Accès à l’université et financement de l’enseignement supérieur et de la recherche : que faire ? (épisode 4)

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Accès à l’université et financement de l’enseignement supérieur et de la recherche : que faire ? (épisode 4)
Le livre blanc de l'enseignement supérieur et de la recherche cible 2 % du PIB pour l'enseignement supérieur en 2027. Cet engagement sera-t-il tenu ? // ©  Université Lumière Lyon 2
Sur le site de "The Conversation France", dans le quatrième et dernier volet d'une série consacrée à l'accès à l'université, Hervé Dole, professeur en astrophysique et physique à l'université Paris-Sud, revient sur un sujet qui ne cesse de faire débat : l'augmentation des frais d'inscription.

Fort des constats évoqués dans les trois épisodes précédents, je propose quelques pistes – finalement assez évidentes et déjà présentes dans le débat public et dans les discussions entre collègues – afin de penser globalement notre système d'accès à l'université et de financement de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR) et de tenter de répondre aux questions : que faire et pour quoi faire ?

Financements

Le principe fondateur d'un enseignement supérieur et d'une recherche performants au niveau international, libres, éthiques, innovants, en lien avec et pour la société et ses citoyens d'aujourd'hui et de demain, est, d'une part, de les financer à une hauteur raisonnable (ce qui n'est pas le cas actuellement) au regard de nos valeurs, de nos ambitions et de nos résultats et de permettre la prise de risque nécessaire à une recherche fondamentale indispensable à une vision de long terme, et, d'autre part, de garder et renforcer quand c'est nécessaire, au sein des universités, ce lien fondamental entre enseignement et recherche.

Les organismes nationaux de recherche ont vocation, s'ils ne le font pas déjà, à jouer un rôle plus important au sein des conseils centraux des universités dans lesquels ils ont un nombre significatif d'UMR (Unités mixtes de recherche) ou d'équipes associées par exemple, et à renforcer la concertation avec les universités sur les décisions de personnels, financières et les outils de gestion.

Le livre blanc de l'enseignement supérieur et de la recherche cible 2 % du PIB pour l'enseignement supérieur en 2027 (et 3 % du PIB pour la R&D). Argumenté, pertinent et apportant l'essentiel de la solution, il propose une augmentation de 1 milliard d'euros (au total, 10 milliards sur dix ans). Ce projet semble cependant peiner à émerger, vu les coupes de 331 millions en 2017 et les incertitudes pour 2018. Nous devons œuvrer collectivement à le faire aboutir. Souhaitons que le nouveau gouvernement et le nouveau Parlement embrassent cette problématique concrètement, pragmatiquement (c'est à la mode) et dans la durée.

Le financement de l'ESR est largement assuré par l'État. Sa contribution récurrente doit augmenter – on vient de le voir, et pas uniquement par appels à projets – tout comme celle des partenaires territoriaux, privés et internationaux qui, a contrario, est déjà en augmentation et semble vertueuse (collectivités territoriales, chaires avec des industriels, projets européens, etc.) à condition de ne pas suppléer aux manques ou baisses de dotation de l'État. La diversification des acteurs privés doit être augmentée (formation continue, R&D, valorisation, entrepreneuriat étudiant) et accompagnée, piste que suivent déjà les établissements.

La contribution récurrente de l'État au financement de l'ESR doit augmenter, tout comme celle des partenaires territoriaux, privés et internationaux.

Il y a nécessité d'augmenter les financements au sein de l'enseignement supérieur pour un meilleur équilibre, afin d'éviter la paupérisation de l'université qui accueille la grande majorité des étudiants et qui souffre d'un sous-financement criant par rapport aux CPGE et grandes écoles on l'a vu dans un épisode précédent. Il faudrait réévaluer la dépense par étudiant à l'université d'environ 30 à 50  %.

Afin d'augmenter la part de financement de l'État préconisée par le livre blanc, quelles pistes suivre ? Par exemple, une réforme du CIR est nécessaire. Sans le supprimer – j'entends dire que les PME et TPE l'utilisent à bon escient – il faut l'amender puisqu'il apparaît clairement des dysfonctionnements, avec notamment une absence quasi-totale d'évaluation scientifique a priori et a posterori. Nous, les scientifiques, sommes évalués scientifiquement et budgétairement avant, pendant et après des projets (HCERES, ANR et ERC par exemple), alors que ce n'est pas le cas pour le CIR. […]

Frais d'inscription. On l'a vu lors d'un précédent épisode, leur augmentation, significative ou pas, ne résoudra pas seule le financement des universités, et repose sur des hypothèses faibles (p. ex., celle du maintien constant du financement actuel, pas observé en Europe). Elle peut, au contraire, dégrader l'accès à l'enseignement supérieur alors que la France accuse déjà un certain retard.

Je propose pour ma part de ne pas augmenter les frais d'inscription (au-delà d'une indexation sur l'inflation ou autre paramètre équivalent) et de réfléchir au financement global comme mentionné plus haut, sans utiliser le levier de l'augmentation des frais d'inscription qui aurait un coût social probablement majeur à terme. Les universités peuvent, en revanche, afficher le coût de leurs formations pour informer les étudiants et la société en général.

