentissage est une passion française qui enflamme régulièrement la rhétorique politique. Des jeunes sortent sans diplôme du système scolaire ? L’apprentissage. Les grandes écoles reproduisent les mêmes modèles ? L’apprentissage. Les jeunes filles n’intègrent pas les écoles d’ingénieur ? L’apprentissage. Et la dernière en date qui ne sera pas sans conséquences : le chômage des jeunes est insupportable ? L’apprentissage.

De cette attribution de pouvoirs magiques à l’apprentissage, il ne peut résulter qu’une succession de déceptions ainsi qu’un accroissement de l’ignorance de sa réalité et de son histoire récente.

L’enseignement supérieur sera la locomotive de l’apprentissage

L’apprentissage actuel est issu de la régionalisation des années 80. Les Régions ont parié sur cet outil pour faire travailler ensemble, sur un même territoire, une entité comme l’entreprise, que l’on croit connaître mais qui reste toujours émergente, et quelque chose de très intime pour chaque nation, l’éducation qu’elle dispense.

Les Régions ont rapidement modernisé cet outil en adjoignant à l’apprentissage traditionnel (artisanat, services, production) d’une part, un apprentissage ouvert à l’enseignement supérieur et d’autre part, un apprentissage de "remédiation" destiné aux publics très inadaptés. Cette stratégie politique remarquable voyait dans l’apprentissage dans l’enseignement supérieur la locomotive de cet attelage d’apprentissages.

Du fait de la diversité des contacts que leurs publics spécifiques pouvaient entretenir avec les entreprises, l’apprentissage dans l’enseignement supérieur comme l’apprentissage de remédiation permirent de révéler les principales interrogations que véhicule l’apprentissage. Comment fonctionner avec "l’entreprise" en France, en période de globalisation ? Qu’est-ce qu’un dispositif pédagogique qui intègre l’entreprise et l’établissement d’enseignement au point de sembler avoir été pensé avant que ceux-ci n’existent ? Comment étendre ce dispositif pour que l’on puisse offrir, à tout apprenti, une véritable préparation au monde qui vient ?

L’échec de la stratégie de la locomotive

Pour réaliser l’extension de l’apprentissage, on attendait beaucoup, dans les années 90, de l’expérience de l’Essec. Son adoption de l’apprentissage se situait dans le cadre de sa rivalité avec HEC, les deux écoles se structurant, depuis les années 60, en fonction de leur appréhension respective des grandes écoles d’ingénieurs d’une part, et des business schools américaines d’autre part.

Et alors qu’au tournant du siècle la moitié d’une promotion Essec choisissait l’apprentissage, une évidence s’imposa : l’apprentissage à l’Essec constituait l’aboutissement de l’évolution des grandes écoles françaises ! La pédagogie de l’Essec et l’organisation de l’apprentissage s’imbriquaient parfaitement. La logique poursuivie par les grands directeurs de HEC et de l’Essec des années 60, professionnalisation du corps professoral (autour d’études de cas) d’un côté et généralisation des stages de l’autre, fonctionnait désormais, avec le contrat d’apprentissage, comme un fermoir sur un bijou. L’Essec avait touché au but la première.

HEC répliqua avec "l’année de césure", qui ne contribuait pas à l’alliance voulue par les Régions entre les écoles et les entreprises. Il n’y avait plus co-création de parcours par les deux entités mais communauté de destins parallèles.

Cette parade, soutenue par le professionnalisme d’HEC et de sa direction, suffit pourtant à faire douter une Essec affaiblie par les ruptures à sa tête et par l’absence de soutien des politiques, insensibles au fait que cette école avait tout pour rassembler, autour d’elle, les établissements de l’enseignement supérieur qui avaient adopté l’apprentissage et pour mettre en œuvre la stratégie de la locomotive.

Henri Lachmann en avait eu l’intuition quand il avait dépêché, auprès de Jean-Louis Borloo qui lui confiait une mission sur l’apprentissage, un jeune conseiller qui venait de faire Centrale, puis l’Essec en apprentissage. C’était ce profil-là qui était censé coordonner l’apprentissage pour tous.

Le retour aux affaires

Mais l’occasion était passée, l’innovation majeure de l’enseignement supérieur français, dont Viviane Reding elle-même vantait les mérites dans les forums européens au tournant des années 2000, avait essuyé un revers aussi irrationnel que décisif. Il n’y aurait bientôt plus que 25 % d’apprentis par promotion et l’Essec reculerait imperceptiblement  dans les classements. Mais le plus grave pour ce qui est de l’apprentissage, c’est qu’une fois le débat pédagogique escamoté, tout le monde se replia sur les questions de financement : la collecte de la taxe d’apprentissage et la quête de subventions. L’enseignement supérieur – en fait les écoles de management et quelques universités – s’installa sur les territoires des organisations professionnelles et attira les fonds vers lui.

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