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Au cœur de l’école d’architecture de Strasbourg : chez les bâtisseurs du futur

École d’architecture de Strasbourg
Tout en transparence, l'extension de l'école, conçue par l'architecte-ingénieur Marc Mimram, projette les futurs architectes sur la ville. © Cyril Entzmann pour l'Etudiant
Par Isabelle Maradan, publié le 19 mai 2015
1 min

À l’École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, les projets architecturaux sont au centre de la formation, qui dure cinq ans. Ils accaparent les jours et… les nuits de 800 élèves. Reportage dans l'univers des projets et des maquettes en carton.

À moins de cent pas de la gare, le reflet d'un tramway s'élance dans la grande baie vitrée de l'ENSAS (École nationale supérieure d'architecture de Strasbourg). Grâce à l'architecte-ingénieur Marc Mimram, celle-ci va doubler de taille, sans quitter le centre de la cité alsacienne. Une tôle de chantier entoure encore "le garage", un ancien bâtiment en cours de ­restauration qui jouxte "la fabrique", inaugurée à la rentrée 2015.

À l'intérieur de ce nouveau bâtiment, la hauteur du vaste hall incite à balayer du regard les étages desservis par des escaliers à la structure apparente. Au premier étage, une passerelle métallique aux parois de verre entièrement recouvertes de milliers de Post-it colorés réunira prochainement le nouvel édifice à l'ancien. Sur un calicot moutarde tombant à la verticale, l'activité des lieux est résumée en quelques mots-clés, dont "Innovation", "Projets" et "Urbanisme".

"Un vrai jeu de Lego"

Au troisième étage, un tableau blanc annonce la couleur. "Des personnes ici n'ont pas dormi depuis quarante-huit à cinquante-deux heures ! Arrêtez l'archi pendant qu'il est encore temps", prévient "un L2 qui vous veut du bien".

De la salle d'à côté proviennent des chants mêlés de rires nerveux. "Je n'ai pas dormi depuis trois jours. J'ai eu le projet avant Noël, mais avec les examens, je n'ai commencé que mi-janvier", justifie Mélissa, en licence 2, en train de découper des cartons rigides gris pour le toit en zinc de sa maquette. Le projet ? Un élément essentiel de la formation en architecture, qui prend une part de plus en plus importante au cours des cinq ans d'études, jusqu'à celui de fin d'études, sanctionné par le diplôme, en fin de master 2.

Tout commence avec un "programme" imposé par l'enseignant. Mélissa a planché sur "une maison communale de petite ville, un bâtiment public de 500 m2 situé à l'ouest d'une parcelle à bâtir, avec une petite place bordée d'arbres, un grand parc, une route et une voie de tramway". Dans le bâtiment : "un hall, un espace d'exposition, une salle de spectacle, un bureau et des toilettes, le tout devant être accessible aux personnes handicapées".

Après une réflexion sur "l'agencement des espaces entre eux" et "l'inscription du projet dans son environnement", l'étudiante a dessiné "des petits plans schématiques et des coupes, pour se rendre compte des hauteurs", puis a utilisé "des petites boîtes en carton" pour réaliser des maquettes d'études. "Un vrai jeu de Lego !", plaisante la jeune femme de 19 ans. Pendant cette phase, le projet est présenté plusieurs fois à l'enseignant et modifié. "Il nous aide à aller plus loin", résume Mélissa, affairée sur sa maquette, qu'elle présentera demain.

Nul en dessin

À l'instar de Mélissa – et comme près de 60 % des élèves de l'école –, Mickaël est titulaire d'un bac S. À l'oral d'admission, le jeune lyonnais a avoué ne pas savoir dessiner. "Ce n'est pas grave, vous êtes là pour apprendre", lui a répondu le jury.

Aujourd'hui en L3, l'étudiant de 22 ans confirme avoir eu "pas mal de cours d'art et de dessin en première année". L'architecte et enseignant Dominique Coulon, bachelier littéraire qui a lui-même hésité "entre philo et archi", déplore que "faire un bac S pour devenir architecte soit ­toujours un cliché répandu chez les parents et les profs". Tous les bacheliers ont leurs chances, martèle Frédérique Jeanroy, responsable de la communication de l'école. Le bac n'est pas regardé dans les dossiers !"