Enjeux de l'augmentation du nombre d'étudiants, orientation, dualité universités–grandes écoles

Massification, démocratisation de l'université. Il y a un enjeu de société à former les citoyens vivant en France – et donc aussi venant de l'étranger – dans l'enseignement supérieur, puisque la France a du retard par rapport aux pays comparables. Peu remettent en cause cette démocratisation, mais nombreux sont ceux qui déplorent de nombreuses inadéquations entre les moyens humains et matériels et le nombre d'étudiants, ce qui a obligé par exemple à alléger des maquettes de licence depuis quelques années.

Les universités s'adaptent comme toujours, et créent par exemple des doubles licences ou des licences professionnelles : cela semble une très bonne solution car d'une part l'offre universitaire s'étoffe et s'adapte à son public très hétérogène, et d'autre part, les besoins sociétaux évoluant, ces licences permettent une formation de fond tout en étant en parfaite adéquation avec les demandes de personnels très qualifiés du monde d'aujourd'hui. Il faut cependant des moyens pour ces licences, et recevoir l'adhésion des collègues enseignants-chercheurs pour en ouvrir plus.

Filières en tension et sélection des étudiants. Il est parfois possible d'augmenter la capacité d'accueil de certaines filières en tension, mais ce n'est pas le cas général. Il apparaît nécessaire de jouer simultanément sur trois leviers :

Donner des moyens (humains, matériels, locaux spécifiques) aux universités afin qu'elles puissent augmenter leurs capacités d'accueil, sur un temps long.

À la condition de proposer une place dans une formation proche pour les étudiants éconduits, de sélectionner les étudiants dont le parcours et/ou les résultats scolaires sont en adéquation avec la formation demandée. Ce terme de sélection doit être compris comme "orientation" ou "présence de prérequis" ou autre forme équivalente. Les deux points importants sont : tous les étudiants sont admis à l'université (principe auquel nous tenons), mais dans certaines filières (par exemple en tension ou sélectives), les étudiants peuvent être alors sélectionnés en fonction de critères connus, transparents et objectifs.

Augmenter les formations de remise à niveau en cas de réorientation ou de non adéquation entre le bac et le projet d'études (par exemple pour les bacheliers de séries non scientifiques qui veulent poursuivre en sciences ou médecine), avec une année diplômante sanctionnée par un DU. Benoît Tock de l'université de Strasbourg propose de multiplier les filières professionnelles. Cette année de remise à niveau (ou année propédeutique) ou en filière courte serait de nature à permettre aux étudiants non pris dans les filières en tension et aux étudiants que l'on observe actuellement en situation d'échec (bac inadapté, niveau faible) de reprendre pied dans l'enseignement supérieur.

On pourrait résumer ce point comme suit : dans les filières en tension, orienter les étudiants mais en proposant d'autres formations pour les refusés, et généraliser l'année de remise à niveau (ainsi que de césure) afin d'assurer que tous les étudiants trouvent leur place à l'université (principe que nous défendons) en évitant les taux d'échec actuels en licence.

Dans les filières en tension, orienter les étudiants mais en proposant d'autres formations pour les refusés, et généraliser l'année de remise à niveau afin d'assurer que tous les étudiants trouvent leur place à l'université.

Insertion des CPGE dans le paysage de l'ESR. On pourrait susciter une plus grande perméabilité entre les CPGE et l'université, puisque les CPGE sont en général assez étanches aux résultats de la recherche en train de se faire, souvent à cause du programme de travail très lourd, mais aussi à cause de la déconnexion forte des enseignants de CPGE avec le monde de la recherche.

Cette perméabilité peut prendre la forme, cela commence à se faire, d'un lien privilégié de chaque CPGE avec une université pour permettre une découverte aux élèves, à des échanges, voire à quelques cours ou séminaires d'ouverture donnés par des doctorants ou enseignants-chercheurs (cela fonctionne pour les sciences humaines et sociales et les sciences dures). Dans ce cadre, les TIPE sont un bon levier pour amener les élèves vers les laboratoires des organismes de recherche et des universités, et les entreprises. Un lien privilégié entre chaque CPGE et une université pourrait systématiser et faciliter les échanges.

Rapprochement universités et grandes écoles. Certains (j'en fais partie) caressent l'espoir d'un rapprochement plus effectif entre système universitaire et système des grandes écoles, au bénéfice de tous, sans que personne ne renonce à son système de sélection ou de formation. Je le vois bien dans la Comue Paris-Saclay, composée de 19 établissements et organismes – et qui défraie parfois la chronique –, avec des exemples fructueux de rapprochement, comme un parcours commun en physique entre l'ENS Paris-Saclay et l'Université Paris-Sud, ou encore des masters multi-établissements.

L'intérêt de ce rapprochement est triple. Les étudiants se voient offrir des parcours composés d'enseignements qui font la spécificité et la renommée de chaque établissement. Les établissements élargissent, enrichissent et croisent leurs panels d'étudiants au-delà de leurs contingents habituels, et enrichissent leur offre de formation. Et enfin, les étudiants seront amenés à connaître de manière réaliste, concrète, et respectueuse les spécificités, forces et faiblesse de chaque système, loin des préjugés et en ayant envie, dans leurs futures carrières, de travailler ensemble (voire, conjointement, de faire évoluer les systèmes de formation !).

Cependant, les rapprochements doivent permettre à la fois de préserver une certaine identité mais aussi et surtout de mettre en cohérence les systèmes, sans passe-droits, tout en étant basé sur un projet stratégique scientifique et de formation cohérent élaboré en concertation avec les personnels et étudiants.

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