Reportage

Au cœur de l'École de journalisme de Toulouse 

Au coeur2_Ecole de Journalisme Toulouse3 © F. Marie/H. Lucas_PAYANT
Katerina (à gauche) et Marie-Laure (à droite) partent souvent sur le terrain, pour la pratique. Elles ne comptent pas leurs heures. © Fred Marie/Hans Lucas pour l'Etudiant
Par Paul Conge, publié le 23 janvier 2017
1 min

Radio, télé, presse écrite... l'EJT, à Toulouse, entraîne ses étudiants à toutes les mécaniques du journalisme. Reconnu par la profession, ce cursus en trois ans est ouvert, chaque année, à une trentaine d'élèves titulaires d'un bac+2.

On la raterait presque, l'École de journalisme de Toulouse. Coincée dans un angle de la cour en brique rose de l'ICT (Institut catholique de Toulouse), elle est la seule école reconnue par la profession en Midi-Pyrénées. Ses étudiants, titulaires d'un bac+2, qui y passent trois années, sont moins discrets : chaque jour, ils sont envoyés aux quatre vents dans la Ville rose pour y effectuer leurs reportages. On les voit traverser les locaux d'un pas pressé. Trois pièces de tailles inégales, surmontées d'une grande mezzanine, un étage avec quelques salles, dont les murs sont tapissés de vieux numéros du "Toulousain", le journal réalisé par l'école. Plus du matériel. Informatique, photographique, audiovisuel. En quantité.

La télé au rythme du JT

Ce matin-là, à 9 heures, les élèves de troisième année se rendent à la "tour télé" au fond de l'Institut. Ils y discutent de leurs reportages du jour. "Les sujets télé sont tournés et montés dans la journée, comme cela se fait dans les rédactions réelles", explique Hélène Vergne, leur professeure de télé, qui exerce à France 2. Elle leur souffle quelques conseils : quels cadrages préférer, comment planter le décor. Mais ses étudiants ont déjà un peu de bouteille. "Je leur apporte du savoir-faire et leur montre ce qui est diffusable. Ils ont déjà deux ans et demi de formation, et ils bossent plutôt bien."

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Vérification du matériel avant de partir

Marie-Laure et Katerina s'apprêtent à partir couvrir, en images, une manifestation pour la défense des mal-logés, prévue une heure plus tard dans le quartier Saint-Cyprien. Caméra et trépied sur la table, elles échafaudent le scénario du reportage : qui faire intervenir ? Dans quel ordre ? "Surtout, on vérifie le matériel, il arrive qu'on ait de mauvaises surprises", avertit Marie-Laure en testant le micro. Batteries déchargées ou câbles défectueux : ce sont des aléas qui sont fréquents sur le terrain.

Zappant la case concours d'entrée de l'école, Katerina a profité d'un partenariat entre l'EJT et l'université d'Aix-en-Provence, où elle suivait un master en journalisme juridique, pour se glisser directement en troisième année. Ses lacunes en télévision ont vite été comblées : "J'ai suivi une formation éclair et j'ai beaucoup progressé ; surtout sur la voix." Marie-Laure, sa JRI (journaliste reporter d'images) du jour, a suivi la filière classique – le concours –, pour s'orienter vers la télé, car elle est "fascinée par l'image". "Le concours est sympa et vous laisse vos chances, surtout à l'oral", commente une autre étudiante.

La "tour télé" abrite des salles de montage avec des enceintes et des écrans 24 pouces. Pas plus d'un ou deux postes par salle, pour éviter la cacophonie.// © Fred Marie/Hans Lucas pour l'Etudiant

Reportage en un temps limité

Direction le quartier Saint-Cyprien, sur l'autre rive de la Garonne, à deux arrêts de métro, où se rassemblent des militants de l'association DAL (Droit au logement). Le programme : filmer le cortège d'abord, l'intérieur d'un squat ensuite. Quelques drapeaux jaunes de l'organisation flottent au vent. Une voix, au mégaphone : "So-li-da-rit-é, avec les mal-logés !"

Avec un bagou d'enfer, Katerina se faufile dans la foule, noue des contacts, convainc une habitante d'accepter qu'elle soit filmée chez elle. "La limite de temps peut parfois être embêtante... Mais le stress fait pousser des ailes", note Marie-Laure. Présente également, Agathe promène son micro pour le journal radio en direct : "C'est juste l'intervention d'un militant, c'est assez tranquille cette fois..."

Dix minutes dans les conditions du direct

Midi moins cinq. Au studio radio de l'EJT, c'est le branle-bas de combat. "Il n'y a pas de son ! Pourquoi je n'ai pas de son ?" fulmine, derrière les platines, un étudiant de troisième année. Le flash info débute en direct à midi pile. De l'autre côté de la vitre, trois étudiantes, réparties à la hâte autour des micros de la cabine insonorisée, attendent le top départ. "Deux minutes !" Branchements en régie, ajustement des boutons... Ça fonctionne ! Jingle, suivi de la voix de la présentatrice en pull jaune : "Bonjour et bienvenue à l'antenne de l'EJT..."

