Interview

Les 20 ans de Catherine Maunoury : “Dès la fin des cours, je partais à l’aérodrome pour piloter ou simplement regarder les avions”

Catherine Maunoury // © DR
Catherine Maunoury // © DR © Photo fournie par le témoin
Par Propos recueillis par Céline Manceau, publié le 28 mai 2013
1 min

La double championne du monde de voltige aérienne, aujourd’hui directrice du musée de l’Air et de l’Espace, était loin, à 20 ans, de s’imaginer accomplir un tel parcours. Elle pilotait, suivait des études de philo et… ne pensait pas à son avenir.

Gardez-vous un bon souvenir de vos années au lycée Chateaubriand de Rennes ?

“Pas du tout. C'était une corvée d'aller en classe. Je n'aimais pas rester assise toute la journée sur une chaise à écouter des professeurs. Mais je n'étais pas pour autant indisciplinée ou mauvaise élève. Je subissais en attendant d'obtenir le bac. Sur mes bulletins, il était écrit : ‘Dommage... peut mieux faire.’ Aucun professeur ne m'a marquée durant toutes ces années. Les seules matières qui me plaisaient étaient la littérature et les langues. J'ai toujours aimé lire, et aussi écrire.”

Quels genres de livres lisiez-vous à 15 ans ?

 

“Mon père avait une bibliothèque totalement consacrée à l'aviation que j'ai dû achever vers 10-12 ans. Puis, j'ai découvert par moi-même et dévoré, quand j'étais au lycée, Proust, Camus et Sartre. J'ai aimé, chez Camus, son humanité et, chez Sartre, le côté appliqué de sa philosophie, mais je ne me suis jamais engagée dans un mouvement. Je serais incapable de défendre une idée qui ne serait pas en accord avec mes convictions.”

Est-ce votre père qui vous a transmis sa passion pour l'aviation ?

 

“Mon père nous a initiés, très jeunes, mes frères et moi, au pilotage. Mais sans vouloir nous influencer, ni nous imposer quoi que ce soit. Cela nous a finalement bien plus marqués que s'il avait décidé de notre avenir à notre place. Un de mes frères est devenu pilote de ligne. De mon côté, j'adorais voler et je voulais en faire mon métier, mais je ne voulais pas être pilote. Quand on m'a proposé, après mes études, de faire de la compétition, j'étais la première à ignorer que je serais redoutable. Quant à imaginer qu'un jour je dirigerais le musée de l'Air et de l'Espace...”

Que ressentiez-vous, à 15 ans, quand vous étiez seule à bord d'un avion ?

 

“Voler n'est pas un choix anodin. Quand on vole, on prend de la distance. On voit la Terre de loin et, finalement, tous vos soucis – comme ces profs difficiles à supporter – deviennent tout petits, insignifiants. Par la suite, je me suis rendu compte que voler, c'est aussi se rapprocher du ciel, donc de l'endroit où vivent les dieux. Je ne suis pas croyante, mais cela n'empêche pas une démarche intellectuelle et spirituelle.”

Comment arriviez-vous à concilier le lycée et les heures de vol ?

 

“À partir de la seconde, je ne me suis plus inscrite à l'étude, contrairement à ce que pensait ma famille. Tous les soirs, dès la fin des cours, je partais à l'aérodrome pour piloter ou simplement regarder les avions. Le week-end, c'était différent, j'avais le droit d'y aller. Personne ne s'est jamais étonné de ma progression aussi rapide. Dès l'âge de 15 ans, j'ai pu être seule aux commandes et, à 17 ans, j'ai obtenu mon brevet de pilote.”

Étiez-vous une pilote "casse-cou" ?

