"Le bulletin, symbole des attentes de l'institution scolaire", la chronique d'Emmanuel Davidenkoff

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Trop souvent, les bulletins scolaires sanctionnent des attitudes plus qu’ils n’informent sur la robustesse des acquisitions. Au risque de laisser entendre que l’école est une entreprise de soumission à la norme sociale et non un lieu dédié à l’apprentissage ? Cette chronique a été publiée dans L'Écho républicain.

"Remplir un bulletin scolaire est une tâche exigeante et difficile pour les équipes enseignantes [dont] l'objectif est d'abord d'encourager l'élève à progresser plutôt que de l'enfermer dans une évaluation-sanction".  Il convient de bannir "tout vocabulaire trop vague ('peut mieux faire', 'moyen'), réducteur ('faible', 'insuffisant') voire humiliant ('inexistant', 'nul', 'terne') , vocabulaire qui n'aide aucunement l'élève. (…) Il faut dire à l'élève ce qu'il fait et ce qu'il doit faire et privilégier les appréciations de nature à l'encourager pour que le bulletin trimestriel remplisse réellement son rôle éducatif." Ces citations ne sont pas extraites d’un brûlot appelant à révolutionner l’école mais d’une circulaire de l’Education nationale datant de 1999. Elles sont rappelées par l’ancien proviseur Gilbert Longhi dans un article récemment paru sur le site Le café pédagogique.

Comme tant d’autres textes officiels, à commencer par les lois successives, cette circulaire, quinze ans  après sa publication – quinze ans ! – est encore loin d’avoir changé les pratiques. Trop souvent, les mentions portées sur les bulletins mêlent allègrement évaluation scolaire et jugement sur l’attitude, comme si la vocation de l’école était avant tout d’apprendre aux enfants et aux adolescents à se conformer à des normes de comportements, comme si la soumission aux codes sociaux – politesse, silence, obéissance – constituait l’alpha et l’oméga des objectifs de l’école. Elles omettent en outre régulièrement de donner aux élèves d’autres pistes pour s’améliorer que des invitations à "travailler plus", à mieux "se concentrer" ou à "faire des efforts".
Les appréciations laudatives se révèlent également aussi peu utiles, même si elles sont toujours agréables à lire – savoir qu’on est un "élève sérieux" ou qu’on a fourni un "bon travail" renseigne modestement sur ce qu’il convient de faire pour progresser, a fortiori quand le "sérieux" ou le "bon travail" coïncident avec des notes  dont la médiocrité indique bien qu’il reste des lacunes à combler.

Evidemment, le bulletin n’est qu’un instrument d’évaluation parmi bien d’autres. Mais il revêt une charge symbolique puissante, aussi bien pour les élèves que pour les parents, lesquels n’ont pas accès, au quotidien, aux autres moyens que les enseignants mettent en œuvre afin d’évaluer leurs élèves et de les aider à progresser. Ils expriment également, là encore de manière très solennelle, la nature des attentes de l’institution. Qu’elle persiste à sanctionner la docilité des corps et des esprits plutôt que de les encourager à la créativité et au mouvement en dit long sur le chemin qui reste à parcourir pour faire entrer l’école dans ce XXIe siècle qui bouleverse notre rapport au savoir et ébranle les certitudes qui, depuis l’invention du livre jusqu’à la révolution industrielle en passant par l’encyclopédisme des Lumières, sous-tendent notre inconscient scolaire.

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