Témoignage

Comment concilier... études et handicap – François, ingénieur : après les épreuves, la réussite

Par Isabelle Maradan, publié le 16 octobre 2009
1 min

Rien de surprenant à ce qu’un élève brillant intègre une école d’ingénieur. Tout devient pourtant exceptionnel lorsqu’il est en situation de handicap. Portrait de François Authier, dont le parcours scolaire n’a pas été un long fleuve tranquille.

François Authier a un téléphone portable mais ne s’en sert jamais pour téléphoner. Ce n’est pas par souci d’économie qu’il limite son usage au SMS. François se montre même volubile en face à face. Mais il doit nous voir pour nous entendre. François est né sourd. "Ni sourd-muet, ni malentendant, je suis sourd profond du premier groupe et ma surdité est évolutive", précise-t-il. Ce qui ne l’a pas empêché de décrocher un diplôme d’ingénieur à l’INSA Lyon. "J’ai passé ma soutenance le 3 septembre 2009 avec félicitations du jury. Ce n’est pas pour me faire mousser, mais j’en suis tellement fier ! J’en ai tellement bavé que je crois que je peux me permettre", confie le jeune homme de 26 ans.
 

F.Authier portrait Casser la vision misérabiliste du handicap
 

Le parcours de François est exceptionnel. En 2004, il est l’un des 7.600 étudiants handicapés à faire leur rentrée dans l’enseignement supérieur. Et l’un des 3% d’étudiants handicapés en école d’ingénieurs. Le jeune homme accepte de partager son expérience pour "casser la vision misérabiliste du handicap, sans passer sous silence les difficultés".
 

La langue parlée complétée, clef de l’intégration
 

À deux ans, âge du test auditif obligatoire, un ORL dit à ses parents : "Malheureusement votre enfant est sourd". L’annonce confirme leurs doutes. Leur fils ne prononce qu’une dizaine de mots simples qu’il n’associe jamais. 24 ans plus tard, il est toujours révolté par le regard négatif du médecin sur le handicap. Mais il remercie le spécialiste d’avoir conseillé à sa famille un centre pionnier dans la LPC (Langue parlée complétée) à Tours, clef de son intégration scolaire et sociale. "Je ne suis pas favorable à la langue des signes, qui s'apprend comme une langue étrangère, alors que la LPC est une aide à l'apprentissage de la langue française. Moi j’ai appris la lecture labiale et l’oralisation. Et même si j’ai toujours été le seul élève handicapé dans ma classe, je vivais avec les autres."
La présence et la volonté de sa famille s’avèrent primordiales pour que François suive une scolarité comme celle de tous les enfants de son âge, à l’école publique de Vendôme. De l’entrée en petite section jusqu’au CM1, ses mercredis sont ponctués de séances d’orthophonie. Sa famille reste unie. "J’ai eu beaucoup de chance. L’arrivée d’un enfant handicapé est un tel bouleversement que beaucoup se séparent".
 

Le rejet
 

En maternelle, une institutrice ne veut pas de lui, et le laisse seul, au fond de la classe. Pour qu’il entre au CP, la directrice de l’école demande à sa mère d’arrêter de travailler pour être plus disponible, ce qu’elle fait. Certains camarades pointent sa différence, lui demandent s’il écoute de la musique ou est un martien, à cause de son appareillage. "ls me mettaient dans le bac à sable, me poussaient. Certains professeurs le voyaient mais ne faisaient rien." Heureusement au niveau du travail scolaire, tout se passe bien pour François.
 

Les épreuves… du bac
 

Au rang des épreuves, il y a aussi celles du bac, passé à Blois. Un bac scientifique, option sciences de l’ingénieur. "Rien n’avait été prévu pour ceux comme nous qui avaient droit au tiers temps [1/3 du temps en plus pour réaliser les épreuves, ndr]". Avec quatre lycéens handicapés, François est installé dans une salle à part, "un ghetto", et attend avec les autres qu’on veuille bien s’occuper d’eux. "C’était vraiment n’importe quoi. J’avais une épreuve de dessin industriel et pas de table à dessin", se souvient François. L’idée de boycotter l’épreuve l’effleure. Mais il lui faut le bac. "J’ai fini l’épreuve du matin à 13h30. Celle de l’après-midi reprenait à 14h. J’ai dû chercher un plateau dans la cuisine parce que la cafet' était fermée. Là encore, rien n’avait été prévu." 
 

F.Authier INSAPetits arrangements avec le handicap

 
Le tiers temps, François en bénéficiait depuis la seconde. "Certains étaient jaloux, mais j’ai vite appris à ne pas m’en préoccuper." Quand il consulte les résultats du bac, le lycéen, qui plafonnait à 14 de moyenne générale toute l’année de terminale, est d’abord déçu de sa mention assez-bien. "À 0,5 points de la mention bien, c’est rageant." Mais le bachelier peut enfin tutoyer son rêve. Il est pris à l’INSA Lyon. Un projet que ses parents ont d’abord appréhendé. "Pas à cause de mon handicap, mais parce qu’il y a beaucoup d’ingénieurs dans la famille de mon père et qu’il avait peur que je sois dans la reproduction d’un schéma". Une fois cette crainte levée, ils l’ont soutenu. "Comme toujours !", note François. Un soutien primordial, surtout lorsque le bachelier s’entend dire qu’il a été pris à cause des quotas.
 

