Interview

Mobilisation des lycéens contre la loi Travail : "Nous ne sommes pas manipulés"

Manifestation a Grenoble dans le cadre de la Journee de mobilisation contre l'avant projet de loi El Khomri.
Manifestation a Grenoble dans le cadre de la Journee de mobilisation contre l'avant projet de loi El Khomri. © Francois HENRY/REA
Par Sarah Hamdi, publié le 16 mars 2016
1 min

Les lycéens ne seraient pas concernés par la loi Travail : manipulés, ils ne comprendraient pas ses enjeux… Vraiment ? Les présidentes des syndicats lycéens Zoïa Guschlbauer (FIDL) et Maayane Pralus (SGL) répondent aux détracteurs du mouvement lycéen sans langue de bois. Interview croisée à la veille de la journée de mobilisation du 17 mars 2016.

Qu'est-ce qui fait la spécificité du combat lycéen contre la loi Travail ?

Zoïa Guschlbauer (FIDL) : Dans à peine six mois, nous serons étudiants. C’est normal que nos attentes rejoignent celles des syndicats étudiants. Ce qui inquiète particulièrement les lycéens dans ce projet, c'est que le salarié n'est pas au centre des mesures. Il n'a pas plus de protection, mais le patron a plus de droits.

Maayane Pralus (SGL) : En mobilisant les lycéens, le but est de montrer que tout le monde est concerné. Nous ne sommes pas là juste pour subir les décisions des autres, nous savons penser par nous-mêmes et comprendre un projet de loi. Ce n’est pas en changeant le Code du travail de cette manière là que la courbe du chômage va s’inverser. Nous voulons montrer que nous avons des contre-propositions. Par exemple : revaloriser les filières professionnelles, faciliter la VAE (validation d’acquis d’expérience) pour pouvoir transformer les missions de service civique en diplômes, comptabiliser les années d’apprentissage pour la retraite, etc. On vit dans un monde qui change. Avec les nouvelles technologies, les jeunes ont conscience des enjeux numériques et écologiques à venir. La jeunesse voudrait que l’État se concentre sur sa mission, qui est de nous préparer à ces évolutions.

D’où vient cette prise de conscience des lycéens par rapport à leur futur emploi, qui pourtant semble encore loin ?

MP : Il ne faut pas oublier que la mobilisation contre la loi El Khomri est née sur Internet et les réseaux sociaux, notamment YouTube. Les jeunes sont tombés là-dessus et ça a eu un impact considérable. Ils ont compris que dans peu de temps, ils seront sur le marché de l'emploi.

ZG : Bien sûr, que cette loi nous concerne, nous sommes les travailleurs de demain. Nous jouons notre avenir aujourd’hui. C’est normal qu’on s'intéresse et qu’on se mobilise contre une loi qui ne correspond pas à ce que nous voulons. Attention à ne pas oublier les lycéens en bac professionnel et les apprentis. Eux ont déjà un pied dans le monde du travail.

Pourtant, aucun lycée professionnel n’a été bloqué en région parisienne lors de la première mobilisation du 9 mars 2016. Comment expliquez-vous cela ?

ZG : La mobilisation de la semaine dernière n’était qu’un tour de chauffe. Nous essayons de faire en sorte que les lycéens professionnels soient informés les premiers sur cette loi.

MP : Je pense qu’ils étaient très occupés car ils sont en stage. Pour le coup, ils n’ont pas le droit de grève et s’ils s’absentent, cela n’a pas le même impact pour eux.

90 lycées sur 2.500 mobilisés la semaine dernière, ce n’est pas énorme. Vous vous attendez à plus pour les prochaines journées d’action ?

ZG : On ne connaît jamais les chiffres à l’avance, mais on sait que le mouvement prend de l’ampleur. On a des retours de lycéens au niveau national, qui nous disent que le débat prend de plus en plus de place au sein de leur lycée.

MP : Pour la manif du 9 mars 2016, la zone C venait de rentrer de vacances depuis deux jours. Il était plus difficile de s’organiser. Actuellement, les mobilisations sont de plus en plus organisées au sein des établissements, notamment grâce aux AG. Pour rappel, la mobilisation contre le CPE ne s’est pas faite en un jour.

Quelle mesure vous gêne le plus dans cette loi ?

ZG : C’est le fond de ce texte et comment il a été conçu dès le départ. C’est pourquoi on demande le retrait pur et simple. Les jeunes se mobiliseront jusqu’au bout, on ne lâchera pas l’affaire.

MP : C’est un ras-le-bol général de la jeunesse. Depuis l’état d’urgence, la déchéance de nationalité et même avant. On est précarisé depuis le lycée avec des classes et des amphis surchargés, sans garantie plus tard. L’État devrait plutôt mettre les moyens sur la formation. Ce projet est une coquille vide. Malgré les changements apportés, la philosophie reste la même. Les moyens sont mis à disposition du patronat et quand on arrivera sur le marché du travail, on sera traité comme "de la masse".

Et la Garantie jeunes, qu’en pensez-vous ?

ZG : Le gouvernement a mis la Garantie jeunes dans ce projet de loi, justement pour faire une sorte de chantage aux jeunes. Elle aurait très bien pu être généralisée en dehors de ce projet de loi et de toute façon, il était déjà prévu qu’elle le soit. Aucun budget n’a été développé, c’est un effet d’annonce.

Jusqu’où irez-vous, sachant que le bac approche ?

ZG : Le bac ne concerne en premier lieu que les terminales, et les premières. Les lycéens ont de plus en plus conscience, que c’est beau d’avoir le bac et un diplôme. Mais si à la sortie, on nous propose un enchaînement de stages et des CDD totalement précaires, une entrée dans le monde du travail encore plus difficile, quel intérêt ?

MP : Le gouvernement a conscience de ces échéances. Il finira par flancher en voyant notre détermination. Il a les cartes en main s’il ne veut pas avoir une manifestation toutes les semaines.

Comment mobilisez-vous les troupes ?

ZB : Via les réseaux sociaux et le terrain. On met en avant le contact humain en allant tracter devant les lycées. En essayant de sensibiliser les jeunes et de répondre à leur questionnement. Il y a tout un travail avec nos contacts téléphoniques de lycéens qui veulent être tenus au courant de ce qui se passe. Un travail qui prend du temps, mais indispensable. Les jeunes doivent tous comprendre les enjeux de la réforme, et ils les comprennent de plus en plus.

Que répondez-vous à ceux qui disent des syndicats lycéens qu’ils sont sous l’influence des syndicats étudiants ?

ZB : Non, nous ne sommes absolument pas manipulés par qui que ce soit. On entend ça partout. Clairement, c’est quelque chose qui est fait pour décrédibiliser et minimiser les mouvements de jeunesse. Pas du tout, on a cerveau, on sait réfléchir par nous-même, prendre des décisions. On comprend quand notre avenir est en jeu, comme c’est le cas aujourd’hui.  

MP : Moi, cela m’a fait rire. Au départ, on nous a dit que ce projet ne concernait pas les jeunes. Puis, qu’il était là pour lutter contre la précarité des jeunes. Au final, la manipulation vient plus du gouvernement qu’autre chose…

Qui sont les syndicats lycéens ?

Les syndicats lycéens sont des organisations de jeunes. Ils portent les revendications des lycéens auprès des personnels de direction de l'établissement et des acteurs de l'éducation. Parmi eux, la FIDL (Fédération indépendante et démocratique lycéenne), le SGL (Syndicat général des lycéens) et l'UNL (Union nationale lycéenne) appellent tous à une mobilisation le jeudi 17 mars 2016 et demandent le retrait complet du projet de loi Travail.

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