Reportage

Au cœur de l'ENJMIN, l'école des pros du jeu vidéo

Joseph, 22 ans, élève ingénieur, en apprentissage chez Cortex Productions, a mis au point cet écran 360° pour films en relief.
Joseph, 22 ans, élève ingénieur, en apprentissage chez Cortex Productions, a mis au point cet écran 360° pour films en relief. © Yohan Bonnet/Hans Lucas pour l'Etudiant
Par Étienne Gless, publié le 02 février 2016
1 min

Située à Angoulême, l’ENJMIN (École nationale du jeu et des médias interactifs numériques), dont les étudiants sont souvent récompensés lors des concours internationaux, forme des artistes, des concepteurs, des chercheurs… qui sont aussi des joueurs.

Au bord de la Charente, à Angoulême, se dresse le Nil, temple des formations dédié à l'image animée et aux médias numériques. Ce bâtiment de 4.500 m2 hébergeait des papeteries jusqu'en 1988. Depuis 2014, il abrite des studios audio-vidéo et de capture de mouvements, un amphithéâtre de 270 places, un plateau projets de 400 m2... Bienvenue à l'ENJMIN, école du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers).

Ici, on forme en 2 ans des artistes, des concepteurs, des programmeurs et même des chercheurs. L'école – publique – propose 6 spécialités principales du jeu vidéo et de l'animation : game design (concepteur de jeu), conception visuelle, conception sonore, programmation, ergonomie et management de projet.

Des projets testés auprès de vrais joueurs

En ce jeudi de décembre, la tension est palpable parmi les élèves de deuxième année de master (M2) à l'étage du plateau projets. "Nous sommes tous très stressés !" confie Leila, 26 ans, en M2 spécialité conception visuelle. "Aujourd'hui, les enseignants nous conseillent. Mais en mars, il faudra avoir réalisé une préproduction du jeu et la vendre !"

Vient le tour d'Émilie, 21 ans, étudiante dans la spécialité management de projet. Devant l'équipe pédagogique, elle détaille l'état d'avancement du jeu multijoueurs sur lequel planche son équipe : "Le prototype est réalisé. La direction artistique est fixée : les personnages du jeu seront dans un style 'cartoon'. La semaine prochaine, notre jeu va faire l'objet d'un playtest." Ce dernier consiste à faire tester le jeu pour y déceler les anomalies, imperfections et autres bugs avant sa mise sur le marché.

Stéphane Natkin, directeur de l'école, demande une précision technique sur le bruitage et le retour son. Et livre un conseil : "Soignez les bruits que font les objets quand ils tombent."

Une soutenance devant des pros

Le 25 mars 2016 sera le grand rendez-vous de la soutenance pour les étudiants de M2 : ils devront exposer leur projet durant 40 minutes devant un jury de professionnels. Ces derniers sont des pointures du secteur. Par exemple, Gary Carr était parrain de la promotion 2012-2014 du master JMIN (jeux et médias interactifs numériques). Directeur créatif de Lionhead Studios, il a travaillé sur le jeu culte, "Fable". Ou encore, Patrice Désilets avait, quant à lui, parrainé la promotion 2013-2015. Directeur créatif dans le jeu "Assassin's Creed", ce Franco-Canadien a créé son propre studio – Panache Digital Game – après avoir longtemps travaillé chez Ubisoft, entreprise française et numéro 3 mondial dans le secteur, derrière les géants américains Electronic Arts et Activision Blizzard.

Des élèves aux parcours diversifiés

Pour entrer à l'ENJMIN, pas de voie unique, mais le niveau licence (bac+3) est requis. Les candidats de la spécialité game design ont les parcours les plus divers : études en lettres, philosophie, communication et même anthropologie. D'autres sont issus de formations spécialisées en scénario, audiovisuel ou écriture multimédia.

Ceux qui choisissent l'ergonomie se préparent aux métiers d'ergonome d'interfaces de jeux ou de responsable de validation des tests. Les candidats à cette spécialité ont souvent suivi des études en psychologie ou sciences cognitives. Pas Viviane, 22 ans, élève en M1 (master première année). Après un bac S et une MANAA (mise à niveau en arts appliqués) au lycée Eugénie-­Cotton à Montreuil (93), elle entre dans une école privée postbac pour s'initier à la programmation et aux bases de l'ergonomie. La jeune femme réalise son stage de fin d'études chez Ubisoft, au laboratoire de tests à Montreuil. "Beaucoup de salariés sortaient de l'ENJMIN. C'est ce qui m'a donné envie de rejoindre cette école pour combler mes lacunes."

