"La politique fiscale, signe d'une vision libérale de l'éducation ?", la chronique d'Emmanuel Davidenkoff

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Le projet de suppression de l’avantage fiscal accordé aux familles dont les enfants suivent des études aura probablement peu d’effet sur les taux de scolarisation. Le message politique, lui, est pour le moins inattendu de la part de la gauche. Cette chronique a été publiée dans l'Écho républicain.

L’éventuelle suppression de l’avantage fiscal accordé aux familles dont les enfants suivent des études secondaires ou supérieures n’empêchera probablement aucun enfant d’aller au collège, au lycée ou à l’université. Au collège car la scolarité est obligatoire jusqu’à 16 ans ; au lycée car nul ne renoncera au bac pour 153 euros par an ; à l’université pour les mêmes raisons : les sommes investies par les familles pour permettre à leurs enfants d’effectuer des études supérieures excèdent largement les 183 euros d’avantage fiscal dont elles bénéficient actuellement.
La facture sera certes plus douloureuse pour les familles nombreuses, et il faudra, comme il l’a laissé entendre, que le gouvernement prévoie des exceptions pour les familles modestes mais imposables. Pour autant, les Cassandre qui se manifestent ici ou là pour annoncer que cette mesure stopperait définitivement l’ascenseur scolaire en seront pour leurs frais.

Cette mesure, en revanche, porterait une signification symbolique pour le moins déroutante de la part d’un gouvernement de gauche. Cette dernière n’a en effet cessé de plaider en faveur de l’allongement des études pour le plus grand nombre, et d’affirmer que l’éducation, y compris dans le supérieur, était un bien commun, un bénéfice pour la collectivité, avant que de constituer un atout individuel – ce qui justifie l’attachement à la quasi gratuité des études supérieures dans le secteur public.
L’avantage fiscal dont bénéficient les familles peut être vu comme le corolaire de l’objectif fixé par la loi Jospin de 1989 et confirmé depuis par toutes les lois, y compris la loi Fillon de 2004, de diplômer ou de qualifier 100% des jeunes. Idem de l’ambition, là encore défendue par la gauche comme par la droite, de porter à 50% d’une génération la proportion des diplômés au niveau bac+3.

En supprimant cette incitation fiscale, modeste mais réelle, la gauche admettrait en outre implicitement que le fait de poursuivre des études répond avant tout à un choix que les jeunes et les familles effectuent dans l’espoir d’en tirer un bénéfice individuel, et non à une exigence collective. Où l’on glisse, au moins intellectuellement, vers une vision libérale du rôle des études secondaires et surtout supérieures qui, dans d’autres pays, justifie le fait de demander une robuste contribution financière aux familles.
Là encore, gardons-nous de conclusions excessives : un large pan de l’enseignement supérieur est privé, ce qui signifie que des centaines de milliers de familles estiment déjà que l’obtention d’un "bon" diplôme peut être considérée comme un investissement. Quant à l’enseignement scolaire, il est le théâtre de stratégies concurrentielles extrêmement conquérantes de la part de nombre de familles, qui font vivre un "marché scolaire" dont l’existence n’est plus à prouver (1). Mais, là encore, on ne s’attendait pas forcément à ce que la gauche entérine cette vision, réputée libérale, des études.

(1) cf Les marchés scolaires, Georges Felouzis, Christian Maroy et Agnès Van Zanten, PUF, 2013.

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