Polytechnique : école d’État ou fleuron d’une université mondiale ?

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Polytechnique : école d’État ou fleuron d’une université mondiale ?
Ecole polytechnique // © 
Sur le site de "The Conversation France", Jean-Pierre Nioche, professeur émérite à HEC, relit les conclusions du rapport de Bernard Attali consacré à la place de Polytechnique au sein de l'université Paris-Saclay.

La "grande fusion" de dix écoles au sein de Polytechnique, réforme-phare du rapport de Bernard Attali, est-elle d'inspiration trop franco-française ? L'auteur défend une stratégie plus internationale.

"Saclay est une chance pour l'X. L'X est une chance pour Saclay", proclame Bernard Attali dans le rapport qu'il a remis en juin 2015 sur "l'avenir et la stratégie de l'École Polytechnique", aujourd'hui incluse dans l'Université de Paris-Saclay (UPSaclay), elle-même sommée par l'État de devenir un champion mondial.

La réforme-phare de ce rapport est la "grande fusion" de dix autres écoles au sein de l'X. Or ce projet découle moins d'une analyse internationale que d'une inspiration franco-française. Définir une stratégie conjointe de l'X et de l'UPSaclay supposerait au contraire une démarche stratégique universitaire et internationale.

En matière universitaire, le concept de taille critique fait office de pensée stratégique dans les milieux dirigeants français depuis la parution du classement de Shanghai. Bernard Attali en fait un usage particulièrement biaisé. Le rang médiocre de l'X dans les classements internationaux serait du à une taille insuffisante : "La plupart des écoles ou universités d'excellence mondiales rassemblent entre 9.000 et 20.000 étudiants, soit trois à sept fois la taille actuelle de l'École polytechnique".

L'auteur compare ce qui n'est pas comparable : une école d'ingénieurs incluse dans une université, l'X au sein de l'UPSaclay et des universités diversifiées telles que le MIT, Stanford ou Berkeley. Or les écoles d'ingénieurs de ces universités ont une taille égale ou peu supérieure à celle de l'X et CalTech, champion mondial, a une taille inférieure à cette dernière.

Si l'on compare maintenant les effectifs des universités, c'est l'UPSaclay, avec 68.000 étudiants, qui est trois à sept fois plus grande que les universités évoquées par l'auteur. La "grande fusion" ne trouve donc pas sa justification dans cette comparaison internationale. Elle s'explique mieux d'un point de vue hexagonal.

Une "grande fusion" franco-française

Car regrouper autour de l'X les "écoles d'applications" qui donnent accès aux corps d'ingénieurs de l'État n'est pas une idée neuve. Imaginée comme bastion de résistance de ces écoles contre les projets de rapprochements universités-grandes écoles, elle a pris une forme "associative" avec ParisTech.

Ce groupement a été sacrifié par le gouvernement Fillon au bénéfice du projet de Saclay, où se trouvaient impliqués la majorité de ses membres. Bernard Attali confirme l'enterrement de ParisTech, mais propose de (re)créer un "néo-ParisTech" au sein de l'UPSaclay, sans tenir compte des changements intervenus entre-temps.

Car l'auteur ne se contente pas des huit écoles présentes ou prévues sur le plateau de Saclay. Il veut que l'État force à rejoindre le plateau de Saclay l'École des Ponts et chaussées, intégrée dans Université Paris-Est, l'École des mines, membre de Paris Sciences et Lettres et Supaéro, devenue ISAE, pilier scientifique du cluster aéronautique et spatial de Toulouse.

En pur jacobin, notre auteur se montre indifférent à la fois aux dégâts collatéraux qu'induiraient ces déménagements sur d'autres territoires, à leur coût faramineux et aux risques d'échec d'une "grande fusion", alors que la fusion entre l'X et l'ENSTA, établissements proches et relevant du même ministère, a échoué.

Quoi qu'il s'en défende, l'auteur propose de constituer un "bunker" des formations d'ingénieurs au sein de Saclay, qui donnerait naissance à une "école" de 15.000 élèves, soit plus grande que les huit écoles d'ingénieurs du GeorgiaTech, le plus grand ensemble du secteur aux États-Unis.

Celle-ci ne serait plus l'École Polytechnique, dont l'identité enracinée dans les sciences fondamentales serait diluée dans un ensemble hétérogène. Elle ne serait même plus une "grande école", dont la qualité repose sur l'attention aux élèves permise par une taille limitée.

Ton jacobin

Alors que le cœur de la stratégie d'une institution d'enseignement supérieur est constitué de ses politiques de formation et de recherche, l'auteur n'en dit rien, ou presque. Tout juste recommande-t-il qu'en sciences économiques, l'X s'oriente dans une voie plus "pratique". Oubliant que sur les trois prix Nobel attribués à des X, deux l'ont été à des économistes "théoriciens", Maurice Allais et Jean Tirole.

L'auteur préconise un recrutement post bac pour l'X. Ce qui est plutôt le signe d'une école de second rang reviendrait à créer, à côté des classes préparatoires, une deuxième filière concurrente des premiers cycles universitaires. Soit le contraire de ce qui est attendu d'un rapprochement entre écoles et universités, entre l'X et l'UPSaclay.

Les autres recommandations sont banales, consensuelles et déjà en cours de mise en œuvre. Préconiser le développement des recrutements internationaux, de la recherche, de la formation doctorale, de la diversité et de la mixité chez les élèves, de l'entreprenariat ou des MOOC recevra l'approbation de tous. Surtout si, comme l'auteur, on ne s'encombre pas de la question des moyens.

Sur les relations de l'X avec l'État, l'auteur est conservateur sur l'essentiel en confirmant le monopole de l'X sur l'accès aux corps des ingénieurs de l'État. Il réserve ses audaces aux modalités d'application. Car si la suppression du classement de sortie ou de la rémunération des élèves peut agiter certains milieux polytechniciens, ce sont des détails du point de vue international.

Le rapport propose de renommer l'X après fusion "École polytechnique de Paris", mesure adaptée à une école indépendante voulant se distinguer de ses éponymes de Lausanne et de Zurich, mais incongrue pour une école engagée dans l'Université de Paris-Saclay et qui l'affiche dans son nouveau logo. L'X est déjà l' "École polytechnique de Paris-Saclay".

La forme du rapport confirme son inspiration. Rédigé à la première personne, il ne comporte pas, contrairement aux usages, la lettre de mission du Premier ministre. Il repose sur la consultation de quelques 130 personnalités, toutes françaises sauf une, et relevant principalement de l'administration d'État. Le ton est jacobin, appelant à un "retour de l'État", qui doit "reprendre la main" et "dire qui est le leader".

Cette intention se traduit en matière de gouvernance. Paru le 25 septembre 2015, le nouveau statut de l'X est conforme au souhait de Bernard Attali : un "grand établissement", à exécutif fort, sous la tutelle du ministère de la Défense. Or ce choix est en contradiction avec le projet de "grande fusion". Qu'est-ce qui pourrait justifier que Centrale-Supélec, l'ENS Cachan ou AgroParisTech passent sous tutelle du ministère de la Défense ?

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