Interview

Les 20 ans de François Gabart : "J'essayais de trouver un intérêt à tous les cours, parce qu'il fallait bien étudier !"

Les 20 ans de François Gabart : "J'ai obtenu un bac S, et du côté des matières, je m'intéressais déjà à tout ce qui était technique." // © Macif
François Gabart savait qu'il souhaitait trouver un travail qui lui permettrait d'évoluer dans le monde de la voile. ©
Par Propos recueillis par Sandrine Chesnel, Sandrine Chesnel, publié le 29 octobre 2013
1 min

Le 14 novembre 2014, François Gabart a remporté la 10e édition de la Route du Rhum en catégorie monocoques 60 pieds. Un an plus tôt, celui qui était déjà le plus jeune et le plus rapide vainqueur du Vendée Globe avait reçu l'Etudiant à bord de son bateau, pour évoquer son parcours, depuis les années lycée en Charente jusqu’à ses premiers bords dans le monde de la voile professionnelle. 

Le champion de course au large que vous êtes n'a pas grandi au bord de la mer…

J'ai grandi en plein milieu de la Charente, entre Cognac et Bordeaux, précisément à une heure et demie de la mer. Je suis allé dans un lycée classique, pas en sport-études, même si je faisais déjà beaucoup de bateau, tous les week-ends, depuis quelques années. Surtout, j'avais le goût du large depuis longtemps : quand j'avais 7 ans, mes parents nous ont embarqués, mes sœurs et moi, pour une année sabbatique à bord du voilier familial, direction le Cap Vert, les Antilles, les États-Unis… Une expérience qui m'a évidemment beaucoup marqué.

Quels souvenirs gardez-vous de vos années lycée ?

De bons souvenirs. J'ai bien aimé l'école d'une manière générale. J'étais interne, tout comme mes sœurs. C'était plus pratique, car notre maison était loin du lycée et du travail de nos parents. C'était un internat "cool" : j'y dormais les lundis et mardis soir, je rentrais chez mes parents le mercredi et j'y retournais le jeudi jusqu'à la fin de la semaine. Bon, c'est vrai, dès que la semaine était finie, j'allais faire du kayak en Charente ou je filais jusqu'à la mer, pour faire du bateau !

Quel genre d'élève étiez-vous ?

Plutôt bosseur. Par définition, ce n'était pas trop mon truc de rester enfermé en classe pendant deux heures à écouter un cours sans intérêt. Mais j'essayais quand même de trouver un intérêt à tous les cours, parce que, de toute façon, je n'avais pas le choix, il fallait bien y aller ! Avec cet état d'esprit, ça se passait plutôt bien. J'ai obtenu un bac S, et du côté des matières, je m'intéressais déjà à tout ce qui était technique. J'aimais beaucoup la physique et la chimie, moins les maths.

Après votre bac, obtenu à 17 ans, vous avez choisi de rejoindre l'INSA Lyon, une école d'ingénieurs avec prépa intégrée. Pourquoi ?

À la fin du lycée, je tâtais un peu du sport de haut niveau. J'avais eu quelques bons résultats en dériveur, et je voulais faire davantage de bateau, tout en préparant un diplôme. Je savais aussi que je souhaitais trouver un travail qui me permettrait d'évoluer dans le monde de la voile. Le diplôme d'ingénieur pouvait me conduire à pas mal de métiers différents dans le milieu de la voile et de la course au large : météorologue, architecte naval…

L'INSA Lyon proposait une filière ingénieur réservée aux sportifs de haut niveau, avec trois années au lieu de deux en maths sup et maths spé. L'idéal pour moi. C'est ce qui m'a permis notamment de suivre une préparation olympique sur Tornado [NDLR : petit catamaran de 6 mètres] en équipe de France, juste après le bac.

Avez-vous aimé être étudiant et sportif de haut niveau en même temps ?

Je garde un très bon souvenir de mes premières années à l'INSA. Nous étions une promotion d'une vingtaine de sportifs, dans des disciplines très différentes : planche à voile, basket, athlétisme… Nous avions un emploi du temps aménagé, mais l'obligation de suivre le même programme que les autres étudiants.

Pour les voileux, étudier à Lyon n'était pas des plus pratiques évidemment ! [Rires.] Mais grâce au TGV, nous n'étions qu'à 1h40 de Marseille. Par conséquent, dès ma deuxième année d'études à l'INSA, je prenais le train tous les jeudis à midi – en ratant un peu la fin du dernier cours – et, à 14h30, j'étais sur l'eau ! Je naviguais donc trois à quatre jours par semaine. Ensuite, plus nous avancions dans les années d'études, plus nous étions indépendants dans la façon de gérer nos emplois du temps.

Pendant mes études à l'INSA, j'ai jonglé entre des périodes de voile de 15 jours à 3 semaines, et des retours à l'école pour 10 jours pendant lesquels je "faisais l'éponge" pour rattraper mes cours. C'était intense, mais super !

Faisiez-vous beaucoup la fête à cette époque ?

