"Université : c’est grave docteur?", la chronique d'Emmanuel Davidenkoff

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Geneviève Fioraso a été reconduite notamment pour avoir su éviter une crise universitaire. La colère gronde pourtant dans les universités. Cette chronique a été publiée par L'Echo républicain.

Combien de temps le gouvernement évitera-t-il une crise dans les universités ? – car la question, aujourd'hui, se pose bien en ces termes ; cette crise est imminente, seule se pose la question de l'étincelle qui embrasera les campus. Cette dernière pourrait ne pas venir des étudiants mais des universitaires qui, en tant que corps, semblent être à la lisière du burn out. En témoigne le succès de la pétition "Le changement à l'Université et dans la Recherche, c'est maintenant ?". En quelques dizaines d'heures, par la seule puissance des réseaux sociaux, 8.000 enseignants-chercheurs l'avaient signée, soit plus de 10 % de la corporation.

Qu'exprime-t-elle ? Un ras-le-bol généralisé, pour l'heure sans autre forme de débouchés, contre une précarisation matérielle du travail enseignant ; contre un système qui, selon ses auteurs "menace les missions d'enseignement et de recherche à court et moyen termes", rendant inéluctable d'autres mises sous tutelle que celle dont l'université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines est l'objet ; contre "le peu de crédit accordé à la parole même des chercheurs et des enseignants, le peu de respect pour le travail des personnels administratifs noyés sous le flot incessant des réformes, des réorganisations et autres refontes de nomenclatures qui ne cessent de produire des situations inextricables et des injonctions contradictoires" ; contre la façon dont se mettent en place les Comue, les communautés d'université ; contre certains fonctionnements en réseaux jugés délétères.

Ce texte ne tombe pas du ciel. Il trouve racine ou écho dans les alertes lancées par plusieurs groupes (à l'image du groupe Jean-Pierre Vernant), par plusieurs universitaires réputés comme Thomas Piketty évoquant fin 2013 "une faillite silencieuse à l'université" ou Olivier Beaud affirmant début 2014 "Mais si, l'université est en crise et la crise s'aggrave !", ou encore dans cette vaste enquête menée auprès de 2.400 enseignants chercheurs par la Fédération nationale des syndicats autonomes de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, se soldant par ce chiffre effarant : plus de 60 % d'entre eux jugent que les conditions dans lesquelles ils exercent leur métier ne correspondent pas à l'idée qu'ils s'en étaient fait lors de leur prise de fonction.

Colère… politique

Pour l'heure, ce malaise s'exprime dans le registre de la colère, et ses porte-paroles évitent souvent d'avancer des propositions trop précises – la communauté universitaire sait pertinemment que l'exercice est piégé et que l'unanimité du mécontentement risque de voler en éclat confrontée à la tentative de la synthèse "en positif", ce que Geneviève Fioraso n'a pas manqué de souligner.
Ils font également mine d'ignorer les mille et une initiatives, les mille et un engagements qui, sur le terrain, dans les établissements, nous ont amené à écrire que l'université va peut-être moins bien qu'on le souhaiterait mais nettement mieux qu'on le dit. Ils mésestiment, de même, l'effort financier accompli depuis 2008 par l'Etat qui, confronté à une crise financière exceptionnelle, a relativement épargné l'enseignement supérieur et la recherche.

Pour autant, ignorer, minorer ou – pire – mépriser ces prises de parole pourrait se révéler hardi, quand bien même l'embrasement qui a précédé le remaniement se révélerait n'être qu'un feu de paille. Notamment car nombre de signataires de la pétition "Le changement à l'Université et dans la Recherche, c'est maintenant ?" et de figures de proue des groupes qui s'expriment actuellement appartiennent au Who's Who de la gauche universitaire. Cette colère est donc politique autant, si ce n'est plus, que corporatiste ; elle est celle des nouveaux "déçus de la gauche". Si cette dernière, après avoir perdu la confiance des classes populaires, devait perdre celle de ses bataillons d'enseignants, de chercheurs, d'intellectuels, elle se placerait durablement en grand péril.

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