Le fantasme de l'école "low cost"

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Les opposants au numérique font planer le spectre d'une école "low cost", sous-entendu de moindre qualité. Oubliant que l'école "low cost" existe déjà, et qu'elle est majoritaire en France. La chronique d'Emmanuel Davidenkoff, directeur de la rédaction de l'Etudiant.

"Des fantasmes qui circulent autour de l'impact possible du numérique à l'école et dans le supérieur, la perspective de voir émerger une éducation "low cost" est à la fois un des plus répandus et un des plus paradoxaux.

Premier paradoxe : il évite de préciser que l'éducation, contrairement par exemple au transport aérien, repose sur une économie massivement subventionnée. Une éventuelle baisse des coûts ne risque pas de se répercuter sur le consommateur, lequel, dans la majorité des cas, paie déjà très peu (le privé hors contrat ne représente que 5% du marché dans le scolaire, 20% dans le supérieur).

Deuxième paradoxe : l'essentiel du budget de l'éducation est consacré à rémunérer les enseignants. Pour diminuer les coûts, le levier le plus immédiat consisterait à payer moins d'enseignants. Or la plupart des acteurs et experts du secteur estiment que le numérique, s'il invite à une réinvention du rôle des enseignants, ne pourra pas s'y substituer – voire, dans certains cas, qu'il implique d'augmenter le nombre d'adultes dans les établissements. L'idée de remplacer l'homme par la machine n'est pas diffusée par les acteurs du numérique mais par ses détracteurs.

Troisième paradoxe : le spectre d'une éducation "low cost" à venir suppose que notre éducation ne serait pas "low cost" aujourd'hui. Or elle l'est, en tout cas à certains niveaux d'enseignement. Dans le scolaire, la France, comparativement aux autres pays développés, surinvestit pour le secondaire mais sous-investit pour le primaire ; dans le supérieur elle surfinance les classes préparatoires et certains fleurons de ses grandes écoles (certaines rémunèrent même leurs élèves) mais sous-finance les universités, qui accueillent la majorité des étudiants. Pour le dire autrement, Education nationale et Enseignement supérieur pratiquent une politique finalement pas très éloignée des compagnies aériennes : elles panachent offres "premium", réservées aux élites, et produits de base "low cost" pour gérer les grandes masses.

Education nationale et Enseignement supérieur pratiquent une politique finalement pas très éloignée des compagnies aériennes : elles panachent offres "premium", réservées aux élites, et produits de base "low cost" pour gérer les grandes masses.

Mais surtout, ce fantasme ignore que certains acteurs du numérique se sont bâtis non pas sur une politique "low cost" mais en offrant de nouveaux services. Un livre acheté sur amazon coûte un centime de plus, correspondant aux frais d'envoi, que le même livre acheté dans une librairie classique. Un album téléchargé via iTunes ne coûte que quelques euros de moins que le même acheté sous forme de CD. Un objet acheté via leboncoin ne coûte pas forcément moins cher que le même objet chiné lors d'un vide-grenier. Les offres réellement "low cost" se sont bâties non sur la réinvention d'un système de distribution mais en apportant une valeur ajoutée nouvelle ou en faisant intervenir de nouveaux acteurs sur le marché – notamment les particuliers en les amenant à coopérer par exemple pour échanger leurs logements ou partager leur véhicule.

L'histoire du numérique, dans l'éducation comme dans les autres secteurs, n'est pas encore écrite. S'il permet à des pédagogues imaginatifs de standardiser tout ou partie des enseignements, il verra émerger des offres "low cost". Mais rien ne permet aujourd'hui de l'affirmer. Et il est bien plus probable qu'il permettra, au moins dans un premier temps, d'améliorer des offres existantes non seulement sans générer d'économies mais en augmentant les coûts. Le véritable enjeu est donc de savoir qui supportera cette augmentation, des individus ou de la collectivité."

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