Décryptage

Suppressions de postes d’enseignants : comment vous, les élèves, le payez

Par Virginie Bertereau avec Natalie Fernandez, publié le 25 juillet 2011
1 min

Quelque 66.000 suppressions de postes dans l’Éducation nationale en 4 ans, cela se ressent, cela se voit. Quelles sont les conséquences pour vous sur le terrain ? Effectifs dans les classes, choix des options, soutien en cas de difficulté… Enquête sur ceux qui paient la facture en cette rentrée 2011.

Nicolas Sarkozy l’a promis : “La réforme du lycée se fera à moyens constants.” Jusqu’ici, la promesse a été tenue. Il n’empêche : les 66.000 suppressions de postes dans l’Éducation nationale – en majorité d’enseignants – recensées depuis 2007 impactent sa mise en œuvre. Car, pour l’appliquer, chaque lycée doit faire son choix sur ce qui lui semble important de garder ou de supprimer.

“Aujourd’hui, on regarde au plus près. Peut-être le fallait-il… Mais tout devient compliqué, jusqu’à la construction des emplois du temps. La marge que nous avions permettait des parcours plus individualisés. Cours artistiques, culturels, options… : le lycée offrait des palettes plus vastes. Cela faisait sa richesse. Aujourd’hui, les établissements sont mis en compétition”, déclare Martine Duval, proviseur du lycée Charles-de-Gaulle à Rosny-sous-Bois (93). Tour d’horizon de ce qui vous attend, sur la base de témoignages recueillis sur le terrain.


1. Vous avez moins le choix dans les options

Les faits
“Dans mon établissement, on a supprimé le russe en LV3. Mais plus on diminue l’offre, plus on diminue les effectifs : c’est un cercle vicieux qui entraîne la mort de certaines options. Les élèves ne peuvent plus faire de la musique et du russe. Les combinaisons ne sont plus possibles”, assure Florence Delannoy, proviseur du lycée Fénelon à Lille (59). “Dans mon établissement, on a supprimé l’espagnol en LV2 pour les ST2S (sciences et technologies de la santé et du social). Il a été décidé de donner les 5 heures seulement à la LV1, car depuis 2011, la LV2 est devenue facultative pour cette série”, déclare Emma Avery, professeur d’anglais en ST2S et en STL au lycée polyvalent du Golf de Dieppe (76).

Les causes
C’est la chasse aux petits effectifs. “Quand il faut faire avec moins de moyens, on est partagé entre l’idée de garder des sections prestigieuses [comme les sections européennes ou internationales, NDLR] et des disciplines surencadrées, comme les options, ou rebattre toutes les cartes”, explique Claude Lelièvre, historien de l’éducation.

Les réponses sur le terrain
Parmi les solutions utilisées, la mise en réseau des établissements : les élèves vont suivre ponctuellement des cours dans un lycée voisin. “En l’occurrence, le russe est proposé à Lambersart, à 3 km de Lille. La distance reste raisonnable, mais il faut encore accorder les emplois du temps”, indique Florence Delannoy. Surtout quand les classes sont mixtes, c’est-à-dire qu’elles rassemblent plusieurs niveaux, voire plusieurs séries. “À la rentrée 2011, j’enseignerai dans la même classe à des élèves de séries L, ES, S et STG, LV1 et LV2 confondues. Des élèves que je dois préparer à des épreuves du bac différentes en langues vivantes : orale pour certains, écrite pour d’autres”, déplore Danièle Beziat, professeur d’allemand au lycée Jean-Durand de Castelnaudary (11). Autres solutions utilisées : supprimer les groupes pour faire cours en classe entière, diminuer le nombre d’heures quitte à ne pas assurer l’horaire officiel, ou mettre plus d’élèves par classe.

La carte de l’offre de formation au lycée est donc difficile à dessiner. “Il y a une grande différence entre ce que propose le ministère sur le papier et ce qui est proposé dans les faits sur le terrain”, juge Valérie Sipahimalani, secrétaire nationale du SNES-FSU (syndicat d’enseignants du second degré) en charge des lycées et professeur de SVT. À l’Éducation nationale, on rétorque que “le système n’est pas asséché”. Et d’insister : “En France, on garde une grande variété de choix. Certains débattent sur le fait qu’il y aurait même trop de choix.”


