À quel prix viser l’objectif de 60 % d'une classe d’âge diplômés du supérieur ?

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À quel prix viser l’objectif de 60 % d'une classe d’âge diplômés du supérieur ?
D'ici 2025, les effectifs étudiants devraient augmenter de 42,9 %, d'après les estimations de Nicolas Charles. // ©  Photothèque Paris Descartes Huguette & Prosper
Sur "The Conversation France", Nicolas Charles, sociologue et chercheur au centre Émile-Durkheim à l'Université de Bordeaux, s'intéresse aux modalités de financement nécessaire pour relever le défi d'amener 60% d'une classe d'âge à être diplômée de l'enseignement supérieur.

Le rapport Stranes [Stratégie nationale de l'enseignement supérieur] – "Pour une société apprenante : propositions pour une stratégie nationale de l'enseignement supérieur" – publié en septembre 2015 propose à horizon 2025 d'atteindre 60% de diplômés du supérieur dans une classe d'âge, objectif que François Hollande a fait sien en le transformant en promesse de campagne.

A priori, on ne peut trouver que de bonnes raisons à cet objectif : à droite, pour les partisans d'une "société de la connaissance", plus les individus sont qualifiés, plus l'économie sera efficace économiquement ; à gauche, pour les partisans d'une plus grande justice sociale, il va de soi qu'une plus grande massification devrait permettre une plus grande démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur.

Ce "bon sens" n'a rien d'évident si l'on s'attarde sur la question largement implicite, et qui fait dissensus, des modalités de financement d'une telle massification. Faut-il vraiment massifier si fortement l'enseignement supérieur ? Où les étudiants vont-ils aller ? Qui va en assumer le coût ?

Sans prendre parti, il s'agit ici de présenter le problème public de la massification des études supérieures et de son financement, en soulignant qu'il faudra résoudre une équation à quatre termes : les effectifs d'étudiants, le niveau de dépenses par étudiant, les dépenses publiques, et les frais de scolarité.

Au regard des politiques menées ces dernières années en termes de sélection, de frais de scolarité, de dépenses publiques et d'accueil des nouveaux étudiants, il s'agit d'identifier les choix à opérer pour ainsi éclairer le débat public.

La quantité d'étudiants au détriment de la qualité des formations

L'objectif des 60% de diplômés du supérieur va à l'encontre de la société de la connaissance puisqu'il mise sur la quantité de diplômés plutôt que sur la qualité de la formation qui leur est dispensée. Si le niveau des ressources allouées aux formations n'est pas le seul indicateur tangible de qualité, il permet d'objectiver les choses. La concurrence entre quantité et qualité se manifeste notamment dans la baisse récente des dépenses par étudiant :


Croisement de l'évolution des effectifs étudiants.

On peut systématiser cette corrélation sur la période 2002-2014 pour laquelle les données sont exhaustives. On compare ici l'évolution du niveau de dépenses d'une année à l'autre (2012 versus 2011 par exemple) avec l'évolution des effectifs étudiants d'une année à l'autre (2011/12 par rapport à 2010/11). Les résultats sont édifiants, puisque l'évolution du niveau de dépenses (axe des ordonnées) est bien plus fortement baissière quand les effectifs d'étudiants sont à la hausse (axe des abscisses).

Si corrélation n'est pas causalité, le coefficient de corrélation linéaire (R2= 0,645) ne laisse guère de doute sur l'intensité du lien entre les deux. Sur treize années, le lien peut se mathématiser : quand les effectifs d'étudiants augmentent de 1%, le niveau de dépenses par étudiant baisse lui de 1,13%, ce qui est contrebalancé par une tendance haussière au niveau de dépenses, de l'ordre de 1,8% par an, quelle que soit l'évolution des effectifs d'étudiants.

Évolution des coûts moyens par élève et par étudiant.

Lecture (le point le plus à droite) : entre 2009 et 2010, le niveau de dépenses par étudiant a baissé de 0,6% et, entre 2008/09 et 2009/10, les effectifs d'étudiants ont augmenté de 3,6%.