 

“Pas du tout, j'étais très sérieuse et assidue, car je voulais apprendre à piloter. Ma seule incartade a eu lieu quand j'étais lycéenne. J'avais un contrôle que je n'avais pas révisé et j'ai voulu faire la maligne : j'ai rendu copie blanche et je suis partie à l'aérodrome. À l'époque, je n'avais le droit que de faire un tour de piste. Mais je me suis dit que, si j'allais un peu plus loin, personne n'en saurait rien. J'ai donc remonté la Seine, puis la rue du lycée, que j'ai survolé en rase-mottes, pour faire rire mes camarades. J'avais juste oublié que la gendarmerie était située en face. Les gendarmes ont relevé le numéro de série de l'appareil et, quand je me suis posée, j'ai eu droit à un comité d'accueil. Je me suis pris un bon savon. Il a été question de me retirer ma licence, mais je ne l'avais pas encore ! Je n'ai plus jamais recommencé ce genre d'exploit.”

Vos parents vous ont-ils poussée à faire des études ?

 

“Mon père rêvait d'être aviateur, mais son père l'a obligé à suivre des études de médecine. Il en a tiré une certitude : celle de ne jamais contraindre ses enfants à choisir une voie. Nous devions trouver et faire ce que nous aimions. Quand je me suis inscrite en fac de philosophie, personne ne m'a demandé quel métier j'envisageais de faire ensuite. J'ai transmis ce même message à mes deux fils – attirés par le domaine artistique, l'un dans le cinéma, l'autre dans la peinture –, même si, dans le contexte économique actuel, il m'arrive d'être inquiète pour leur avenir.”

Pourquoi avoir choisi de suivre des études de philosophie, sans lien avec l'aviation ?

 

“Comme je ne voulais pas être pilote, j'ai choisi simplement une filière qui m'intéressait (j'avais eu 14 au bac malgré un prof de philo catastrophique en terminale !). Je me posais beaucoup de questions. Je croyais obtenir des réponses – aujourd'hui, je sais qu'on ne les a jamais. J'étais attirée par la philosophie, la théologie, la sociologie... mais je me suis rendu compte que je ne pourrais pas avoir une connaissance globale du monde, alors, très vite, je me suis intéressée à la logique et au langage, via les travaux de Bertrand Russell et Ludwig Wittgenstein. Je voulais savoir si le langage permettait d'exprimer des certitudes. En fait, c'est impossible. Le seul langage logique est le langage mathématique, mais ce n'était pas mon domaine d'études.”

Avez-vous apprécié la vie d'étudiante ?

 

“J'ai commencé mes études à Rennes [35], puis je suis partie à Nanterre [92]. J'avais envie d'être étudiante à Paris. J'ai beaucoup aimé mes années à l'université : le fait de travailler en groupe, de pouvoir choisir les cours qui me plaisaient. J'ai notamment suivi l'enseignement de Jacques Bouveresse [philosophe, aujourd'hui professeur émérite au Collège de France, NDLR]. Et puis, pendant cette période, j'ai fait des tas de petits boulots pour me payer des heures de vol : je lavais des avions, je faisais du baby-sitting, j'ai aussi collé des enveloppes...”

À quel moment s'est posée la question d'exercer un métier ?

 

“J'ai eu la chance d'avoir des parents qui m'aidaient financièrement, donc j'acceptais de vivre dans une forme d'insécurité quant à mon avenir, d'autant qu'à la fin des années 1970, on trouvait du travail beaucoup plus facilement qu'aujourd'hui. Je savais que je ne voulais pas devenir prof, mais je n'avais pas de plan de carrière. Peu de temps après l'obtention de ma maîtrise, une amie m'a proposé de passer les tests de sélection d'Air France pour devenir hôtesse de l'air. Très vite, j'ai eu le statut de sportif de haut niveau dans cette entreprise. J'ai trouvé des sponsors, et c'est comme ça que j'ai inventé mon métier – puisque j'ai été la première à l'exercer – de pilote de voltige aérienne.”


Vos études de philosophie vous ont-elles été utiles dans la suite de votre parcours professionnel ?

