Interview

Les 20 ans de Franck Cammas

Par Propos recueillis par Sylvie Lecherbonnier, publié le 15 avril 2011
10 min

Aixois d’origine, le dernier vainqueur de la Route du Rhum, Franck Cammas, n’a pas passé son enfance sur les pontons. Pourtant, à 20 ans, le jeune élève de prépa décide d’arrêter ses études pour se consacrer à sa passion : la voile. Un choix à la fois audacieux et mûrement réfléchi.

franck-cammasComment se sont passées vos années lycée ?

 
J’étais un élève sérieux, qui aimait surtout les sciences et la technologie. Mes parents n’avaient pas trop besoin de me pousser, mais, comme ils étaient profs tous les deux, ils aimaient bien que j’aie de bonnes notes. J’avoue, je ne passais pas beaucoup de temps sur mes devoirs… J’habitais à la campagne, à une vingtaine de kilomètres d’Aix-en-Provence, où était mon lycée, et j’avais beaucoup d’activités extrascolaires : ski, piscine, musique et voile, bien sûr.

Après avoir décroché votre bac C (S aujourd’hui) mention assez bien, vous décidez d’intégrer une prépa au lycée Paul-Cézanne, à Aix-en-Provence. Pourquoi ?

 
C’était une suite logique. Le choix qui me laissait le plus de portes ouvertes ensuite, alors que je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire. L’année de maths sup s’est assez bien passée, j’étais encore relativement assidu. Mais je vivais essentiellement sur mes acquis. En maths spé, j’avais du mal à me consacrer à mes études. J’avais la tête ailleurs. Je passais beaucoup de temps en mer le week-end, sans faire mes devoirs de maths.

Comment un Aixois se dirige-t-il vers la voile ?

 
Au début, je lisais les ouvrages d’Éric Tabarly et je voyageais dans ma tête. L’aspect technique me plaisait aussi. Des pages et des pages étaient consacrées à la préparation du bateau, à sa conception, à l’optimisation… Fascinant ! À 14 ans, j’ai commencé à suivre des stages de voile à Marseille. Il fallait y aller à scooter, puis prendre un bus. J’étais super-motivé ! Au lycée, j’ai commencé à en faire plus sérieusement et j’ai arrêté progressivement mes autres activités.

À la fin des 2 années de prépa, vous décidez de vous consacrer entièrement à la voile. Un choix décisif…

 
Oui, c’est à ce moment-là que tout a basculé. À la fin de la maths spé, je passais toutes mes vacances aux Glénans [une école de voile en Bretagne] comme moniteur de voile et je faisais des régates tous les week-ends du côté de Marseille. Dès que je sortais de l’école, je ne pensais qu’à une seule chose : partir en bateau. J’ai quand même passé les concours des écoles d’ingénieurs, mais je n’en ai réussi aucun. Je me suis dit : "Je ne redouble pas, je ne vais pas en fac, je fais de la voile." Je ne regrette pas mes années de prépa pour autant. J’ai gardé la rigueur et les méthodes de travail.

Comment vos parents ont-ils réagi ?

 
Mes parents m’ont toujours laissé assez d’autonomie. Ce n’était pas forcément des filières classiques que je voulais suivre, mais, à chaque fois, ils voyaient que je faisais les choses sérieusement.

Qu’avez-vous fait alors après votre prépa ?

 
Je suis allé à Montpellier pour passer mon brevet d’État de voile. J’avais l’impression de partir un peu dans le vide, mais je n’ai jamais regretté. L’année suivante, j’ai intégré l’Institut nautique de Bretagne, à Concarneau. Une école en 2 ans, reconnue dans le milieu, où l’on apprend à la fois la gestion de l’entreprise, la comptabilité, la construction d’un bateau et la navigation.

C’était important pour vous de passer par une formation ?

 
C’est sûrement mon côté fils de profs… Mes parents m’ont toujours dit qu’il fallait avoir un diplôme avant de se lancer !

Vos 20 ans ont été très sérieux !

 
Effectivement. Je n’étais pas trop fêtard, je ne l’ai jamais été. Je ne pensais qu’à la voile. Dès que je pouvais naviguer, j’étais super-content.

À ce moment-là, vous vous imaginez navigateur ?

 
Je me disais que j’allais naviguer, mais je ne savais pas encore comment… Je me voyais plutôt skipper. Même si j’ai toujours eu le goût de la compétition, la régate de haut niveau me paraissait relever d’une ambition trop élevée.

C’est pourtant l’époque où vous gagnez le Challenge Espoir Crédit agricole…

 
Je me suis inscrit à cette régate qui se déroulait au centre d’entraînement de Port-la-Forêt [29], non loin de ma formation. Les organisateurs choisissaient 12 concurrents âgés de moins de 25 ans. Le vainqueur gagnait le bateau pour un an. Au départ, je n’avais pas été pris. Mais un désistement s’est produit la veille de la compétition. Christian Le Pape, l’un des membres du jury de l’INB, alors responsable de cette régate [aujourd’hui directeur du pôle "course au large" de Port-la-Forêt], m’a proposé d’y participer. Une chance inouïe… Et j’ai gagné.

Qu’est-ce qui a fait la différence ?

 
J’avais une culture différente des autres compétiteurs. Je venais du Sud, je faisais de l’équipage, alors que les autres faisaient beaucoup de courses au large et moins de régates rapprochées. J’étais assez complet dans mes connaissances, grâce à mon brevet d’État. Et puis, la finale se passait après Noël. Au lieu de rentrer à Aix, j’ai passé 10 jours tout seul en Bretagne à me préparer.

Vous gagnez cette 1ère course importante à 21 ans. Quelles ont été les conséquences de cette victoire ?

