Décryptage

Master ou mastère ? Quand Audencia cultive l’ambiguïté

Par Jessica Gourdon, publié le 29 juin 2010
1 min

Master ou mastère d’école de commerce ? Un "e" les sépare, et pourtant, ces formations sont bien différentes. C’est ce qu’a constaté Célia (1), 22 ans, tout juste diplômée de l’EPSCI, et dont le père nous a contacté à l’Etudiant. Avec son diplôme bac +4 en poche, cette jeune femme décide de compléter son parcours par une cinquième année d’études. Elle postule alors au MS (mastère spécialisé) "marketing, design et création" d’Audencia, une grande école de commerce nantaise. Elle pense remplir les critères : les MS, formations d’un an labellisées par la Conférence des grandes écoles, accueillent des étudiants bac +5, mais peuvent recevoir jusqu’à 30% de bac +4.

Célia envoie son dossier de candidature et ses résultats au test Tage-Mage, et elle est déclarée admissible. Pour passer l’oral, elle paie un billet de TGV pour Nantes, et loue une chambre d’hôtel. Mais au début de l'entretien de motivation, surprise : Célia apprend qu’elle n’est plus en lice pour le mastère spécialisé, mais pour un "master" en "marketing, design, et création". À savoir un diplôme parallèle d’Audencia sans reconnaissance particulière. "Une lettre [voir ci-dessous] du 11 mai nous a ensuite confirmé que Célia était reçue à ce master, avec une demande de versement d’acompte", rapporte le père de la jeune fille.
 

Les mêmes cours, pas le même diplôme

 
Nicolas Minvielle, responsable de cette formation à Audencia, précise : "Avec ce master, cette étudiante suivra les cours avec les autres, mais n’aura pas le diplôme labellisé par la Conférence des grandes écoles". Une issue inimaginable pour la famille de Célia, qui s’apprête à débourser 9.800 euros de frais de scolarité... Selon Nicolas Minvielle, 3 étudiants étaient dans ce cas pendant l’année 2009-2010. Il assure néanmoins que "les employeurs ne font absolument pas la différence" : en effet, la plupart seraient attentifs à la "marque" de l’école plutôt qu’à l’intitulé du diplôme. "Mais il arrive aussi que certains étudiants, à qui nous avions dit qu’ils n’obtiendraient qu’un master, ont finalement pu avoir un mastère spécialisé, car à la clôture des inscriptions [fin septembre], ils pouvaient figurer dans les 30% du total des inscrits", remarque-t-il. Mais cela, l’étudiant ne le sait pas à l’avance. Et dans le cas de Célia, Audencia lui demande déjà de payer un acompte de 1.400 euros avant l’été pour "réserver la place dans la promotion".
 

Ambiguïté de la procédure

 
Finalement, le problème est moins l’existence de cette "voie bis" que l’ambiguïté de la procédure. Aucune mention de ce diplôme de "master" n’apparaît sur le site Internet : "Personne ne fait de publicité pour un régime d’exception", répond Jean-Pierre Helfer, directeur d’Audencia. Surtout, la confusion autour du terme "master" est problématique, et peut induire en erreur les candidats et leurs familles. D’autant que normalement, cette appellation est protégée par l’Etat. Le ministère de l’Enseignement supérieur le confirme : "Il n’est pas possible d’appeler master un diplôme d’établissement privé sans l'autorisation d'une commission spécifique". Interrogé sur ce dernier point, Jean-Pierre Helfer affirme cependant être dans la légalité.
 

D’autres écoles dans ce cas, selon la CGE

 
Audencia ne serait pas la seule école à pratiquer le flou autour du nom "master". "Nous avons connaissance de plusieurs cas de ce type", reconnaît Eric Parlebas, président, à la Conférence des grandes écoles, de la commission qui accrédite les mastères spécialisés. Mais il n’entend pas pour autant mettre un terme à ces pratiques : "Ce n’est pas de notre ressort. Nous surveillons si l’école dépasse le quota de 30% de bac +4. Mais si elle veut créer une voie parallèle au MS et l’appeler master, c’est au ministère de l’Enseignement supérieur de s’en inquiéter. C'est lui qui est propriétaire de l’appellation". Ironie de l’histoire, le président de la commission qui autorise les écoles de commerce à délivrer des masters n’était autre, jusqu’à l’année dernière, que… le directeur d’Audencia.

Documents : Voici le mail que Célia a reçu, suivi de la lettre de confirmation de son inscription.



(1) Le prénom a été changé

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