Reportage

Au cœur de l’École nationale des arts du cirque : sur la piste des futures étoiles

La formation des acrobates à l'ENACR est un long travail quotidien, à la fois physique et artistique.
La formation des acrobates à l'ENACR est un long travail quotidien, à la fois physique et artistique. © Myr Muratet pour l'Étudiant
Par Isabelle Maradan, publié le 23 novembre 2015
1 min

Trapèze, bascule, fil, main à main, portique coréen, roue Cyr… Près de 40 étudiants se forment à l’une de ces spécialités de l’École nationale des arts du cirque de Rosny-sous-Bois. Sous le chapiteau en banlieue, des apprentis artistes s’entraînent depuis près de trente ans. Reportage dans un cirque… interdit au public.

Un chapiteau se dresse au milieu de deux terrains de foot bordés de pavillons de banlieue. À l’intérieur, le regard est aspiré vers le mouvement de balancier d’une silhouette sur un trapèze. L’imposante structure rouge et noire abrite les 38 étudiants de l’ENACR (École nationale des arts du cirque de Rosny-sous-Bois, [93]). Sous les projecteurs, Léa, 21 ans, a fait du trapèze ballant sa spécialité. Elle est assurée et coachée par Christian Étienne, une figure de l’école. Spécialisé en acrobatie aérienne depuis 25 ans, ce professeur de sciences de l’Éducation nationale enseigne également les mathématiques appliquées aux techniques du spectacle. Il a également décroché de nombreuses distinctions dans des festivals internationaux dans sa discipline : le cadre aérien. 

Choix de la spécialité en prépa 


Comme tous les étudiants, Léa a eu 3 mois pour choisir une spécialité l’année dernière, lors de son année préparatoire.
"J’ai tenté la bascule et le vélo acrobatique : une vraie galère", plaisante-t-elle. “C’est comme moi avec la roue allemande, je n’étais pas fait pour ça”, renchérit Martin, camarade de promotion, âgé de 21 ans. Il est désormais voltigeur sur portique coréen, une structure permettant a minima à un voltigeur et à un porteur d’enchaîner des acrobaties aériennes. Son porteur est malade ce matin. Il trompe l’ennui au “trampo”, comme tout le monde l’appelle ici. Hormis quelques spécialités, comme le mât pendulaire, les figures se travaillent toujours d’abord au trampoline.

“Les jeunes arrivent souvent en pensant être faits pour une spécialité, et certains se plantent”, commente Sami Maaoui, professeur d’acrobatie, de trampoline, de disciplines de cirque et de sciences appliquées. Face à lui, les 18 élèves de “prépa”, travaillent les bases. “Capoeira, acrobatie urbaine, hip-hop : cet entraînement est plus ouvert que la gym”, prévient l’ancien gymnaste à la carrière internationale, un œil sur les acrobates. 

Trois ans d’études, à Paris et à Châlons 


Cette première année d’études proposée par l’ENACR prépare au concours d’entrée du cursus du
DNSP (diplôme national supérieur professionnel d’artiste de cirque), qui se déroule en 3 ans : la première année se passe à Rosny, les deux suivantes au CNAC (Centre national des arts du cirque) à Châlons-en-Champagne (51). Outre les bases, les étudiants font de la danse, du théâtre, de l’analyse critique, de la jonglerie, des maths appliquées et un travail sur la voix. 

Un corps se cambre, dessine un pont, se redresse. Aucun signe extérieur d’effort. Noémie, 18 ans, est la digne fille d’un père snowboarder et d’une mère véliplanchiste et mannequin sportif. Certains de ses camarades parcourent plusieurs mètres, la tête en bas, le corps tendu, marchant sur les mains posées sur des cales en bois.

Noémie compte parmi les élèves de l’année préparatoire de l'ENACR dont Sami Maaoui, à l’arrière-plan, est le responsable.Noémie compte parmi les élèves de l’année préparatoire de l'ENACR dont Sami Maaoui, à l’arrière-plan, est le responsable. // © Myr Muratet pour l'Étudiant

Des enseignants de haut niveau 


Deux autres enseignants lancent des consignes, observent et corrigent les postures. Gymnastes, ils ont participé aux jeux Olympiques de Séoul en 1988.
Également sportifs de haut niveau, les parents de Noémie l’ont incitée à passer le bac “pour s’assurer un avenir en cas de blessure”. Elle l’a décroché avec une mention bien. Comme elle, la plupart des étudiants l’ont obtenu, même si ce diplôme n’est pas demandé pour entrer en année préparatoire. “On regarde le potentiel”, résume Sami Maaoui, ancien entraîneur d’une équipe de gymnastes de niveau international.

Une vingtaine d’étudiants par promo 


Pour juger leurs aptitudes physiques, les candidats, présélectionnés à la suite de la présentation d’un numéro sur la piste, sont observés pendant une semaine. Trampoline, acrobatie, danse et théâtre, ils passent alors d’atelier en atelier. Chaque année, seule une petite vingtaine d’étudiants sont retenus sur 120 à 130 candidats. Leurs profils ? “Il n’y a pas de règle, prévient l’enseignant. Certains ont fait un bac L option cirque, d’autres ont fait une école de cirque ou viennent simplement de l’école du coin de leur rue”, détaille Sami Maaoui. 

