"Méthodes de lecture : du plaisir avant toute chose", la chronique d'Emmanuel Davidenkoff

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Dans un album aussi beau que plaisant, le journaliste Philippe Simon plonge avec gourmandise dans les méthodes de lecture de notre enfance. D’où il ressort que la méthode importe peu, tant qu’on accède à l’ivresse la lecture. Cette chronique a été publiée par l'Echo Républicain.

Voici un ouvrage qui aurait fait le plus grand bien au débat public en 2006, quand la querelle des méthodes de lecture, réactivée par Gilles de Robien, opposait en des tribunes enflammées "syllabistes" et "globalistes". Signé par le journaliste Philippe Simon et préfacé par l’écrivain Philippe Delerm, il est intitulé Les méthodes de lecture de notre enfance (éditions de La Martinière, 2014).

Il s’annonce en couverture, avec ses "ba, be, bi, bo, bu" claquants, comme un hymne aux vertus de la syllabique. Patatras. Sitôt tournée la première page, on découvre – ou redécouvre – que l’affaire est bien plus complexe, et que même la célébrissime méthode conçue en 1906 par Mathurin Boscher était considérée, à l’époque, comme parfaitement compatible avec un démarrage via la méthode globale, laquelle ne fut pas inventée par quelque laxiste soixante-huitard mais par de bons moines, au Moyen-Age, qui enseignaient la lecture via l’apprentissage des psaumes, selon une approche également cousine de la la méthode dite "naturelle", celle que décrit Marcel Pagnol dans La gloire de mon père, qui consiste en un apprentissage par l’immersion échappant aux autres catégories (elle influença également Célestin Freinet).

Dès le début du XXe siècle, les instituteurs qui conçoivent ces méthodes font preuve d’un robuste bon sens. Pour que la lecture prenne chez l’enfant, tous les ingrédients sont bons à prendre, expliquent ces hussards noirs de la République, souvent enfants de la Laïque, du socialisme et de la franc-maçonnerie, à l’instar de Boscher. Ce qui distingue leurs propositions successives tient moins au choix d’une méthode contre une autre, mais au souci de rendre la lecture plaisante. Le travail de l’image est soigné, et l’on en appelle à divers ressorts du plaisir pour susciter le désir, au premier rang desquels le beau et le drôle, comme en témoignent les titres de certaines de ces méthodes : Au jardin des images (1923), En riant, la lecture sans larmes (1931), Le coffre aux joujoux (1934), Les belles images (1948), Je saurai lire vite… et bien (1956)…

L’album se referme en 1977, avant que linguistes et psychologues ne commencent à se mêler de l’affaire, façon pour l’auteur de laisser entendre que le souci "d’apprendre à lire, plaire et éduquer", placé au cœur de ces méthodes, était peut-être mieux porté par des praticiens que par des savants, non tant que ces derniers soient incompétents, mais parce qu’ils n’éprouvent peut-être pas, quasi charnellement, la part de bienveillance et l’infinie patience que requiert, de la part du professeur, l’enseignement de la lecture.

Sans doute fallait-il un ex instit devenu journaliste pour offrir aux lecteurs un tel ouvrage, qui caresse la nostalgie sans y céder, qui affirme que la mobilisation de tous les sens est la meilleure voie d’accès au sens, et qui éclaire le débat public avec l’attention exigeante et empathique que l’on rêve d’un maître ou d’une maîtresse, pour soi, pour ses enfants ou pour ses petits-enfants.

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