"Orientation : un projet de réforme peut en cacher un autre"

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Bruno Magliulo, inspecteur d’académie honoraire, s’interroge sur le bien-fondé d’un transfert de responsabilité vers les familles concernant l’orientation post-troisième. Comment comprendre cette mesure, qui semble aller à l’encontre de la volonté du ministère de l’Éducation nationale d’augmenter le taux d’orientation vers la voie professionnelle ?

Comme certains le savent (mais l'information ne circule que fort modestement), depuis quelques semaines, dans près de 150 collèges de toutes sortes, répartis dans tout le pays, on expérimente la suppression du redoublement en fin de classe de troisième.

Concrètement, cela veut dire que dans ces collèges, ce n'est plus le chef d'établissement, sur proposition des membres du conseil de classe, qui prend les décisions en la matière au niveau de l'établissement. Conséquence accessoire mais importante : pour les familles des élèves de ces collèges, il n'y a plus de possibilité de recours auprès d'une commission d'appel. C'est bien logique : pourquoi feraient-elles appel d'une proposition d'orientation alors qu'elles ont le pouvoir absolu de décision en la matière ?

la volonté des familles : échapper à la voie professionnelle

À première vue, cette mesure, outre qu'elle remet un peu plus en cause le pouvoir des personnels enseignant et d'éducation en la matière (mais aussi celui des équipes de direction), peut sembler antinomique de la volonté affichée d'accroître les flux d'orientation vers la voie professionnelle, et donc corrélativement, de réduire celui qui se dirige vers les voies générales et technologiques (via la classe de seconde générale et technologique). En 2012, il y a eu 28% d'orientation post-troisième vers la voie professionnelle, mais 10% seulement l'ayant demandé en premier vœu. Ainsi, les deux tiers des élèves orientés en seconde professionnelle s'y retrouvent par défaut. Or la volonté affichée par le ministère de l'Éducation nationale est que ce taux d'orientation vers la voie professionnelle augmente significativement.

Chacun comprendra que le fait de transférer aux familles le soin de décider en matière d'orientation post-troisième va aller à l'encontre de cet objectif. Chacun peut, sans grand risque de se tromper, anticiper le fait que le choix prioritaire des familles s'exprimera globalement en faveur des voies générales et technologiques, la voie professionnelle étant hélas la plus mal considérée, et donc celle à laquelle une large majorité des "usagers" veulent échapper (du moins dans l'enseignement secondaire : pour le postbac il en va autrement).

Il est donc logique de se dire qu'il y a quelque absurdité à un tel transfert de responsabilité vers les familles, même si, au ministère, les tenants de cette ligne disent qu'il faut faire confiance au "dialogue" en matière d'orientation, supposé conduire la plupart des familles à faire des choix éclairés, et donc les bons choix !

vers la mise en place d'un nouveau palier d'enseignement secondaire ?

Nos responsables ministériels n'auraient-ils pas en tête une autre expérimentation, non avouée parce que beaucoup plus "sensible", qui serait la mise en place d'un nouveau palier d'enseignement secondaire : le palier troisième/seconde ? Il en existe un incluant les classes de première et terminale (le "cycle terminal des lycées"), et en amont un autre incluant les classes de cinquième et quatrième. À chacun de ces paliers, le passage en classe supérieure à mi-parcours est automatique, donc sans possibilité d'imposer un redoublement. Il en irait alors de même en fin de troisième pour le passage en seconde.

Vous allez me rétorquer que ce n'est pas possible puisqu'il y a à répartir les élèves entre les voies professionnelles (en orientant vers la seconde professionnelle), et les voies générales et technologiques (via la seconde G/T). Vous aurez raison si on conserve ces deux types de classes de seconde, mais voyons plus loin : et si on allongeait d'une année le collège unique, ou plutôt, si on reculait d'un an (au moment de l'entrée en première) l'apparition des filières entre lesquelles il convient de répartir les élèves de ce qui deviendrait alors une "seconde unique" (comme il existe un "collège unique"). Il suffirait pour cela de décider que le "socle commun de connaissances et compétences" ne s'arrête pas en troisième, mais s'étend à la seconde unique.

Ce serait alors en sortant de cette seconde unique (donc du palier troisième/seconde) que s'organiserait la répartition des élèves entre les trois voies : professionnelle, générale et technologique.

Une telle évolution donnerait consistance au vieux projet de tendre vers une moindre spécialisation au niveau lycée, et introduirait de la cohérence entre les trois voies, qui se présenteraient selon un même schéma : une seconde unique, suivie d'un cycle terminal de deux ans, alors qu'aujourd'hui, si c'est bien ainsi que se présentent les parcours conduisant aux baccalauréats généraux et technologiques, il n'en va pas de même de la voie professionnelle qui s'ouvre aux élèves à l'issue de la classe de troisième.

aller plus loin que la précédente réforme

Autre conséquence : cela reviendrait à confier aux personnels des seuls lycées le soin de décider de la répartition des élèves entre les trois voies, alors que dans le système secondaire actuel, cette répartition est largement le fruit des décisions des professeurs de collège.

Ainsi aussi s'expliquerait la volonté de plus grande ouverture des formations supérieures professionnelles courtes (BTS, IUT, écoles spécialisées...) aux bacheliers professionnels, ouverture qui ne prendra du sens que si l'on rénove en profondeur la voie professionnelle, en y renforçant la dimension généraliste de ces parcours de formation secondaire, et donc les compétences et connaissances des élèves qui s'y engagent. Une telle évolution a déjà été initiée par la récente réforme du lycée professionnel. Il conviendra d'aller plus loin.

Avatar qui est loin d'être négligeable : quid des professeurs chargés des enseignements professionnels en lycée pro, et notamment de ceux qui interviennent actuellement au niveau seconde pro ? Ils ont déjà payé un lourd tribut à la récente réforme de la voie professionnelle (en termes de réduction horaire de leurs enseignements, de pertes d'emplois parfois, conséquences du passage de quatre à trois ans de la durée du parcours en lycée professionnel). Il va falloir les convaincre du bien-fondé d'une nouvelle réforme du lycée pro (passage de trois à deux années), si proche de la précédente. Là réside peut être le plus difficile.

Vu comme cela, ne trouvez-vous pas que les choses sont plus claires, la compréhension du sens de cette possible réforme plus grande ?

À suivre, mais je suis très désireux de lire vos commentaires, réserves, accords, désapprobations... par rapport à ce texte, qui n'engage bien sûr que moi.

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Bruno Magliulo est l'animateur du blog Conseils de classe, sur letudiant.fr, dédié aux questions d'orientation. 

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