Ce lien n'a rien d'étonnant en soi et ne suffit pas pour justifier une moindre massification de l'enseignement supérieur, mais il permet d'estimer l'évolution du niveau de dépenses par étudiant d'ici 2025, si l'on prend au sérieux la promesse de François Hollande et les propositions de la Stranes.

En considérant les résultats des treize dernières années, et au regard d'une augmentation des effectifs d'étudiants de l'ordre de 42,9% d'ici 2025 (soit environ 3,0% par an ; autrement dit, 1,04 millions d'étudiants supplémentaires), trois conséquences sont envisageables.

Si cela impacte le niveau de dépenses par étudiant, celui-ci baisserait de 1,7% par an en moyenne d'ici 2025, atteignant alors 9.611 euros par étudiant. Au final, les diplômés seraient certes plus nombreux, mais moins bien formés.

Bien entendu, l'objectif des 60% de diplômés du supérieur dans une classe d'âge peut être atteint dès lors que les dépenses publiques et privées d'enseignement supérieur sur 2014/2025 augmentent bien davantage que sur la période 2002/2014.

Dès lors, l'alternative public/privé se dessine ainsi : accueillir 1,04 million d'étudiants supplémentaires coûterait 12 milliards d'euros par an au coût 2014 d'un étudiant (11.560 euros par an), équivalent à une hausse du budget de l'enseignement supérieur de plus de 40% ; en accueillir toujours autant, mais sans hausse des dépenses publiques, nécessiterait d'augmenter les frais de scolarité moyens d'environ 2.000 euros par an.

La massification contre la démocratisation

La massification universitaire récente s'est accompagnée de deux séries d'évolutions peu transparentes : l'augmentation des frais de scolarité dans l'enseignement supérieur hors universités ; l'augmentation de la sélection à l'entrée des formations universitaires.

La tendance récente est clairement à une hausse des frais de scolarité. Les signes ne manquent pas, du côté des établissements publics fortement autonomes (les instituts d'études politiques) ou ne dépendant pas du Ministère de l'enseignement supérieur (écoles d'ingénieurs) et du secteur privé dont les frais vont croissant.

La méthode a été particulière : les pouvoirs publics, pris dans une crise budgétaire grave, ont limité les dépenses publiques et ont opté pour une politique du "laissez-faire" lorsque des grandes écoles, y compris publiques, ont récemment augmenté leurs frais de scolarité.

L'autre évolution n'a guère encore été étayée par la recherche de façon systématique. Mais de nombreux indices portent à croire que la sélection devient un phénomène massif à l'entrée des filières universitaires. L'Unef estime que 30% des formations proposent des capacités d'accueil trop faibles pour le nombre de candidats.

À l'été 2015, plusieurs centaines de bacheliers s'étaient retrouvés sans affectation dans l'enseignement supérieur, en particulier dans les filières universitaires dites "à capacité limitée", où les candidats sont sélectionnés sur la base d'un tirage au sort.

Quelle filière pour la démocratisation universitaire ?

La question cruciale derrière ces évolutions, c'est celle de la filière qui doit accueillir les enfants de la démocratisation universitaire.

Longtemps, cette fonction sociale a été dévolue à l'université compte tenu de sa conception historiquement uniformisante et égalitaire des études, notamment en matière de non-sélection à l'entrée, de diplôme national, et de quasi-gratuité des études.

De façon pragmatique, les pouvoirs publics y ont trouvé un grand intérêt, l'université étant l'offre de formation la moins coûteuse pour les deniers publics dans le premier cycle (eu égard aux classes préparatoires, IUT et autres STS).

Aujourd'hui, deux choses ont changé : l'université est revenue au cœur de la société de la connaissance recherchée par les gouvernants, et un nouveau secteur, privé à but lucratif, en forte progression ces dernières années, a la vertu de ne pas peser sur les dépenses publiques.

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