Les futurs graphistes sont plus classiquement issus d'une école d'art, d'un BTS ou d'une licence en infographie. Ceux qui se destinent à la conception sonore ont un parcours d'ingénieur du son ou de musique. Tel Noé, 21 ans, élève en M1, entré à l'école angoumoisine après une licence arts, parcours musique et métiers du son obtenue à l'université Paris-Est-Marne-la-Vallée.

Une admission très sélective

Entre 65 et 70 élèves sont retenus, toutes spécialités confondues, parmi plus de 300 postulants à l'entrée de l'ENJMIN. S'inscrire au master JMIN ne se fait pas en deux clics : 6 à 8 semaines de préparation sont nécessaires. Vous serez amené à présenter un dossier technique qui porte sur la réalisation d'un jeu à partir d'un thème imposé. Cette épreuve doit prouver votre capacité de réflexion, d'innovation et de créativité en rapport avec les médias interactifs. En 2014, le sujet était "Wadjda", premier film réalisé en Arabie saoudite par une femme : Haifaa al-Mansour. En 2015, encore plus ardu, les candidats ont dû plancher sur un sujet de physique quantique, le boson de Higgs !

Avoir l'esprit créatif et rester curieux

"Pour réussir l'entrée à l'ENJMIN, en plus des connaissances du jeu, vous devez être curieux et posséder une bonne culture générale !" conseille ­Stéphan, 28 ans, en M1. Il a intégré l'école après un parcours professionnel de 5 ans au service de l'armée de l'air, suivi d'une reprise d'études : un DAEU (diplôme d'accès aux études universitaires) puis une licence professionnelle en game design obtenue à l'université Paul-Valéry à Montpellier. Ce qui l'a aidé à réussir les épreuves d'admission ? "J'ai participé à de nombreuses 'game jams', ces compétitions où l'on doit créer un jeu en équipe en un temps limité, de 24 à 72 heures. Et j'ai longtemps rédigé des tests de jeux pour un site spécialisé."

"Tout au long du cursus, nous proposons un travail d'équipe pluridisciplinaire", explique Stéphane Natkin, le directeur. "On doit apprendre à travailler ensemble. Au premier semestre de M1, nous étudions donc les autres spécialités", confirme Leila. La jeune femme se destine au métier de "character designer", lequel donne vie aux personnages d'un jeu.

Game Paris Awards, Monaco Anime Game ou Nova Play... Les futurs professionnels participent à de nombreux concours où leurs projets raflent des prix.

Un cursus qui peut mener jusqu'à la thèse

L'ENJMIN est également un lieu de recherche. "Cette année, nous planchons sur 2 thèmes de recherche : 'temps immersion et présence et couleur' ; 'avatar et performance'", explique Viviane. "Des élèves de M1, qui ont créé le jeu 'Little Furious', ont publié un article dans une revue scientifique de renom", se réjouit Stéphane Natkin. "Nous sommes même la seule école de jeu vidéo où les élèves peuvent finir leur cursus par une thèse !" fait observer le directeur. Ainsi Stéphanie, une game designer, s'est-elle prise au jeu : elle a soutenu, en 2015, sa thèse de doctorat informatique sur la conception de jeux thérapeutiques.

Travailler pour les studios ou monter le sien

Plus tentés par l'entrepreneuriat, d'autres préfèrent monter leur propre studio. C'est la quête de ­Vincent, 29 ans. Ingénieur programmeur de formation, diplômé en 2014, il a créé Ebim Studio.

Hébergé au sein de l'école, l'entrepreneur développe, avec son équipe, Ascent, un jeu d'alpinisme sur Oculus Rift, casque de réalité virtuelle, qui sera mis sur le marché en 2016. Vincent aimerait synchroniser la sortie de son jeu avec celle du casque pour profiter de cette formidable rampe de lancement. Le développement du projet a coûté 200.000 €. Pour l'instant, Vincent vit encore grâce aux aides sociales. Mais si son jeu est un succès, il pourrait gagner gros. L'entrepreneur garde l'esprit joueur !

Se former à l'ENJMIN
Le master JMIN : ce cursus jeux et médias interactifs numériques propose 6 parcours : conception visuelle, conception sonore, ergonomie, game design, management de projet et programmation. Le recrutement (65 places en 2015) se déroule de février à juin 2016. Les candidats doivent être titulaires d'un bac+3 au minimum et réaliser un dossier technique sur un thème imposé, mis en ligne sur enjmin.fr.
Coût de la scolarité : selon la spécialité, de 471 à 476,10 € pour un étudiant non boursier ; de 0 à 5,10 € pour un boursier (en 2015-2016).

Le diplôme d'ingénieur STMN : cette formation d'ingénieur informatique sciences et technologies des médias numériques, lancée en 2014, se prépare en 3 ans, en alternance après un bac+2. Coût de la scolarité : gratuite et rémunérée en contrat d'apprentissage.

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