Enquête

Des stages "photocopies-café" ? Pas pour eux…

Emploi : Carrière et vie professionnelle
Des stages "photocopies-café" ? Pas pour eux… © l'Etudiant
Par Danièle Licata, publié le 28 mars 2014
1 min

"Il faut mettre fin aux stages photocopies-café". À en croire Geneviève Fioraso, la ministre de l'Enseignement supérieur qui s'exprimait en février 2014, les stages où l'on se tournerait les pouces auraient toujours cours. Si certains stagiaires sont encore livrés à eux-mêmes sans mission concrète ni liée à leurs études, beaucoup ont plutôt le sentiment d'avoir été purement et simplement embauchés à la place d'un salarié.

Le stage en entreprise "est né le jour de l'abolition de l'esclavage". Une bombe que Léa Frédéval lance dans son livre "les Affamés. Chronique d'une jeunesse qui ne lâche rien", paru en mars 2014 chez Bayard. Traduisez : on est très loin des "stages cafés-photocopies" que dénonçait en février Geneviève Fioraso, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, lors de l'examen par le Parlement de la proposition de loi sur l'encadrement des stages.

Car la réalité des quelque 1,6 million de stagiaires qui se pressent chaque année aux portes des entreprises pour valider leurs diplômes est tout autre. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : plus de 100.000 emplois seraient occupés par des stagiaires, 70 % des stages ne seraient pas rémunérés et 42 % ne seraient pas encadrés (source : CGT).

Emploi déguisé

Diplômée en sciences de l'information, Léa, 23 ans, habite Paris et fait partie de cette jeunesse abonnée aux stages "galères" mais obligatoires pour décrocher le fameux Graal du diplôme. Huit mois à environ 435 € mensuels dans un théâtre parisien avec comme thème de mémoire : "Comment insérer le théâtre dans un parcours culturel d'un arrondissement de Paris". Mais huit mois consacrés à une toute autre mission que celle initialement prévue : "J'ai tout fait sauf ce pour quoi j'avais été embauchée. L'intitulée du stage était : chargée de communication. Gigantesque blague. J'étais l'assistante personnelle de la directrice du théâtre. Officiellement, mes horaires étaient de 13 h-22 h. Officieusement, mes heures étaient incalculables."

Léa, comme beaucoup d'autres, a enchaîné les stages "parce que c'est la seule expérience qui [lui] a été donnée de connaître". "Dès la première année de fac, on nous rabâche à quel point le stage est primordial, essentiel, même vital. Il nous est présenté comme une immersion totale dans la vie professionnelle, une ouverture privilégiée qui nous permettra de saisir les enjeux réels du monde. Bref, si tu veux percer et survivre dans cette société, tu te dois d'être exploitée au moins une fois."

250 € au plus pour un quasi plein-temps !

Expérience similaire pour Jeannic, 21 ans, étudiante en deuxième année de journalisme à l'IEJ (Institut européen de journalisme). Afin de valider son année, elle est passée par la case stage obligatoire de trois mois dans un média. Pour elle, ce sera un site d'actualité, à raison de 20 heures par semaine en parallèle à ses heures de cours. "Je devais rendre deux papiers ou diaporamas par jour sur des sujets décidés par la rédactrice en chef le matin pour le soir. Un véritable job à plein temps." Sa rémunération ? Entre 150 et 250 € par mois via une pirouette habile de son employeur puisque la convention de stage spécifiait un mi-temps.

Pire encore : la situation qu'a connue Alexandra, elle aussi étudiante en journalisme. Les tâches dévolues pendant son stage ? Interviewer, filmer et écrire. Du concret donc, et en lien avec son futur métier. Le hic, alors ? Que ce stage occupe au moins 20 heures par semaine sur une durée prévue de plus de six mois... et sans rémunération. "C'est pour un lancement de site". Dont elle taira le nom. Comprenez : "J'ai besoin de ce stage, si je parle, c'est foutu."

La situation est pourtant illégale : la durée du stage ne peut dépasser six mois et au-delà de deux mois consécutifs dans l'entreprise, l'employeur doit verser une indemnisation d'au moins 436,05 € (lire à ce sujet notre dossier "Vos droits et devoirs de stagiaire : faites le point sur vos connaissances"). "Nous sommes cinq à fournir du contenu pour ce site... tous stagiaires", déplore, impuissante, l'étudiante.

Lâché dans le grand bain dès le premier jour…

On est donc bien loin des "stages photocopies-café". Et il n' y a pas que dans la culture et les médias que les stagiaires se substituent aux salariés. Thomas, 23 ans, est en master 2 de droit fiscal à l'université Descartes de Malakoff (92). Pour valider son année, il est actuellement en stage pour une durée de quatre mois dans un cabinet d'avocats spécialisé dans son domaine. Recherches juridiques et jurisprudentielles, étude de dossiers, rédaction de conclusions, voilà son quotidien. Une expérience formatrice, responsabilisante.... sans doute un peu trop toutefois pour un simple stage. "Dès le premier jour, j'ai été lâché dans le grand bain."

Parfois même, la couleur est annoncée d'avance : il n'y a qu'à lire certaines annonces de stage pour s'en convaincre. En témoigne le poste proposé dans l'exemple ci-dessous où l'entreprise affiche sans détour ses exigences pour un stage à plein temps d'assistant commercial. Malgré la charge de travail qui s'y dessine, nul doute qu'elle trouvera preneur. 

Reste à être philosophe, comme l'écrit Léa : "L'adversité m'a forgée. Les obstacles auxquels j'ai été confrontée m'ont appris à ne pas lâcher le morceau." Qui a parlé de jeunesse nonchalante et insouciante ?

EXEMPLE D'ANNONCE DE STAGE

Annonce parue sur iquesta.com. Un exemple parmi tant d'autres du type "d'offres" que l'on trouve sur les job boards aujourd'hui.

Cliquez sur l'image pour l'agrandir.
Annonce

Christelle Meslé-Génin est la fondatrice de JobIRL"Avoir conscience que le stage peut être une vraie opportunité, mais savoir dire 'non' en cas d'abus"
Interview de Christelle Meslé-Génin, fondatrice de JobIRL, réseau professionnel pour l'orientation des 14-25 ans.

Contre les abus de certaines entreprises à l'égard des stagiaires, que préconisez-vous ?
“Il faut que les jeunes osent dire non. Dire non si l'entreprise leur demande de travailler jusqu'à 20 heures et au-delà ; non si elle leur impose d'exécuter des tâches qu'ils ne sont pas capables de faire sans être ‘drivés’. Mais je ne suis pas très inquiète. La génération Y sait, à l'inverse de la génération X, mettre des limites, ne serait-ce que pour maintenir le juste équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle. Et puis arrêtons de vouloir les protéger de tout. C'est à leur âge que l'on fait ses premières armes.
La véritable dérive est ailleurs. On ne compte plus le nombre de jeunes diplômés contraints  de s'inscrire dans une université quelconque juste pour obtenir cette fameuse convention de stage qui leur permettra de pousser la porte des entreprises, et espérer ainsi obtenir une embauche.”

La mission d'un stagiaire peut-elle être identique à celle d'un salarié ?
“Oui. Le stage est une magnifique opportunité. C'est le moyen d'acquérir de véritables compétences que l'étudiant pourra valoriser sur un CV et de commencer à se créer un réseau. N'oublions pas que plus un jeune multiplie ses expériences et ses contacts, plus ses chances d'intégrer le marché du travail augmentent. D'autant plus si ce sont de véritables expériences.”

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