2. Vous êtes plus nombreux en classe


Les faits
“Pour conserver notre cours de création et activité artistique – un enseignement d’exploration de seconde qui devient une spécialité en 1re L – nous avions besoin de trouver 1h30 par semaine. Nous avons cherché du côté des groupes de compétences en langues. Certains comptaient 15 élèves, voire 11, contre les 24 prévus. Nous avons donc constitué des groupes de 22 à 24 jeunes. Et nous avons dégagé pas mal de moyens”, explique Martine Duval, proviseur du lycée Charles-de-Gaulle à Rosny-sous-Bois.

Les causes
L’argument de la baisse du nombre d’élèves a souvent été avancé pour justifier les suppressions de postes, et donc de classes. “À la rentrée 2011, on perd 2 classes alors que l’on prévoit 23 élèves en moins. Pour 2 jeunes en moins en 5e, on supprime une classe entière. Idem pour 8 élèves en moins en 4e”, témoigne Marylène Chignard, professeur de maths du collège Marie-Mauron de Pertuis (84). Résultats : “Une augmentation du nombre d’élèves par classe et la disparition d’une 3e spécifique, donc l’intégration d’élèves en grande difficulté avec les 29-30 autres. Et encore, l’inspection académique n’a pas du tout pris en compte la construction de 143 logements livrés en 2011-2012 et la hausse programmée des effectifs qui va de pair”, ajoute-elle.

Les réponses sur le terrain
Quand il y a trop de candidats à un enseignement, on écrème parfois. “Dans mon établissement, en latin, on ne peut se permettre de garder qu’une seule classe de 32 à 35 élèves à cause des suppressions d’heures. Au-delà, on sélectionne”, affirme Joël Vuylsteker, professeur de SVT au collège Gérard-Philipe à Hénin-Beaumont (62) et secrétaire de la section locale du SNES-FSU.


3. Vous êtes plus souvent en classe entière


Les faits
“Au lieu d’enseigner à une classe entière à 30 et à une classe en demi-groupe à 15 en terminale ST2S, je ne fais plus que des heures de cours en classe entière”, raconte Emma Avery, professeur d’anglais au lycée polyvalent du Golf de Dieppe. Et le temps pour l’oral est réduit.

Les causes
Au lycée, qui dit empiètement sur les moyens, dit empiètement sur les cours en petits groupes (ou “dédoublements”).

Les réponses sur le terrain
“Dans certains établissements du secteur, les enseignements d’exploration de seconde se déroulent en classe entière. Pour notre part, nous avons réussi à nous débrouiller avec notre part d’autonomie (1) : les enseignements d’exploration scientifiques et technologiques – MPS (méthodes et pratiques scientifiques), sciences et laboratoire et création et innovation technologiques – ont lieu en groupe”, témoigne Bruno Bobkiewicz, proviseur du lycée Le Corbusier à Aubervilliers (93) et secrétaire académique du SNPDEN (Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale).

(1) Sur la trentaine d’heures de cours hebdomadaires prévues au lycée, un certain nombre est laissé à l’appréciation des établissements quant aux matières ou aux modes d’enseignement (en groupe, classe entière…).


4. Vous risquez d’être moins aidé en cas de difficulté


Les faits
Les coupes portent également sur le soutien. C’est surtout le cas au collège, mais cela peut également l’être au lycée. “Dans mon établissement, je vais perdre 15 heures par semaine d’aide aux élèves en difficulté à la rentrée 2011”, affirme Bruno Bobkiewicz.

Les causes
“Quand un établissement dispose de moyens, il investit dans les pôles d’excellence (comme les sections européennes) et les élèves en difficulté. Quand il a moins de moyens, il recentre sur ce qui est obligatoire : l’horaire légal. On réduit la partie grasse”, explique Bruno Bobkiewicz.

Les réponses sur le terrain
Sur ce sujet, le ministère de l’Éducation nationale a une parade : l’accompagnement personnalisé, mis en place dans le cadre de la réforme du lycée à la rentrée 2010. Encore faut-il que les établissements et les professeurs (volontaires) jouent le jeu et l’utilisent tel qu’il a été pensé : 2 heures par semaine de méthodologie, d’aide à l’orientation, d’approfondissement… et non de cours pour avancer dans le programme. En 2010, ce n’était pas toujours le cas (comme le montrait notre bilan de la réforme du lycée au printemps 2011).


