Quelle place pour les parents dans l’école ? La chronique de Benoît Falaize

Maëlle Flot Publié le
Dans le cadre de notre partenariat avec l’émission Rue des écoles, sur France Culture, EducPros vous propose chaque mercredi le texte de la chronique de Benoît Falaize ou de Nathalie Mons. Cette semaine, Benoît Falaize (université Cergy-Pontoise) s’interroge sur les dernières mesures visant à renforcer la présence des parents à l’école. La démission des parents tant stigmatisée par les politiques n’est-elle pas un mythe ?

"La publication sur le blog de Philippe Watrelot pour le CRAP (Cercle de recherche et d'action pédagogique, qui publie les Cahiers pédagogiques) de l'ensemble des programmes électoraux en matière d'éducation a retenu l'attention de tous ceux qui ont fait des vœux pour l'école en 2012. Et ils sont nombreux, les vœux, et ceux qui en font...
En revanche, compte tenu du format de cette «carte blanche», je voudrais m'arrêter sur une question qui fait peu débat, et qui ressort dans la proposition 7 de l'UMP de son programme consacré à l'éducation, «Du savoir pour tous à la réussite de chacun». Cette proposition s'intitule « Associer les parents à la scolarité de leur enfant » et s'inscrit dans un champ de problématiques qui émergent très largement dès les années 1990.
Au-delà de deux dispositifs qui y sont cités, « la malette des parents » expérimentée dans l'académie de Créteil, et le programme installé par, non pas Luc Chatel, mais Claude Guéant, ministre de l'Intérieur : «Ouvrir l'école aux parents pour réussir l'intégration», les résultats présentés comme apparemment positifs reposent entre autres sur le fait que les parents qui y participent sont eux-mêmes volontaires, ce qui est déjà signe de leur investissement. Reste bien sûr ceux qui ne se portent pas volontaires, parmi les familles les plus populaires et les plus en difficulté, qui en ont le plus besoin, et qui sont les plus nombreux.

Pourquoi dites-vous que cette question fait peu débat ?
Parce qu'elle rencontre un lieu commun d'une grande partie de l'Éducation nationale, enseignants compris. En effet, il est habituel de penser que, si les parents sont invisibles, peu présents aux réunions, parfois en retard ou absents des rencontres avec les professeurs, c'est qu'ils se désintéressent de la scolarité de leurs enfants. Ceux dont on dit : «De toutes les façons, on ne les voit jamais.»

Or, ce phénomène est désormais bien connu et les parents véritablement absents ou négligeants existent peu en fait. L'absence des parents s'explique souvent par une forme de distance sociale - parfois par une honte sociale - devant l'école. Par crainte de l'institution devant laquelle il faut «bien s'exprimer», et pas uniquement quand il ne s'agit pas de sa langue première. Mais rien ne dit que ces parents ne soient pas investis d'une autre manière, moins visible à la maison. Et que leurs attentes ne soient pas rigoureusement les mêmes que n'importe quel autre parent. Voire plus fortes encore, eu égard à l'investissement et à l'importance que l'école peut représenter aux yeux de familles en difficulté sociale.

Dans les enquêtes existantes, presque tous ont le sentiment que l'école est une chose importante et expriment l'espoir de voir leurs enfants «s'en sortir» mieux qu'eux. Quand on interroge ces parents dits «démissionnaires» ou «défaillants», ils expriment volontiers leur souhait de voir leur enfant parvenir à trouver un travail moins fatigant, moins mal payé, moins dégradant en un mot. Dans ces études, ces parents ont souvent tendance à se déconsidérer professionnellement, à «avouer» l'indignité de leurs tâches.

C'est exactement ce que montre Bernard Lahire dans ses travaux sur l'école...
Absolument. Bernard Lahire le montrait parfaitement dans son ouvrage Tableaux de famille (1). Et plus récemment les travaux d'Agnès Van Zanten (L'École de la périphérie, 2001) ou de Laurence Giovannoni (2). Lahire parle même d'un mythe, quant au thème de la démission parentale. « Ce mythe est produit par les enseignants qui, ignorant les logiques de configurations familiales, déduisent à partir des comportements et des performances scolaires des élèves que les parents ne s'occupent pas de leurs enfants et laissent faire les choses sans intervenir. »

Et voilà ce qui n'est évidemment pas l'objet des analyses positives et iréniques de la proposition 7 de l'UMP. Car les relations parents-enseignants suivent la logique des sociabilités ordinaires : les parents de classes moyennes et supérieures sont ceux qui rencontrent le plus les enseignants de manière informelle, ceux qui étayent le plus la réussite de leurs enfants.

Si l'on pouvait formulé un vœu pour 2012, c'est sans doute celui-ci : que l'ensemble de l'institution se préoccupe réellement et sérieusement des pesanteurs sociales sur les relations entre les parents et l'école, qu'elle cesse de désocialiser cette question pour les familles qui en ont le plus besoin. Sans irénisme, sans fausse naïveté, et surtout sans cynisme, car la situation est urgente de définir une véritable démarche éducative non «pour chacun», mais bien pour tous. À moins d'une démission de l'institution elle-même."
Benoît Falaize
Université Cergy-Pontoise
(auteur avec Elsa Bouteville de L'Essentiel du prof d'école, Didier/l'Etudiant, 2011)

(1) B. Lahire, Tableaux de famille, Gallimard/Le Seuil, 1995.

(2) L. Giovannoni, La «Démission parentale», facteur majeur de délinquance : mythe ou réalité ?, Sociétés et jeunesses en difficulté [en ligne], n° 5, printemps 2008, mis en ligne le 4 août 2008, consulté le 4 janvier 2012.

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