 
Des perspectives s’ouvraient à moi. Pendant un an, j’avais un bateau, un salaire pour naviguer et concourir dans la Solitaire du Figaro. Après cette victoire, tout s’est enchaîné. Je suis entré dans le circuit. J’ai fait 3 ans la Solitaire du Figaro avec des formules de promotion (Crédit agricole puis Skipper Elf). Je l’ai remportée lors de ma 4ème participation, en 1997, l’année où, pour la 1ère fois, un sponsor (Athena Assurances) est venu me chercher et où j’ai pu tout organiser de A à Z. À la fin de cette Solitaire, j’ai rencontré Groupama, qui est, depuis, mon sponsor.

On dit souvent de vous que vous êtes un surdoué. Comment le prenez-vous ?

 
Cela sous-entend un peu que ce qui m’est arrivé m’est tombé du ciel. Or c’est le travail qui paie avant tout. Tu as beau avoir du talent, sans travail, ça ne donne pas grand-chose. Et le vrai travail, il est dans la tête. Pendant des années, tu penses à une seule chose et, à force d’y penser jour et nuit, tu arrives à être bon dans ton domaine. En voile, tu peux gagner la Route du Rhum et te sentir hyper-mauvais le lendemain quand tu vas naviguer. Tu n’as jamais l’impression d’être assez bon. Le challenge est permanent. Quand on part en mer, on saute un peu dans le vide. Ce milieu hostile te remet vite à ta place. La voile est un sport très complet. Il y a beaucoup de préparation avant de partir. On peut perdre une régate avant même de monter sur le bateau. Sur l’eau, ce n’est pas qu’une course de vitesse, c’est un travail d’équipe, un engagement physique, une stratégie météo… Et puis, la tactique, c’est un jeu d’échecs. Il faut apprendre à analyser le plus vite possible et à donner une réponse juste.

Et si c’était à refaire ?

 
Je suis aujourd’hui bien au-delà de tous les rêves que j’avais pu formuler quand j’étais jeune. Je vis au jour le jour et, à chaque fois, je suis émerveillé par ce qu’on me donne l’opportunité de faire. La plus grosse difficulté a sûrement été d’arrêter brusquement les études. C’était une prise de risque énorme. Mais, à un moment, il faut être audacieux et croire en soi. Quand on fait ce genre de choix, il ne faut pas se dire le surlendemain : "Non, je change, je me suis trompé."

Biographie express
1972 : naissance à Aix-en-Provence (13)
1990 : décroche son bac C (actuellement S) mention assez bien
1990-1992 : élève en maths sup, puis en maths spé, au lycée Paul-Cézanne d’Aix-en-Provence
1992-1993 : passe le brevet d’État de voile
1993-1995 : étudie à l’INB (Institut nautique de Bretagne), à Concarneau (29)
1994 : remporte le Challenge Espoir Crédit agricole1997 : remporte la Solitaire du Figaro
2000/2003/2007 : gagne la Transat Jacques-Vabre
2007 : bat le record de la traversée de l’Atlantique
2010 : bat le record du tour du monde en équipage (trophée Jules-Verne).
2010 : remporte la Route du Rhum
 


Et si c’était à refaire ?


Franck Cammas était-il voué à parcourir les mers du monde ? Nous lui avons fait passer le T.O.P, le test d’orientation de l’Etudiant. Un bon moyen de voir quels métiers correspondaient à son profil.


Son bilan T.O.P



"Réaliste" tendance "Investigateur/Entreprenant" : c’est le profil qui se dégage de l’étude des compétences de Franck Cammas. 3 pôles dominants qui collent bien aux atouts indispensables à un grand navigateur !

> Pôle "Réaliste" : les personnes qui ont des résultats élevés dans ce pôle aiment le terrain. Souvent habiles au niveau sportif, elles sont dotées d’un esprit technique, ont besoin de concret et de voir le résultat de ce qu’elles entreprennent.

> Pôle "Investigateur" : le goût du raisonnement et le besoin de comprendre sont les particularités révélées par ce pôle. Il caractérise des personnes qui aiment résoudre des problèmes complexes, rechercher des informations afin de mieux comprendre leur environnement. Elles sont souvent attirées par ce qui est d’ordre intellectuel ou scientifique.

> Pôle "Entreprenant" : la capacité à agir, tel est ce que l’on peut évaluer en étudiant le pôle de l’action. Des résultats élevés attestent de personnalités dynamiques, réactives, aptes à décider. Souvent motivées par les défis, elles aiment se mesurer aux autres ou à elles-mêmes. Elles sont souvent capables de prendre des risques.


Son profil, son métier…

Les résultats de Franck Cammas mettent en évidence les facultés qui lui ont permis de devenir un grand navigateur ! Les compétences que révèlent ces 3 pôles se complètent et se renforcent et correspondent très bien à son métier.

Le pôle "Réaliste" montre ainsi son besoin de terrain, son goût pour les grands espaces, mais également son appétence pour la pratique, pour les réalisations concrètes, facilitées par des aptitudes manuelles et physiques. Le côté très "entreprenant" qui se dégage de son profil démontre sa capacité à prendre des risques de par son goût pour le challenge, les défis. Enfin, à ce profil très tourné vers l’action s’adosse un côté "investigateur" très marqué, qui dénote son goût de raisonner, de résoudre, de comprendre, bref un esprit que l’on peut qualifier de stratégique.

C’est cette combinaison qui l’a poussé à se tourner vers les matières scientifiques après le bac et qui l’aide aujourd’hui à trouver des solutions concrètes à des problèmes complexes dans sa vie de navigateur. Action, terrain, prise de décision, dynamisme, besoin de bouger, technique, efficacité, stratégie et réflexion : les mots clés de son profil évoquent clairement des atouts majeurs pour un navigateur…

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