Reportage

Au cœur de l'école du paysage à Versailles

70 diplômés sortent chaque année de l'École nationale supérieure de paysage de Versailles, installée dans le Potager du roi.
70 diplômés sortent chaque année de l'École nationale supérieure de paysage de Versailles, installée dans le Potager du roi. © Meyer/Tendance Floue pour l'Etudiant
Par Maria Poblete, publié le 28 septembre 2016
1 min

À l’École nationale supérieure de paysage, les projets sont la priorité du cursus des concepteurs des futurs espaces urbains. Reportage dans cet établissement, au cadre royal, où dominent passion et imagination.

Bienvenue à Versailles, au Potager du roi, soit neuf hectares de jardins créés au XVIIe siècle pour fournir en fruits et légumes la table de Louis XIV. L'École nationale supérieure de paysage se situe dans cet écrin, elle en est même la gestionnaire. Au bout des allées bordées de poiriers et de pommiers palissés en espaliers, tout près de la collection de belles rhubarbes et proche du poulailler, Johan (23 ans), Nadav (22 ans) et Nicolas (23 ans), étudiants de deuxième année, travaillent chaque jour leur "carré" de terre.

Des parcelles à l'intérieur du "grand carré" du potager leur sont réservées pour faire des expérimentations. "Nous avons un petit carré [de 25 à 60 mètres carrés] par promotion et nous le gardons tout au long de notre scolarité, dit Nicolas. On l'aménage à notre façon, à condition de n'y répandre aucun produit chimique ni de planter des arbres ou des vivaces difficiles à enlever à la fin des trois ans."

Le Potager du roi, un lieu d'expérimentation

"Le jardin est l'échelle numéro 1 de l'aventure pour devenir paysagiste, explique Antoine Jacobsohn, responsable du Potager du roi. Le corps doit expérimenter, sentir, vivre les végétaux. Le paysagiste a quelque chose de jardinier en lui." Méfions-nous des apparences : la petite table et les chaises dépareillées, installées dans un coin du terrain, ne sont pas là pour inviter au farniente... mais pour réfléchir et discuter du projet en cours.

Lire aussi : Le métier de paysagiste

En immersion pratique et théorique

Ce matin, Johan, Nadav (titulaires d'un BTSA, brevet de technicien supérieur agricole, aménagements paysagers de l'École du Breuil, à Paris) et Nicolas (diplômé d'une licence arts plastiques parcours design environnements à l'université Panthéon-Sorbonne) ne bêchent pas. Ils sont plongés sur une étude portant sur une lisière entre une forêt et la ville. La pédagogie est basée sur une immersion à la fois pratique et théorique. La veille, tous les étudiants de deuxième année ont démarré un travail en écologie. Une paysagiste professionnelle a exposé des éléments théoriques et présenté une réalisation personnelle. L'après-midi, les jeunes gens partent sur le terrain, en Île-de-France. Seuls ou en petits groupes, munis de carnet, crayons et appareil photo, ils vont "sentir" le site.

Investis et passionnés

De retour à l'école, les étudiants ont alors plusieurs heures (la soirée, et souvent une partie de la nuit) pour analyser ce qu'ils ont vu sur le terrain et élaborer un projet d'aménagement de paysage. Le troisième jour, ils présentent leur conception d'espace, devant leur promotion. "Nous travaillons sur un projet réel, en un temps limité : c'est très formateur", déclare Johan. Le jeune homme apprécie sa scolarité, où il découvre "des gens passionnés, et un travail dont [il] rêve."

De la première à la troisième année du cursus, l'enseignement pratique représente 40 % du temps de formation ; en quatrième année de professionnalisation (post-master), c'est 80 %. "Les étudiants sont rapidement mis en situation et bénéficient de l'encadrement d'enseignants ayant une pratique professionnelle", indique Bruno Tanant, enseignant paysagiste et responsable des projets.

La formation s'appuie sur un programme pluridisciplinaire : écologie, enseignements artistiques, géographie, sciences humaines, techniques de programmation et de construction.

Une stimulation de tous les instants

Au deuxième étage de l'aile nord de l'école, un immense espace baigné de lumière. Sur les tables à dessin, des plans, des croquis, des maquettes et des "cutchs" (règles triangulaires graduées selon les échelles courantes des cartes et plans, permettant de lire des mesures sans faire de conversion).