5. Vous êtes plus ou moins bien loti selon votre région


Les faits
Les suppressions de postes ne sont pas égales dans toutes les académies. Entre 2007-2008 et 2009-2010, celles de Reims, de Lille, d’Amiens, de Bordeaux et de Nancy-Metz ont été les plus “ponctionnées”.

Les causes
Le réajustement par rapport à l’évolution de la démographie s’impose comme le principal motif de ces coupes. Ainsi, les académies de Reims, Nancy-Metz ou Lille font également partie des académies qui perdent le plus d’élèves (en chiffres relatifs) : – 3 % sur la période étudiée. Parfois, pourtant, cela ne colle pas. Dans l’académie de Bordeaux, par exemple, on compte 5,52 % de professeurs en moins pour 1 % d’élèves en plus entre 2007-2008 et 2009-2010.

Les réponses du ministère
À la demande du ministère de l’Éducation nationale, les suppressions de postes sont réalisées “au plus près du terrain, académie par académie”. Autrement dit, aux recteurs de trouver des “leviers” au niveau local. “Tout dépend alors de leurs priorités, de leurs rapports d’influence avec les syndicats, les parents d’élèves. Un dispositif qui permet de justifier les suppressions ‘parce qu’on est dans la proximité’. C’est bon pour la légitimité, mais pas pour transparence”, juge Claude Lelièvre, historien de l’éducation. 


Éducation nationale : la grève de rentrée
Les fédérations syndicales de l’Éducation nationale Ferc-CGT, FSU, Sgen-CFDT et Unsa Éducation ont appelé à une journée de grève le 27 septembre 2011 pour dénoncer les suppressions de postes qui “mettent l’école publique à genoux”. Les syndicats dénoncent “les 16.000 nouvelles suppressions de postes effectives” prévues à la rentrée 2011 “alors même que plus de 60.000 élèves supplémentaires sont attendus”. Les fédérations de parents d’élèves et d’autres organisations du monde de l’éducation pourraient s’associer à l’appel.



Postes supprimés : quelles matières sont les plus touchées ?
Le tableau ci-dessous présente les disciplines qui ont vu leur nombre de postes d'enseignants diminuer entre les années scolaires 2007-2008 et 2009-2010. À noter, dans quelques matières, on constate des augmentations, notamment, pour le lycée général et technologique, en génie chimique (+ 12,1 %), en paramédical et social (+ 5,2 %), en EPS (1 %), ou encore en physique-chimie pour le lycée professionnel (+ 7 %).
Type d'établissements Part de postes
“perdus” (%)
Nombre de postes “perdus”
Lycée général et technologique   
Génie mécanique – 13,5 % 1.098
Industries graphiques – 10,1 % 14
Génie éléctrique – 6,2 % 292
Économie-gestion – 5,9 % 972
Philosophie – 5,1 % 203
Langues – 4,9 % 1.125
Histoire-géographie – 4,1 %  423
Physique-chimie – 3,8 % 516
EPS – 3,8 % 255
Maths – 3,4 % 594
Lettres  - 2,9 % 461
Lycée professionnel   
Métiers des arts appliqués  – 96,6 %  1.894
Éducation musicale  – 42,8 %  3
Biologie-géologie – 21 % 4
Génie mécanique – 15,3 % 797
Génie industriel – 13,7 % 482
Génie électrique – 12,9 % 405
Génie chimique – 12,4 % 16
Philosophie – 7,7 % 1
Économie-gestion – 7,2 % 617
Maths – 6,9 % 388
Hôtellerie – 5,5 % 37
Lettres – 3,9 % 422

Où y a-t-il le plus de suppressions de postes ?
Apparaissent ci-dessous les académies les plus touchées par les suppressions de postes d'enseignants du second degré entre 2007-2008 et 2009-2010.
Académie Part de postes “perdus” (%)
Reims – 6,2 %
Lille – 5,8 %
Amiens – 5,7 %
Bordeaux – 5,5 %
Nancy-Metz – 5,5 %

À quel niveau les suppressions de postes sont-elles les plus marquées ?
Les établissements les plus touchés par les suppressions de postes d'enseignants du second degré entre 2007-2008 et 2009-2010
Type d'établissements Part de postes “perdus” (%)
Lycée professionnel – 7 %
Lycée général et technologique – 3,9 %
Collège – 3,4 %
Source : Repères et références statistiques 2008 et 2010, ministère de l’Éducation nationale.

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