Portrait

À l’IIEF : apprendre le français, une question de survie pour de jeunes réfugiés

L’IIEF, rattaché à l’université mais financièrement indépendant, accueille et forme des réfugiés, sans bénéfice. Il ne peut cependant pas supporter le coût de leur formation.
L'Institut international d'études françaises, à Strasbourg, dispense des cours de français à de jeunes réfugiés. © Isabelle Maradan
Par Isabelle Maradan, publié le 29 février 2016
1 min

Raghda et Steven, irakiens, et Muhammed, syrien, comptent parmi les 75 bénéficiaires des cours de français langue étrangère que l’Unistra offre aux réfugiés depuis l’automne 2015. Ils ont entre 23 et 30 ans et ont tout perdu dans l’exil. L’apprentissage de la langue est un premier pas vers une vie nouvelle. Rencontre.

Raghda a 23 ans. À l'IIEF (Institut international d'études françaises), cette jeune Irakienne suit 17 heures de cours de FLE (français langue étrangère) par semaine depuis novembre 2015. Elle vise le niveau B2 requis pour entrer à l'université française.

En Irak, elle a suivi 3 ans d'études de mathématiques après le bac, avant que sa famille, chrétienne, ne doive fuir Daech (acronyme arabe du groupe État islamique). Pour elle, comme pour Steven, Muhammed, et 72 autres réfugiés syriens et irakiens, ces cours sont pris en charge par l'Unistra. Fidèle à sa tradition humaniste, l'université de Strasbourg s'est mobilisée dès septembre 2015 pour former les réfugiés.

Une aide sur mesure

"Nous avons reçu des ingénieurs, des médecins... qui souhaitent apprendre le français pour reprendre des études et exercer leur métier. D'autres n'ont pas achevé leurs études dans leur pays et comptent les reprendre ou trouver un travail", explique Nadia Kardouz, chargée d'accueil d'étudiants internationaux à la MUI (Maison universitaire internationale). C'est elle qui a étudié les 115 dossiers de réfugiés demandant à bénéficier des cours gratuits mis en place par l'université. Elle travaille en étroite collaboration avec le CROUS et les assistantes sociales pour le logement et les aides financières. "C'est du sur-mesure. Concernant le logement, certains sont en famille d'accueil, d'autres en résidence universitaire. Ceux qui n'ont ni le RSA [revenu de solidarité active] ni l'ADA [allocation pour demandeur d'asile] peuvent bénéficier d'une aide de 1.600 € au maximum", explique-t-elle.

Finir ses études et devenir enseignante

En Irak, la famille de Raghda avait trois maisons. Elle vit désormais dans un petit appartement ne comportant qu'une seule chambre. Raghda est arrivée en juillet 2015 à Strasbourg, avec ses parents, son frère et sa sœur. Elle peine à s'exprimer en français et fait appel au traducteur de son smartphone pour préciser que son père était patron d'une raffinerie d'huile. Motivée, Raghda espère pouvoir finir ses études à Strasbourg. Elle rêve de devenir enseignante.

"Là-bas c'est dangereux. Ici, c'est difficile"

Steven, également irakien, et chrétien, est plus pessimiste qu'elle. Pourtant, après seulement 4 mois de cours à l'IIEF, le jeune homme de 27 ans parvient à se faire comprendre et même à raconter son histoire en français. Il estime avoir "tout perdu pour Jésus".

"Daech attaque des bus d'étudiants chrétiens sur la route entre mon village et l'université", raconte le bachelier, qui tenait un magasin de réparation de portables en Irak, avant l'arrivée de Daech. Il poursuit en expliquant avoir fui, en pleine nuit, avec tous les chrétiens de son village. Réfugié avec sa famille dans une église à Erbil, au Kurdistan irakien, il remercie la France d'avoir ouvert les portes du consulat aux chrétiens.

"Le français, c'est une question de survie"

"Là-bas c'est dangereux. Ici, c'est difficile", lâche-t-il. Depuis son arrivée à Strasbourg, "le 13 Janvier 2015", date gravée dans sa mémoire, Steven a sillonné la ville – magasins de portables, de vêtements et restaurants – en quête d'un travail. En vain. Il vit et paie le loyer de sa chambre avec ses 461 € de RSA. Bénéficiaire des cours de FLE gratuits, il s'y accroche et travaille son français chaque soir 3 ou 4 heures, en regardant des films, lisant et écrivant.

"Le français, c'est une question de survie pour les réfugiés. Ils apprennent en 3 mois ce que d'autres mettent 6 mois à apprendre", observe Mady Trescarte, enseignante en FLE à l'IIEF. "J'ai besoin d'un travail, sinon comment je continue ma vie comme ça ?" lance Steven, comme une bouteille à la mer. Sourire poli et regard triste, il évoque le temps révolu où chrétiens et musulmans vivaient ensemble, sans problèmes, dans son village.

Derrida et Deleuze

Muhammed envisage son avenir avec plus de sérénité que Steven. "Je parle anglais, arabe, turc, kurde et un peu portugais. Les langues, plus on en connaît, plus c'est facile d'en apprendre", juge-t-il. En 3 mois de cours de FLE, ce Syrien de 30 ans a déjà bien progressé, mais préfère encore converser en anglais, qu'il maitrise mieux.

Avant d'arriver en France, il a étudié l'architecture à Istanbul. Cette expérience au contact d'autres étudiants étrangers, dont des Français, l'aide énormément à s'adapter à son pays d'accueil. Il en maîtrise déjà la culture et ne tarde pas à dévoiler son intérêt pour la philosophie, l'esthétique en particulier, en invitant Derrida et Deleuze dans la conversation.

Un doctorat en architecture en ligne de mire

C'est à l'un de ses anciens colocataires en Turquie, un Strasbourgeois, que Muhammed doit d'avoir été accueilli et logé dans la capitale alsacienne.

Avec "un peu de sous pour vivre", l'étudiant en architecture a traversé la frontière turque pour rejoindre la Grèce sans être arrêté par la police. Il a ensuite voyagé "comme un touriste", prenant le train et dormant à l'hôtel, pendant une semaine, pour rejoindre Strasbourg, via l'Allemagne, en octobre 2015. Son hôte strasbourgeois l'accompagne dans ses démarches de demande d'asile en France. Muhammed a ensuite été accueilli par une famille, avant d'obtenir un logement et l'aide de 1.600 €. Il attend de mieux maîtriser la langue française pour se rapprocher de l'ENSAS (École nationale supérieure d'architecture de Strasbourg), où il envisage de faire son doctorat.

5 étudiants ont repris un cursus universitaire

Parmi les réfugiés accueillis par Nadia Kardouz, 5 étudiants ont pu intégrer directement une première ou une deuxième année de licence ou même un master de droit et une licence de langues et interculturalité, avec un niveau de langue suffisant pour se dispenser des cours de français langue étrangère. L'Unistra leur a offert les frais d'inscription et ils bénéficient des mêmes aides que les autres, au cas par cas. Parmi eux, Nadia Kardouz, se souvient d'un jeune homme de 20 ans, venu à la MUI pour qu'on l'aide à retrouver son petit frère de 6 ans. Arrivé en bateau par la Méditerranée avec son oncle, le bambin a ensuite été abandonné par celui-ci, en pleine rue, en Allemagne, où les services sociaux l'ont recueilli. Les deux frères ont pu se revoir. Le petit a, pour l'heure, été confié à une famille d'accueil, faute de pouvoir être pris en charge par son grand frère étudiant en L1 de langues et interculturalité. Pour l'instant.

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