Reportage

Le Fresnoy: la fabrique des artistes à Tourcoing

Par Mathieu Oui, publié le 03 juillet 2009
1 min

A l’occasion de Panorama 11, la dernière exposition des oeuvres d’élèves, rencontre avec trois étudiants du Fresnoy, post-diplôme pour jeunes artistes à Tourcoing.

Un tremblement de terre virtuel, une forêt de bonsaïs, une mystérieuse Ondine animée, une comédie musicale tournée dans une déchetterie… la dernière exposition du Fresnoy est riche en images et sensations, parfois farfelues, souvent déroutantes.


"Panorama 11, un archipel d’expériences" regroupe la production des deux dernières promotions de cet établissement d’enseignement supérieur atypique. Depuis 1997, Le Fresnoy accueille de jeunes artistes ayant déjà validé un bac + 5 pour deux années consacrées à la réalisation d’œuvres : installation, photos, vidéo, cinéma.... Le programme de la onzième promotion comprend une cinquantaine de réalisations, pour moitié des installations, pour moitié des films. Chaque résident reçoit une enveloppe de 8400 €, et surtout l’aide des artistes invités, ingénieurs et techniciens du Fresnoy pour mener à bien son projet dans des conditions professionnelles. Dirigé par l’artiste et écrivain Alain Fleischer (cf. interview en encadré), le Studio national des arts contemporains attire largement au delà de nos frontières : la moitié des inscrits viennent de l’étranger.
 

Atsunobu Kohira donne dans le grondement de terrain

 
Mais commençons la visite. Sur la pelouse de l’école, le visiteur est accueilli par une étrange vibration, la reconstitution sonore d’un tremblement de terre imaginé par Atsunobu Kohira.
Infravoice, son installation, consiste en un micro niché dans un tube métallique lui même planté dans le sol. On parle dans le micro et quelques secondes après, le temps que les ondes soient propagées dans le sous-sol, celles-ci sont renvoyées sous forme de vibrations intenses. "Je voulais fabriquer un instrument pour communiquer entre la terre et l’homme", raconte Atsunobu Kohira, né à Hiroshima il y à trente ans. Le jeune artiste a été très marqué par les tremblements de terre dans son pays. Pour réaliser cette œuvre, il lui a fallu enterrer six-haut parleurs, à 80 mètres de profondeur et concevoir une pyramide en bois pour les accueillir. "Grâce au Fresnoy, j’ai pu travailler avec un ingénieur du son. Sans son appui, je n’aurais pas pu mener à bien mon projet. Aux Beaux-arts à Paris, j’étais habitué à me débrouiller tout seul. Ici on est peu d’étudiants et beaucoup mieux encadrés : je découvre le travail collectif !"
 

Marina Meliande, à la place de Mona-Lisa

 
La Brésilienne Marina Meliande a elle choisi de prendre la place de La Joconde,  le tableau le plus regardé du monde. L’image qui reste consiste en une installation vidéo qui documente pendant trois heures le défilé des spectateurs se pressant devant le chef d’œuvre de Leonard-de-Vinci au Louvre. Jeunes, personnes âgées, couples, étrangers, touristes mitraillent la Joconde à bout de bras, de leurs appareils-photos numériques et téléphones portables. En mettant la caméra juste à la place de Mona-Lisa, l’artiste révèle cette frénésie collective et interpelle notre rapport à l’image. "Tout le monde fait la même photo d’une œuvre qui est déjà très diffusée", remarque Marina."Quand on regarde les gestes des spectateurs de la Joconde, le téléphone portable semble comme une extension de leur propre corps." Comment cette jeune femme originaire de Rio a t-elle eu vent du Fresnoy ? "C’est par le biais d’artistes brésiliens qui étaient déjà passés ici. Après ma formation en cinéma à Rio, j’avais envie de travailler sur les relations entre le cinéma et l’art contemporain. Le studio des arts contemporains est le lieu idéal pour cela", explique la jeune femme.
 

Clorinde Durand, une inquiétante Médusalith

 
C’est une jeune femme nue, couchée dans l’eau, la tête et le corps recouverts par une impressionnante chevelure rousse. Quand on s’approche, Médusalith Amaquelin relève lentement la tête, dans un mouvement qui surprend le visiteur. "J’ai l’impression d’avoir créé un Frankestein", s’amuse Clorinde Durand, l’auteur de cette créature de silicone, troublante de réalisme. Ces six derniers mois, la jeune artiste a travaillé avec des spécialistes de l’animation et de la programmation."Avant de venir, j’avais surtout fait de la vidéo", raconte cette ancienne des Beaux-Arts d’Aix-en-Provence. "Cette fois, j'avais envie de prendre des risques dans un domaine où je ne contrôle rien. Jusqu’à présent je faisais tout par moi même, c’était un peu du bricolage. Ici au Fresnoy, j’ai appris à diriger une
équipe de professionnels. C’est un peu violent par moments car on prend des coups mais en même temps, on apprend à déléguer et à faire confiance." Pour sa Médusalith, Clorinde a reçu comme les autres élèves une dotation de 8400 €, complétée par une bourse de 6000 € de la Fondation Lagardère. Pour préparer sa sortie du Fresnoy, la jeune artiste a candidaté pour des résidences d’artistes et prépare une exposition photos dans le sud. Quoi qu’il en soit, Clorinde sait déjà que c’est la "grande aventure" qui l’attend !


Trois questions à Alain Fleischer, directeur du Fresnoy
"Un lieu de production avant tout"

-Comment définiriez-vous l’esprit du Fresnoy ?
C’est un lieu de production avant tout et non pas une résidence d’artistes : les étudiant doivent se loger par leurs propres moyens. On a démarré en 1997 de façon assez confidentielle, mais aujourd’hui l’école fonctionne à 90% comme prévue dans les textes fondateurs. Dès le départ, j’ai défendu plusieurs points : l’ouverture internationale de l’école, sa gratuité pour tous et la possibilité de pouvoir continuer mon activité personnelle en tant qu’artiste.-

Plus de dix ans après sa création, qu’est ce qui vous permet de dire que la mission de l’établissement est remplie ?
Il y à beaucoup d’indices. On reçoit des candidats venant de 45 pays : Ceylan, Australie, Chine, Afrique du Sud…. Au total, cela représente près de 200 candidats pour 24 places. A l’étranger, on est vu comme une institution unique. Et puis il y a tous les prix et bourses remportés par nos anciens. Laura Henno a obtenu le Prix découvertes au festival de la photo d’Arles il y à deux ans. Anri Sala a fait une carrière internationale : il réussit tellement bien qu’il n’a plus besoin de nous ! On forme des créateurs dans différents champs, cinéma, télévision, photographie, multimédia mais aussi des profs.

- Comment accompagnez-vous les jeunes artistes après leur sortie ?
Il existe une aide aux projet extérieur, 50 projets chaque année, qui consiste en une mise à disposition du matériel et des moyens. Les anciens peuvent revenir utiliser le labo photo ou les salles de montage. Et puis, on les aide sur des projets ponctuels. Par exemple, la ville de Lille vient d’organiser un colloque sur l’urbanisme et nous a sollicité pour deux interventions d’artistes. Comme nos étudiants n’avaient pas le temps, nous avons fait appel à deux anciens qui sont revenus ici pour préparer leur projet.

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