Marion, 20 ans, aujourd'hui en L3, en témoigne. Titulaire d'un bac technologique arts appliqués (actuel STI2D, sciences et technologies du design et des arts appliqués), la jeune femme de 20 ans juge avantageux d'avoir appris, au lycée, à "fonctionner par projet, dessiner et utiliser les logiciels de PAO".

Outre les cas pratiques et le dessin, les étudiants suivent des cours de sociologie, de philosophie, d'histoire de l'art et de "l'archi", de physique expérimentale du bâtiment, d'ingénierie durable (avec les normes et la réglementation liées au développement durable) et d'urbanisme, pour travailler à plus grande échelle.

De Strasbourg à New York

La très grande échelle, c'est le rayon de Dominique Coulon, "prof star" de l'école, qui a mis en place le département architecture et complexité.

Il a proposé aux étudiants de master 2 de travailler sur 400.000 m2, la surface de chacune des tours du World Trade Center, détruites le 11 septembre 2001. Ce projet fait suite à un voyage d'étude de dix jours "pour décrypter le block new-yorkais avec une vision européenne, c'est-à-dire en s'interrogeant sur la manière de leur donner une dimension publique", explique l'architecte enseignant.

"On n'a jamais travaillé sur un truc aussi grand", confie Arthur, en master 2, cerné par une vingtaine de maquettes monumentales. Après deux heures de sieste dans un pouf de la cafétéria, l'étudiant de 24 ans peaufine un escalier de son projet sur son ordinateur portable.

"Un art au service de l'usage"

"Le processus de réflexion est fondamental, et presque plus important que le résultat", assure l'enseignant, entre deux bouchées d'un sandwich englouti à une heure avancée de l'après-midi, avant la reprise de présentation des projets. "Ce processus intègre notamment l'organisation des espaces (de travail, de vie, de loisirs...) et ses conséquences sur la vie quotidienne des habitants dans un lieu et une époque donnés."

"L'architecture est un art au service de l'usage", résume Dominique Coulon. Selon lui, "dans un monde où nous serons 9 milliards bientôt, avec des problématiques énergétiques importantes, ce type de projets permet de mettre sur orbite des étudiants capables de travailler sur toute la planète".

Un cursus franco-chinois

Dans cette optique, Mickaël aimerait faire partie des quatre étudiants retenus l'an prochain pour aller à Shanghai dans le cadre du double diplôme de master, "l'une des meilleures écoles chinoises". Le bachelier S maîtrise bien l'anglais : il vient d'une section européenne et a effectué plusieurs séjours en Irlande et aux États-Unis.

Outre cette ouverture chinoise, l'ENSAS a la particularité d'être située au cœur de l'Europe, avec laquelle elle est très connectée. En attestent la présence d'enseignants italiens, allemands et néerlandais parmi les jurys et deux doubles diplômes de master franco-allemands.

Apportez votre brosse à dents

Elle est aussi "la seule école d'architecture rattachée à une université, ajoute Dominique Coulon. Elle bénéficie de cours généraux dispensés par des universitaires, philosophes et professeurs de langues, notamment." L'architecte apprécie "la modestie provinciale de l'école qui n'a pas l'arrogance des écoles parisiennes" et le fait qu'elle soit "très ancrée dans le patrimoine local".

Dehors, la nuit commence à tomber. Celle de Mélissa promet d'être longue. À côté de la porte, un oreiller attend son heure. Personne n'a oublié sa brosse à dents. Pour une nuit encore, l'ENSAS offrira ses lumières et l'activité de ses infatigables bâtisseurs de constructions miniatures à la vue des noctambules.

Les études d'archi en bref
Il existe 20 ENSA (écoles nationales supérieures d'architecture) publiques en France, dont 6 en Île-de-France. Elles délivrent les diplômes suivants :
- à bac + 3 : diplôme d'études en architecture
- à bac + 5 : diplôme d'État d'architecte (grade de master)
- à bac + 8 : doctorat.

Deux autres écoles délivrent des diplômes (bac + 5) équivalant à ceux des ENSA (diplôme d'État et habilitation) : l'Institut national des sciences appliquées de Strasbourg (statut public), et l'École spéciale d'architecture (statut privé), à Paris.

Pour ouvrir son propre cabinet, l'architecte diplômé d'État doit poursuivre un an supplémentaire, pour obtenir l'HMONP (habilitation à la maîtrise d'œuvre en son nom propre), lui permettant de signer ses bâtiments et d'en être légalement responsable.

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