 

“Mes études de philo m'ont apporté la capacité de me poser des questions, tout en sachant que l'essentiel, ce ne sont pas les questions, mais les réponses. Réfléchir sur soi-même, c'est une façon de vivre deux fois plus. Mon parcours s'est construit aussi sur des qualités que j'ai développées en devenant championne. Je suis quelqu'un qui va au bout de ses convictions et qui a le sens des responsabilités. Je me suis demandé pourquoi je n'avais pas voulu devenir pilote de ligne. Pourquoi vouloir prendre des risques ? Pourquoi vouloir faire autrement ? Ce sont là, en fait, les deux conditions du progrès. C'est ainsi qu'est née l'histoire de l'aviation, marquée, soit dit en passant, par des femmes au début, avant qu'elles n'en soient écartées.”

Si c'était à refaire, recommenceriez-vous le même parcours ?

 

“Je ne regrette rien, mais c'était quand même insouciant de ne pas se demander de quoi j'allais vivre. Aujourd'hui, je sais que la philosophie aurait pu être un ‘plus’, et qu'il aurait mieux valu que j'essaie d'entrer à l'ENAC [École nationale de l'aviation civile]. En tout cas, je ne conseille pas aux jeunes de suivre mon parcours, c'est bien trop risqué dans le contexte économique actuel. Mieux vaut faire des études. L'essentiel étant de les choisir en fonction de ses affinités et non du salaire que l'on pourrait gagner une fois diplômé.”


Biographie express
1978
: obtient une maîtrise de philosophie.
1980 : entre à Air France comme hôtesse de l’air. Devient pour la première fois champiionne de France de voltige aérienne.
1988 : championne du monde de voltige aérienne.
2000 : championne du monde de voltige aérienne, pour la seconde fois.
2010 : nommée directrice du musée de l’Air et de l'Espace au Bourget.
 


Et si c’était à refaire ?

Catherine Maunoury a passé le T.O.P., le test d’orientation de l’Etudiant. Avait-elle le profil d’une future championne de voltige aérienne ?

TOPCatherineMaunoury



Son bilan T.O.P.

 

Pôle “Investigateur” : apprendre, réfléchir, chercher, comprendre sont les mots-clés de ce pôle. Il caractérise des personnes qui aiment raisonner, résoudre des problèmes complexes, rechercher des informations afin de comprendre leur environnement. 

Pôle “Entreprenant” : c’est la capacité à agir qui se trouve révélée ici et qui se traduit par la prise d’initiatives, l’autonomie, la capacité à entreprendre ou diriger, l’esprit de compétition… 

Pôle “Social” : c’est celui du contact, de la communication, de la transmission. 

Pôle “Réaliste” : toutes les habiletés, manuelles, techniques et physiques ou sportives se trouvent derrière le pôle “Réaliste”. Réaliser, concrétiser, pratiquer sont les verbes qui caractérisent ce profil.


Son profil, son métier…
 

Aptitude à penser et à agir rapidement, capacité à anticiper et à gérer les situations extrêmes : les qualités primordiales pour la voltige aérienne qu’indique Catherine Maunoury sur son site Internet sont celles que l’on retrouve derrière les deux pôles de compétences dominants de son profil “Investigateur” et “Entreprenant”. La combinaison des pôles “Entreprenant” et “Social” (le troisième pôle de Catherine Maunoury) donne des aptitudes au management et elle est aujourd’hui à la tête du musée de l’Air et de l’Espace. 

Goût d’apprendre et du débat d’idées, besoin de comprendre… son pôle “Investigateur” prend toute sa place aujourd’hui : la nouvelle directrice souhaite “instaurer des débats sur des questions d’aéronautique et d’astronautique, qu’elles soient techniques, historiques, politiques, philosophiques ou éthiques”. 

Il est à noter que les résultats détaillés de Catherine Maunoury révèlent une certaine importance du pôle “Réaliste” qui correspond au terrain, aux aptitudes physiques, sportives, manuelles et techniques. 



Vous aimerez aussi

Contenus supplémentaires

Partagez sur les réseaux sociaux !