Perspectives historiques sur le moral des enseignants : la chronique de Benoît Falaize

Maëlle Flot Publié le
Dans le cadre de notre partenariat avec l’émission Rue des écoles, sur France Culture, EducPros vous propose chaque mercredi le texte de la chronique de Benoît Falaize ou de Nathalie Mons. Cette semaine, Benoît Falaize donne des perspectives historiques sur un thème d'actualité : le mal-être des enseignants.

" Les constats sont nombreux depuis quelques années, qu’il s’agisse de celui des travaux de Georges Fotinos dans le cadre de la MGEN ou de ceux de Françoise Lantheaume et Christophe Hélou sur la souffrance des enseignants .
Que pointent ces chercheurs ? D'abord le sentiment d'impuissance devant le manque d'intérêt ou la difficulté a susciter l'intérêt des élèves. L'entrée dans la culture, le regard porté par les élèves sur la culture semble de plus en plus problématique. Le sentiment que ce n'est plus comme avant et que « Les élèves ne sont plus les mêmes » du CP aux classes préparatoires, scandent les enquêtes. Du même coup, nombreux sont ceux qui sont obligé de passer par des ruses, des contournements, des anticipations des élèves et de leurs réactions toujours plus importantes, toujours plus lourdes pour des professeurs qui ont choisi ce métier essentiellement, dans le secondaire, pour l'intérêt de leur discipline. La fatigue, le sentiment de ne pas pouvoir y parvenir vienne alourdir le tableau.
Autre difficulté, celle des injonctions faites aux professeurs, celles qui concernent non seulement les programmes, mais aussi les modes d'évaluations, ou encore les logiques de performances d'une institution scolaire de plus en plus centrée sur les objectifs internationaux (PISA, Pirls...) plus que sur la possibilité effective de faire cours avec les élèves face à soi.
Enfin, ce que pointent le travail de Lantheaume et Hélou, c'est le lien aux hiérarchies administratives de l'institution. Une incompréhension et une absence de reconnaissance dont témoigne largement l'enquête.


Est-ce qu’il s’agit d’un phénomène récent ? ou peut-on retrouver dans l’histoire de l’école d’autres moments où le moral des enseignants est discuté, comme une question importante ?
Il y a trois grands moment où, historiquement, même s'il s'exprime de manière singulier et dans des contextes radicalement différents, ce malaise enseignant émerge. Trois textes nous le disent, à trois moments différents de l'histoire de l'école : d'abord Louis Joxe, qui, après les mouvements lycéens de mai 1968, publie en 1972 un rapport sur les conditions d'enseignement et pointe la dégradation de la relation pédagogique dans le secondaire, avec des enseignants qui se trouvent face à « des élèves qui se croient autorisées à ne rien attendre » en étant de plus en plus éloignés de la culture du professeur.
Ensuite Roger Denux, ancien instituteur, qui rejette (dans un livre tristement intitulé Le drame d'enseigner, La Fenêtre ouvert éditions, 1944) l'accusation que Vichy porte sur le monde enseignant dans la responsabilité de la défaite de 1940. Ici, c'est la reconnaissance encore une fois qui est au cœur.
Et enfin Charles Péguy, qui, dans De Jean Coste, dresse le constat d'une institution scolaire qui exige ce que l'instituteur ne peut fournir avec sa paye, partageant la misère sociale des villages, travaillant sans relâche jusqu'à 16h pour les enfants, jusqu'au soir pour les adultes qu'il faut alphabétiser.
Dans les trois cas historiques que je viens de citer, qui ne sont bien evidement pas comparables entre eux ni avec aujourd'hui, on retrouve les deux éléments de base : le lien avec les conditions sociales d'exercice du métier ; le lien avec les hiérarchies administratives et l'absence de reconnaissance de l'institution.
On peut le noter, il s'agit à chaque fois de moments d'intenses crises historiques. Il n'y a pas loin de penser que, si l'on suit ces incursions historiques, nous sommes bien dans un de ces moments où les fondements même du rapport entre l'école, ses agents les plus fondamentaux que sont les maîtres, et la société politique sont en pleine redéfinition."

Benoît Falaize

(1) La Souffrance des enseignants. Une sociologie pragmatique du travail enseignant, Françoise Lantheaume, Christophe Hélou, PUF, 2008.
(2) Rapport de la Commission d'études sur la fonction enseignante dans le secondaire, Louis Joxe, La Documentation française, 1972, cité in Une histoire de l'école, ouvrage collectif sous la direction de François Jacquet-Francillon, Retz, 2010.

Maëlle Flot | Publié le