Les voilà partis pour dix minutes, dans les conditions du direct. S'ensuivent des chroniques, des flashs, des brèves et même un duplex par téléphone avec Agathe sur le terrain. Plus vrai que nature. Et si le "journal de 12 heures" est fictif, le stress est bien palpable.

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Le droit à l'erreur

Le début d'après-midi est moins agité. 15 iMac de montage sont répartis en enfilade dans la grande salle qui jouxte le studio de radio. Benjamin Peter, correspondant régional d'Europe 1, débriefe la séance du matin qu'il supervisait : "C'était pas mal au plan technique, mais vous vous êtes un peu pris les pieds dans le tapis." En principe, "ils ont le droit de se tromper", tempère-t-il. Surtout en situation, "comme si on y était". "Cela n'aurait pas le même sel, si ce n'étaient pas les conditions d'une matinale classique."

Antoine et Jonathan, concentrés sur leur clavier, ne démentent pas. Tous les deux, dopés aux sujets sportifs, fignolent leurs enrobés (formats courts en radio). "On produit aussi des sujets plus "mag" [plus longs] et des hard news [actualités]", complète le premier. Ils manient bien les standards du journalisme radio, après les avoir assimilé, à force d'exercices. "En première année, on apprend vite à maîtriser les techniques, mais aussi à travailler le fond, avec de la culture générale en droit, en religion et en économie", relève Jonathan.

Canapés, sofas... La mezzanine de l'EJT est autant une aire de repos qu'un lieu de travail, plus cosy que les salles de cours. // © Fred Marie / Hans Lucas pour l'Etudiant

Une école sans complexe

La concurrence des écoles telles que le CFJ (Centre de formation des journalistes) à Paris ou l'ESJ (École supérieure de journalisme) à Lille, est un sujet rebattu. En souffrent-ils ? "À Toulouse, le terrain est plus petit, l'actualité n'est pas aussi riche, mais tout nous conduit à faire preuve de plus de créativité", estime Jonathan, lui-même parisien d'origine, licencié en histoire à l'université Paris-Sorbonne, qui décrit l'EJT comme l'"école de la débrouille". Ils traitent aussi bien la grippe aviaire dans le Gers que le ski à la station de Luchon. "On a su prouver, en tant que petite formation provinciale, qu'on savait réaliser de belles choses", renchérit Benjamin Peter. Même si le complexe provincial a laissé des traces. "Dans la culture de l'école, il y a une forme d'humilité. On transmet l'idée que ce n'est pas du tout-cuit."

Tous les médias à la même enseigne

15 heures. Marie-Laure et Katerina rentrent du terrain. En plein "dérushage" (visionnage et sélection des séquences tournées), elles cisaillent leur sujet sur Final Cut Pro, le logiciel de montage. Plusieurs heures de tournage, plus de 90 plans... L'ensemble est à compiler en une minute trente. Ardu. "L'habitante du squat ne parlait presque que l'italien, il va falloir mettre des sous-titres", souligne Katerina, qui maîtrise heureusement cette langue. Autre difficulté : "On a eu des petits soucis de filtre", pointe Marie-Laure, en ajustant la balance des blancs dans l'une des fenêtres du programme. Deux heures de montage et une supervision de la journaliste de France 2 plus tard, le sujet est équilibré et est prêt à passer au JT.

À la nuit tombée, le soleil ne s'est pas couché sur l'EJT. Les étudiants de deuxième année suivent encore un cours, jusqu'à 23 heures, dédié aux informations générales. Une séance sous la houlette d'un journaliste de "la Dépêche du Midi", Sébastien Marcelle, avec qui ils fabriquent quatre pages (fictives) d'un journal régional. Objectif de l'exercice : parvenir à repérer et hiérarchiser l'information. "Regardez le fil des dépêches AFP, ce qui se passe sur les réseaux sociaux, et voyez si des angles émergent", conseille le journaliste du quotidien. "C'est une sorte de desk, dans des conditions de bouclage", décrit-il. Même régime en écrit, en radio et en télé. De quoi être opérationnel dès la sortie de l'école.

Se former à l'EJT

L'entrée à l'EJT se fait sur concours à bac+2. Quelque 400 candidats s'y présentent. Le concours comporte six épreuves écrites et deux oraux, avec des coefficients plus forts. Moins de 8 % d'admis.

La formation se déroule sur trois ans. Chaque promotion comporte en moyenne 33 étudiants. Son coût : 4.250 € par an, sauf la troisième année, qui se conclue par six mois de stage et qui s'élève à 3.000 €. "L'EJT est la moins chère des écoles privées reconnues par la profession", note le directeur, Bertrand Thomas. Depuis 1993, l'école a délivré 830 diplômes, et 83 % des diplômés exercent dans le journalisme.

En fin de première année, les stages sont rémunérés 1.200 € net par mois. Les étudiants de deuxième année peuvent piger en partenariat avec la presse locale. Un tiers des étudiants de troisième année partent à l'étranger réaliser des documentaires.

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