Interview

Richard Descoings : "Sciences po est une université sélective "

Par Propos recueillis par Sophie de Tarlé, publié le 30 octobre 2009
1 min

La rédaction de l’Etudiant a accueilli Richard Descoings, l’inclassable directeur de Sciences po Paris, qui a répondu sans tabous à nos questions sur sa vision de l’institut.

En dix ans, vous avez considérablement remodelé les conditions d’accès à Sciences po. Procédures  d’admission, frais de scolarité, il y a des changements presque tous les ans. Au bout du compte, ces évolutions ne sont-elles pas une révolution cachée ?

 
De fait, l’école est en profonde mutation, pour la simple raison que nous sommes dans une compétition internationale qui exige une adaptation permanente. Mais il n’y a pas de révolution "cachée" : tout se fait au grand jour !
 

Tout de même, à la rentrée, vous avez présenté Sciences po à vos étudiants en parlant d’une "université sélective" ! N’est-on pas loin du modèle "grande école" qui prévalait à votre arrivée ?

 
On ne réforme pas une institution, quelle qu’elle soit, en se mettant à dos le corps social qui l’incarne. Cela n’aurait pas eu de sens d’évoquer à l’époque ce modèle "d’université sélective". Avant d’en arriver à cette notion, il fallait faire évoluer les représentations des uns et des autres – des étudiants comme des enseignants. Ce fut l’objet de plusieurs évolutions engagées ces dernières années, qui rendent aujourd’hui audible une telle formulation. Et encore, croyez-moi, lorsque je l’ai annoncé aux étudiants, ils ont fait une drôle de tête : ils croyaient être entrés dans une "grande école" ! Notez au passage qu’il est quand même curieux qu’en France, les jeunes fassent tout pour éviter l’université. Mais cela interroge plus l’université que Sciences po…
 

Un des axes de votre politique est d’ouvrir Sciences po socialement. Au-delà des procédures spécifiques qui permettent d’intégrer des jeunes issus de lycées classés en ZEP (zone d’éducation prioritaire), avez-vous réussi ?

 
L’ouverture sociale s’est faite d’abord grâce à l’augmentation des effectifs. De 1995 à 2008, nous sommes passés de 4 000 à 7 000 étudiants. Le nombre de candidats boursiers a beaucoup augmenté. Nous offrons d’ailleurs aux boursiers un complément équivalant à 50 % de ce qu’ils perçoivent du CROUS [centre régional des œuvres universitaires et scolaires, NDLR]. À l’avenir, mon objectif serait d’aller jusqu’à 100 %, c’est-à-dire de doubler le montant que verse le CROUS. Les résultats sont là : en 2000, nous avions 6 % de boursiers dans l’école, en 2007, ils étaient 20 %. L’objectif à quatre ou cinq ans est que ce chiffre soit de 30 %.
 

Sciences podemeure moins mixte socialement que les prépas, par exemple… 

 
Oui. Nous restons en dessous des classes préparatoires, mais la différence, de taille, est que nos élèves réussissent tous ! De plus, grâce aux CEP (conventions d’éducation prioritaire) que nous avons établies, nous avons désormais 450 à 500 élèves issus de ZEP et, parmi eux, deux élèves sur trois ont un parent étranger. Enfin, les frais de scolarité varient en fonction des revenus. En 2007-2008, 25 % des élèves n’ont pas payé de frais de scolarité et 25 % ont payé les frais de scolarité les plus élevés.
 

Aujourd’hui, beaucoup de candidats à Sciences po passent par des stages coûteux pour avoir une chance de réussir le concours. C’est un peu paradoxal quand on parle en même temps d’ouverture sociale, non ?

 
Je ne conteste pas l’utilité de ces prépas, souvent très efficaces, ni l’effet pervers que vous mentionnez. Mais n’oubliez pas que l’éventail des procédures d’admission a été élargi ; par exemple, l’accès sur mention très bien permet déjà d’avoir des profils d’étudiants plus variés qu’avant.
 

Justement, peu à peu, les voies d’accès se diversifient. À quand la fin du concours d’entrée postbac sous sa forme actuelle, dont on sait qu’elle favorise les plus aisés ?

 
Ce n’est pas à l’ordre du jour à court terme. Cela étant, je réfléchis à plusieurs pistes : changer la date du concours et le mettre juste après le bac afin de limiter le recours aux "prépas" privées ; augmenter la part de l’oral – mais cela coûte très cher… De plus, il existe un profond attachement à ce concours, que je ne saurais ignorer. On ne réforme pas en se mettant à dos la majorité de la communauté – et je pense ici aux étudiants comme aux enseignants.
 

À quoi ressemblera Sciences po dans cinq ans : à HEC ou à Harvard ?

 
À Sciences po. Mais si vous cherchez à tout prix un point de comparaison, regardez du côté de la LSE (The London School of Economics and Political Science). Cette école est connue dans le monde entier. Elle participe pleinement à la vie citoyenne et politique de son pays – elle a inspiré le programme politique du New Labour de Tony Blair. Aujourd’hui, je pense continuer à nouer des partenariats avec des universités parisiennes. Il est bizarre qu’en France on considère que Paris n’a pas besoin d’une grande université, contrairement à Londres ou à New York. En France, quand on prétend réformer l’université, on dépense de l’argent pour rénover les campus. La réponse n’est pas là. Il faudrait avant tout investir dans les formations et dans la recherche. C’est-à-dire pour les étudiants et pour l’excellence académique.

Vidéo
Prépas privées, profil des admis, débouchés après Science Po… Richard Descoings s’est prêté au jeu des questions-réponses face caméra.


ITW Richard Descoings, directeur de Sciences Po Paris
envoyé par L_Etudiant
 

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