L’affichage d’un accueil spécifique

 
"J’avais fait le tour des écoles d’ingénieurs et je voulais absolument une école avec prépa intégrée, parce que je pensais que ce serait plus simple pour moi". L’INSA de Lyon est considérée comme l’une des meilleures écoles de ce genre. Cerise sur le gâteau, sa plaquette de présentation stipule qu’elle accueille les étudiants en situation de handicap. "Il y avait eu un étudiant malentendant l’année précédente et l’INSA a dû penser qu’elle pouvait accueillir tous les handicapés parce que cela s’était bien passé avec lui. En fait, cela m’a plutôt desservi. Il pouvait prendre des notes pendant les cours d’amphi, ce qui m’est impossible", explique François.
 

Les limites

 
Dès le premier rendez-vous avec le directeur des admissions, le bachelier, accompagné de ses parents, se rend compte que rien n’est vraiment prévu. Au début de la première année de prépa, François s’accroche, sans aide. Et dit n’avoir réellement pris conscience de son handicap qu’à ce moment là. "Je me suis vraiment retrouvé pour la première fois en situation de handicap en amphi. Je ne pouvais pas compenser seul". Le jeune homme est à Lyon, ses parents à Vendôme, dans la maison familiale. "Je ne leur ai pas dit à quel point cela n’allait pas pour ne pas qu’ils s’inquiètent". Lui qui a suivi toute sa scolarité au premier rang, surmonté bon nombre d’expériences de rejet, se sent dépassé. Malgré l’aide de certains camarades qui se mobilisent en prenant des notes pour lui, il croit atteindre ses limites. "J’étais crevé, je me couchais à 3 heures du matin pour travailler et je n’arrivais pas à dépasser 6 de moyenne". Pour l’étudiant, cette première année de prépa est une année zéro.

Codeue INSA 
Une seconde chance

 
François reprend confiance lorsque le jury de fin d’année l’autorise à redoubler. "S’ils avaient eu la lâcheté de me renvoyer, j’aurais été dégoûté", reconnaît-il. La solidarité s’organise et pendant l’été, un professeur, devenue sa tutrice, prépare sa rentrée. Elle lui concocte la classe idéale et constitue une équipe avec les professeurs les plus compréhensifs. Une personne, codeuse de LPC, est autorisée à accompagner François en cours et des camarades sont rémunérés en tant que "preneurs de notes". Cet accompagnement a un coût : 15 000 euros, pris en charge par des sociétés intéressées par l’embauche de l’élève ingénieur. "Mais je ne suis pas passé de 6 de moyenne à 18. On n’est pas à Hollywood !", s’amuse le jeune homme. En troisième année d’école d’ingénieur, François s’engage pour la sensibilisation au handicap au sein de l’INSA. Il crée l’association Handizgoud, "un jeu de mot autour du personnage de BD Iznogoud".
 

Les grandes entreprises, plus rôdées à l’accueil du handicap
 

En recherche d’emploi aujourd’hui, François sait déjà ce qu’il ne veut pas. Ingénieur généraliste avant d’être informaticien, le jeune homme est déterminé à ne pas passer par la case programmation. "Ce que font d’habitude les débutants ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse, c’est la partie conception". Sa recherche se porte davantage vers les grandes entreprises qui lui semblent être un environnement plus favorable parce qu’elles sont plus habituées à l’accueil de personnes handicapées.
 

Aurélie, fiancée FrançoisDes enfants… sourds
 

D’ici là, François doit apprivoiser un implant cochléaire qu’il vient de se faire poser dans l’oreille droite. Un choix difficile, puisque l’opération, irréversible, consiste à mettre en place des électrodes au voisinage du nerf auditif lorsqu’il n’y a plus de cellules sensorielles. "Je me souviendrais toute ma vie du jour où on m’a dit que mon oreille droite était devenue totalement sourde. Je ne m’étais aperçu de rien, parce que c’est venu progressivement." Aurélie, sa fiancée depuis 5 ans, elle-même implantée, l’accompagne dans cette nouvelle épreuve. François parle déjà des enfants qu’il aura avec elle. "Je sais que mes enfants seront sourds, car nous sommes tous les deux sourds et que c’est d’origine génétique." Des enfants pour lesquels François sait déjà que la vie ne sera pas un long fleuve tranquille. Mais l’ingénieur n’a aucun doute sur sa capacité à se mobiliser pour eux. Et n’a plus à prouver qu’il a de la ressource.


Les dates importantes dans le parcours de François
1er février 1983 : naissance de François Authier
Eté 1985 : annonce de sa surdité à ses parents
Juillet 2003 : bac S option sciences de l’ingénieur, mention "assez bien"
Septembre 2006 : création de l’association Handizgoud
3 septembre 2009 : diplôme d’ingénieur avec félicitations du jury
11 septembre 2009 : pose d’un implant cochléaire dans l’oreille droite

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