Des manuels scolaires d’histoire pour la paix ? La chronique de Benoît Falaize

Maëlle Flot Publié le
Dans le cadre de notre partenariat avec l’émission Rue des écoles, sur France Culture, EducPros vous propose chaque mercredi le texte de la chronique de Benoît Falaize* (ou de Nathalie Mons). Cette semaine, Benoît Falaize met en perspective une rencontre entre historiens ou didacticiens de l'histoire venus de Croatie, de Serbie, Bosnie, Slovénie, mais aussi de France et d’Allemagne, autour d’une idée implicite : dessiner un futur commun par un récit commun ou partagé.

«Les manuels scolaires peuvent permettre de faire la paix ou au moins de l’asseoir, une fois la diplomatie passée ? Peuvent-ils contribuer au “dialogue interculturel” ou à l'écriture d'une histoire scolaire commune, après que la guerre a quitté les préoccupations les plus immédiates ? Dites rapidement, ce sont les questions qui ont été posées à Zagreb il y a dix jours de cela, à des historiens ou didacticiens de l'histoire venus de Croatie, de Serbie, Bosnie, Slovénie mais aussi de France et d’Allemagne. Le colloque s’intitulait plus sobrement “Comment enseigner la construction européenne à l’heure de l’intégration des pays d’Europe du Sud-Est”. Avec un sous-entendu constant dans les débats sur comment parvenir à une histoire partagée malgré les déchirements traumatiques yougoslaves. Avec l’idée implicite aussi qu’à écrire un récit commun ou partagé, on pourra dessiner un futur commun de paix.

À l’heure où la Croatie s’apprête à ratifier par référendum son entrée dans l’Union européenne, seize ans exactement après la signature des accords de Dayton-Paris (1995) qui entérinent la fin de la guerre et le partage de la Bosnie-Herzégovine, l’université de Zagreb s’est placée au cœur des réflexions sur l’histoire, sur son écriture scolaire et sur les moyens d’apurer le passé. Comment dire la guerre, dans quatre États qui n’en faisaient qu’un il y a à peine plus de quinze ans ?

Dans ce contexte régional fort, les Allemands et Français y trouvaient une place singulière. Sans doute parce que Allemands et Français représentent sinon un modèle, au moins une voie à suivre sur le chemin de la réconciliation des peuples. La France et l’Allemagne ont réussi à faire en sorte de rédiger un manuel scolaire de lycée commun et, en cela, font figure de modèle à suivre, moyen pacifique de dépasser les conflits et les malentendus liés à la guerre.

Les historiens et pédagogues slovènes et croates, et plus encore serbes, ont expliqué la difficulté à dire une histoire scientifique, désinvestie de tout nationalisme, au prix parfois de cours clandestins le week-end pour échapper au contrôle des tutelles ministérielles.

Les historiens et professeurs bosniaques doivent quant à eux faire une histoire scolaire dans un pays clivé par les accords de Dayton entre une république serbe de Bosnie et une fédération croato-musulmane : comment dire le commun d’un passé, d’un État, quand la diplomatie a fixé la partition selon les principes haineux de l’épuration ethnique ?

Ce qui a été frappant durant ces deux jours de réflexion en commun, ce sont les analyses des manuels scolaires des quatre États réalisées tant par les didacticiens serbes que croates. Si l’on compare les livres actuellement produits depuis une dizaine d’années, il semble que, sur l’ensemble des sujets historiques, parfois seuls trois ou quatre événements ou thèmes sur cent sont traités de façon identique, non seulement dans leur interprétation, mais également dans l’exposition des faits (y compris de la date !). On le constate, il y a du travail à faire pour arriver à une lecture juste et historienne fiable de l’histoire principalement du XXe sicèle, mais pas seulement.

Mais est-ce un travail qui concerne l’école uniquement ? On sent bien que tant que l’université de chaque pays ne pourra s’entendre avec les chercheurs frontaliers sur un même sujet lié au roman national, la transcription scolaire de cette histoire ne pourra être pleinement assurée. Il y a donc une urgence à penser le passé, ou à le panser (p.a.n.s.e.r.), comme on panse les plaies d’un trauma. L’école ne peut – et c’est une considération qui vaut également pour la France, l’Allemagne et tous les pays qui connaissent des sujets sensibles, des « passés qui ne passent pas » – transmettre un savoir apaisé si le travail universitaire n’a pas eu lieu ou ne peut avoir lieu. C’est un préalable. Et l’exemple yougoslave le montre pleinement : alors que chaque entité nationale était intégrée à un même État non démocratique, la science historique n’a pu se développer avec équité et neutralité. Le chemin sera encore long, mais l’initiative de Zagreb montre à n’en pas douter le chemin.»

Benoît Falaize
Université de Cergy-Pontoise

* Auteur (avec Elsa Bouteville) de L’Essentiel du prof d’école, l’Etudiant/Didier, 2011.

Maëlle Flot | Publié le