Aux murs, des cartes des sites explorés par les étudiants ; sur les tables, des échantillons de mousses, de fleurs, de feuilles, d'écorces, et des cailloux ; au sol, des dessins, des peintures, des photos... et une pelote de laine rose. "Les fils de laine servent à marquer les contours du territoire à aménager", explique Thomas, en troisième année. Après une formation en écologie et un master en biodiversité, il s'est réorienté vers le paysage. Ce qu'il apprécie à l'ENSP, c'est d'être "stimulé dans le travail personnel".

Chacun a son parcours, et nous pouvons tous nous exprimer à notre façon.

Les étudiants passent la majorité de leur temps dans les ateliers. Encadrés par des professionnels, ils dessinent, coupent, collent, montent des maquettes. Et écrivent. "Un rapport leur est demandé pour chacun des quatre projets de première année. En deuxième année, ils en ont trois, et en troisième année, ils préparent un seul projet, plus conséquent. Nous leur apprenons notamment à rédiger et à argumenter leurs propos, précise Michel Audouy, enseignant en techniques du paysage. Et nous les préparons à l'oral de fin de projet."

Exprimer ses émotions

Le temps est ce qui manque le plus à Clara, 24 ans, en deuxième année. Elle doit terminer un travail prochainement et dort peu. "L'enseignement est dense, on s'investit à fond, et c'est passionnant. Si une part importante est consacrée au côté artistique du projet, les aspects technique, social et économique sont essentiels." C'est précisément la place laissée à l'intuition, aux ressentis de chaque élève qui plaît tant à Mathilde, 21 ans (diplômée d'un BTS design espace à l'ESAAT, à Roubaix), également en deuxième année. "Chacun a son parcours, et nous pouvons tous nous exprimer à notre façon", explique-t-elle.

"Écouter un site" : cette phrase revient souvent dans la bouche de ceux qui dessineront la ville et l'espace de demain. L'enseignement d'arts plastiques donne des compétences pour retranscrire cette impression. "Ce sont des jeunes très sensibles, qui n'ont pas peur de leurs émotions. Ils ont une belle expression que nous leur apprenons à transposer par des techniques artistiques", explique Olivier Mary, professeur d'arts plastiques.

Participer à des concours

Raphaël, en deuxième année de formation, "dessine et conçoi[t] des paysages en faisant appel à [son] imaginaire". Lauréat d'un concours de la SNCF sur l'environnement de la gare Montparnasse, à Paris, il "[se] nourri[t] de tout : souvenirs, promenades, romans, peintures". Il n'est pas le seul à se présenter (et à remporter) des concours d'aménagement paysager. Tous les étudiants sont encouragés à y participer... sur leur temps libre. C'est-à-dire le soir et la nuit, dans les salles de classe de l'école qui restent ouvertes. "Et voici notre meilleur ami, souligne Nicolas : notre carnet de notes. En première année, nous en avons deux, qui seront évalués par nos professeurs. Nous y décrivons nos émotions, nos souvenirs, et listons nos références littéraires et artistiques. Nous ne nous en séparons jamais."

"Nous partons d'un site réel, que les élèves auront à étudier à fond. En chemin et au retour de leur visite, ils dessinent, écrivent et enrichissent leur projet de leurs connaissances théoriques, techniques et personnelles. Chaque choix doit être argumenté, explique Mathilde Metrac, enseignante du département écologie. En soutenant leur rapport devant l'équipe pédagogique, ils doivent convaincre." Les études de paysagiste sont une immersion constante, entre démarche conceptuelle et créativité artistique.

Se former à l'ENSP

À Versailles, comme à Marseille, le diplôme d'État de paysagiste se prépare en trois ans et confère le grade de master (bac+5). Le cursus peut être complété par une année de formation professionnalisante, ou post-master, dédiée à un travail personnel de fin d'études. Il forme au métier de paysagiste concepteur.

- Le concours d'entrée en première année, ouvert aux bac+2, est commun à l'École nationale supérieure de paysage et aux écoles nationales supérieures d'architecture et de paysage (Bordeaux et Lille). Y est éprouvée la capacité à observer un site, le décrire, l'analyser et le représenter.

- L'épreuve d'admissibilité se déroule en avril. Le matin, le candidat découvre un site. L'après-midi, il passe une épreuve écrite de description, qui allie dessin et qualités rédactionnelles, et une épreuve d'expression plastique, évaluant l'imagination et la maîtrise de l'espace. Fin juin, l'admission est validée par une épreuve d'anglais et un entretien autour d'une question sur le paysage. En 2015, sur 457 inscrits, 106 ont été admis, dont 50 à Versailles et 20 à Marseille.

- Le cursus est également accessible en alternance : 10 % des élèves sont en contrat d'apprentissage.

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