"Rien de plus aisé que de faire le procès des notes", la chronique d'Emmanuel Davidenkoff

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Prétendre refonder le système d'évaluation, comme vient de le faire Benoît Hamon, n'est pas sans danger.... La chronique d'Emmanuel Davidenkoff, directeur de la rédaction de L'Etudiant.

Rien de plus aisé que de faire le procès des notes pour, au terme d'un brillant élan oratoire, réclamer leur suppression. L'on peut adopter le ton mathématique : sachant que l'on retrouve en moyenne la même proportion de bonnes, moyennes et mauvaises notes dans toutes les classes, noter consiste avant tout à classer et non à mesurer l'acquisition de connaissances dans l'absolu - c'est la "constante macabre" chère, justement, au mathématicien André Antibi.

Sur le ton psychologique : combien de bonnes volontés enfantines et adolescentes furent-elles découragées par quelque évaluation perçue comme humiliante et ayant abîmé "l'estime de soi", ressource si précieuse pour tisser un lien de confiance avec l'école et, plus généralement, avec autrui. Le ton égalitariste : à quoi servent les notes si ce n'est à classeŕ, trier, hiérarchiser et, au bout du compte, à légitimer un ordre social qui, peu ou prou, permet aux classes dominantes de conforter leur domination. Le ton comparatiste : les pays nordiques ne font intervenir la notation que très tardivement et cela ne les empêche pas d'obtenir de meilleurs résultats que la France aux évaluations internationales. Ou encore le ton scientifique : la notation chiffrée n'est qu'un outil parmi d'autres de l'évaluation, que cette dernière soit diagnostique, formative ou certificative, et il convient de la ramener à sa juste place. Quel que soit l'angle d'attaque la note est une cible facile pour les bretteurs du débat sur l'éducation qui, tel Cyrano, pourront à l'envi clore leurs tirades d'un martial : "à la fin de l'envoi, je touche !".

Tous ces arguments, recevables, sous-tendent la décision de Benoît Hamon, le ministre de l'Education nationale, de créer une commission qui se consacrera à formuler des propositions afin de faire évoluer notre système d'évaluation. La suite est déjà écrite : l'opposition accusera la majorité de vouloir casser le thermomètre pour faire croire à la guérison du malade et stigmatisera à l'envi ce nouvel indice du laxisme pédagogique de la gauche - elle a déjà posé ses premières banderilles.

Rien ne dit qu'une majorité de français, de droite comme de gauche, souhaite un monde où les rigueurs de la sélection s'atténueraient.

La polémique sera d'autant plus incandescente que chacun se sentira autorisé à y participer (après tout, les notes, nous en avons tous eu, nous connaissons). L'on scrutera les expériences alternatives déjà mises en place à tous les étages du système éducatif, qui pour prouver qu'elles n'ont en rien impacté le niveau des élèves, qui pour déceler une amélioration qui, selon les cas, sera liée à l'acquisition des connaissances ou à l'engagement des élèves et à leur attitude. En vain : le recul manque, et les expériences sont trop hétérogènes pour que l'on en tire mieux que des indices. Sans parler des initiatives qui se contentent de changer l'échelle de la notation sans en modifier la nature (croit-on que les élèves américains, évalués sur une échelle de quelques lettres, se comparent moins, se concurrencent moins, se sentent moins humiliés quand ils ne décrochent pas le A espéré ?).

L'affrontement, comme si souvent en matière pédagogique, sera donc purement idéologique et renverra à cette simple question : quelle société souhaitons-nous construire - étant entendu que l'école en est la matrice autant que le miroir ? Or rien ne dit qu'une majorité de français, de droite comme de gauche, souhaite un monde où les rigueurs de la sélection s'atténueraient. Le gouvernement lui-même la tient pour une vertu, puisqu'il vient de décider que les lycéens obtenant les meilleurs notes au bac devaient trouver place dans une filière sélective (BTS, DUT ou classe préparatoire). Et la tendance du marché, au moins dans l'enseignement supérieur, est nette : ne pas apposer le sceau de la sélection sur une formation en atténue mécaniquement la puissance de séduction.

Croire qu'une commission suffira à déminer ce terrain hautement inflammable et à poser les bases d'une réelle refondation de l'évaluation scolaire semble, dans ce contexte, quelque peu hardi. Le précédent des rythmes scolaires est là pour le prouver.

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