L’école du coin de la rue – ou plutôt d’un petit village près de Montpellier – est celle qui a permis à Noémie de mettre un chausson dans le cirque, à 8 ans. Pendant 7 ans, elle y a passé 10 à 12 heures par semaine. Au lycée, elle a continué à pratiquer le cirque, chaque week-end ainsi que pendant les vacances. C’est en terminale que cette bonne élève a décidé de “tenter l’ENACR”, poussée par sa professeure de cirque issue du CNAC (Centre national des arts du cirque), “ma mère spirituelle”, lâche-t-elle. À l’issue de l’année de “prépa”, Noémie, comme les autres camarades de sa promotion, tentera le concours d’entrée dans le cursus, où la spécialité se travaille 10 heures par semaine. 

Intégrer une troupe ou se former encore  


Après la première année du cursus, 60 à 100 % des étudiants de l’ENACR poursuivent au CNAC. Ceux qui ne continuent pas la formation partent principalement pour intégrer une compagnie, comme Paul, qui a rejoint les Philébulistes. Après une première année de cursus à l’ENACR, Tiago est, quant à lui, rentré dans la troupe de la comédie musicale "Love Circus", qui sera repris en 2016 aux Folies-Bergère.

Quentin, pour sa part, a réussi les concours d’admission à l’École nationale de cirque de Montréal (Canada). Parfois aussi, la motivation des élèves est de rallier une autre école. 

Le main à main a la cote 


Le main à main, acrobatie impliquant au moins deux personnes, une voltigeuse et un porteur, est à la mode. Il faut dire que cette discipline permet de produire du spectacle sans matériel et sans logistique coûteuse, a contrario du trapèze, par exemple. “Plus il y a de gens qui pratiquent, plus il faut être bon”, prévient l’enseignant. Lucie, 23 ans, est pourtant bien décidée à choisir cette spécialité l’an prochain. Pas dupe de la concurrence, celle qui pratique la danse et le cirque depuis plus de 12 ans se rassure en affirmant avoir “la bonne taille et le bon poids pour être voltigeuse”. Elle trouve difficile de ne pas se comparer, malgré les conseils des enseignants. Avant d’intégrer la prépa de l’ENACR, Lucie a obtenu un bac aux États-Unis, puis a enchaîné sur un an au centre régional des arts du cirque Piste d’Azur, près de Cannes (06), suivi de deux ans de mime à Paris. Parallèlement, elle a effectué des entraînements libres de cirque à l’Académie Fratellini

Des étudiants cosmopolites  


Derrière Lucie, un porteur soutient une voltigeuse qui monte sur ses épaules, saisit ses mains avant d’élancer ses jambes vers le haut du chapiteau. La Suissesse Maelie, 20 ans, tente l’équilibre, n’y parvient pas, redescend les pieds sur les épaules d’Hamza, son porteur âgé de 21 ans. Puis, elle recommence. Cette fois, c’est la bonne. Étudiants en première année du cursus, ils se sont rencontrés lors des auditions de la prépa à l’ENACR. Hamza vient d’une école du cirque marocaine, partenaire de celle de Rosny. Comme lui, quelques acrobates étrangers s’entraînent sous le chapiteau. 

Après 2 ans d’école du cirque à Londres (National Centre of Circus Arts), Poppy, 19 ans, a choisi l’ENACR, "parce que la prof de fil de l’école est très forte et très connue", explique-t-elle. À ses côtés, Hernan, argentin de 21 ans, a suivi les pas de son frère, venu en stage à l’ENACR. Il a commencé à se former au cirque à 15 ans, dans une école à Buenos Aires.

Les entraînements s’achèvent. Une séance de 30 minutes d’étirements s’en suit. “Il faut s’étirer, se masser, donner un temps de repos au corps”, explique Maelie. “On croit que ce que l’on fait relève du don ou du talent, mais c’est un travail, avec de la douleur aussi, même si la performance n’est pas le but”, insiste-t-elle. Un travail destiné à rendre l’effort invisible lorsque les projecteurs s’enflamment pour faire place à la magie du spectacle. Et à la poésie. 

Se former À L’ENACR
L’année préparatoire supérieure de l’ENACR. Les candidats sont sélectionnés sur concours : environ 120 postulants pour 20 places. La formation mène au BATC (brevet artistique des techniques de cirque), diplôme de niveau IV de qualification professionnelle en cours d’habilitation. L’enseignement vise à accompagner l’étudiant au DNSP.

Le DNSP, cursus à l’ENACR (Rosny) et au CNAC (Châlons). Conçu sur trois ans, le DNSP (diplôme national supérieur professionnel d’artiste de cirque) est accessible sur concours. La première année se déroule à l’ENACR, à Rosny-sous-Bois (93). Les deux autres années sont dispensées au CNAC (Centre national des arts du cirque) à Châlons-en-Champagne (51).

Pour obtenir le grade de licence (bac+3), les étudiants en formation DNSP peuvent s’inscrire parallèlement en licence mention arts, parcours arts du spectacle, option arts du cirque à l’université de Picardie-Jules-Verne.

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