Non, et j'assume de ne jamais avoir été un gros fêtard, ni au lycée, ni à l'INSA. Certes, je passais tous mes week-ends à Marseille, ce qui était plutôt agréable, mais en même temps, je faisais du sport de haut niveau, donc je n'étais pas du genre à me mettre mal dans une soirée !

À quel moment avez-vous décidé de devenir navigateur professionnel ?

À la fin de mes études à l'INSA, j'aurais aimé continuer dans l'olympisme, mais j'ai réalisé que personne ne gagne sa vie dans la voile olympique. En France, c'est la course au large en solitaire qui fait rêver, c'est là qu'investissent les sponsors, et on peut y gagner sa vie. Mon stage de fin d'études, dans la structure de Raphaël Dinelli [12e du Vendée Globe 2004] a été le moment "charnière" dans mon choix d'orientation. Ma mission consistait à développer un projet lié aux énergies renouvelables.

Je peux le dire, maintenant que mon diplôme est validé, j'avais des conditions de stage assez spéciales ! Je partais en régate la journée et je travaillais sur mon projet le soir. Mais j'ai rendu à Raphaël un travail qui tenait la route, puisqu'il s'en est servi pour son Vendée Globe en 2008. Surtout, j'ai expérimenté de l'intérieur ce qu'est une petite structure de course au large, telle que celle que je dirige aujourd'hui.

Tout ça m'a convaincu que je n'étais pas fait pour travailler dans une grande entreprise avec des horaires. L'envie de naviguer un peu plus loin que les bouées, qui m'animait depuis tout petit, s'est alors imposée à moi. Et j'ai décidé d'essayer de me faire une place dans la course au large.

C'était un pari quand même assez audacieux… Qu'en ont pensé vos parents ?

Mes parents nous ont toujours donné beaucoup de liberté de choix, à mes sœurs comme à moi. Il y a certainement eu des moments où ils se sont inquiétés de mon envie de devenir navigateur professionnel, mais jamais ils ne m'ont fait part d'un doute sur la décision que j'avais prise. Ils voyaient que je faisais les choses sérieusement, et ils étaient contents que je choisisse une bonne école et que je décroche le diplôme d'ingénieur.

Vous donnez parfois l'impression que tout a été facile pour vous, jusqu'à cette victoire sur le Vendée Globe. Avez-vous connu des moments de doute ?

Oui ! Fin 2005, je n'avais pas encore mon diplôme quand j'ai commencé à chercher des sponsors et des embarquements sur des courses. Je naviguais à gauche à droite. On m'appelait au dernier moment et j'étais payé au lance-pierre…

Cela a duré pendant deux ans, et là, j'ai eu le temps de douter. En fait, dès que j'ai décroché mon premier sponsor, tout s'est enchaîné assez vite. Avant cela, il y a eu des moments difficiles.

À ce moment-là, qu'est-ce qui a fait que vous vous êtes accroché à votre rêve ?

Je n'ai jamais arrêté de naviguer. C'est ce qui a maintenu mon envie intacte. À chaque fois que j'embarquais sur une course avec des professionnels de la course au large, ça fonctionnait bien. J'apprenais plein de choses, je m'éclatais ! Et puis, à chaque victoire, je gagnais une petite prime de course qui me permettait de tenir deux ou trois mois de plus.

À l'époque, j'ai eu la chance d'être épaulé et soutenu par des skippers professionnels, comme Kito de Pavant et Antoine Koch. Ça m'a permis de rester motivé jusqu'au moment où j'ai décroché mon premier sponsor.

C'était en 2008…

J'ai participé au challenge Espoir Région Bretagne, et j'ai gagné. Un soulagement. J'ai décroché un premier vrai sponsor avec un bateau de course au large, un contrat de deux ans et un salaire fixe chaque mois ! J'avais enfin les moyens de faire de ma passion mon métier. Il était temps car, un mois avant cette sélection, je m'étais mis à réfléchir à un autre métier, dans une voilerie par exemple. J'avais 25 ans et il fallait bien que je commence à gagner ma vie.

Après cette sélection, les victoires se sont enchaînées : premier des "bizuths" sur la Solitaire du Figaro 2008, troisième sur la Cap Istanbul 2008 et sur la Transat BPE 2009…

Entre-temps, Kito de Pavant, avec qui j'étais resté en contact, m'a proposé de courir avec lui la Transat Jacques-Vabre 2009, sur son IMOCA, un bateau de 60 pieds [18 mètres]. Nous avons terminé à la deuxième place… Quinze jours avant le départ de cette course, mon contrat avec la région Bretagne se terminant, j'avais passé les sélections de la Macif. J'ai été choisi : à nouveau, je me suis retrouvé avec un sponsor et un contrat de deux ans. Avec ce premier bateau Macif, j'ai terminé deuxième sur la solitaire du Figaro 2010, derrière Armel Le Cléac'h, j'ai gagné la Cap Istanbul, et je suis devenu champion de France de course au large en solitaire.

Dès le début de mon contrat, j'avais expliqué à la Macif que mon objectif était de courir le Vendée Globe, ce qui suppose de construire un plus gros bateau que celui avec lequel j'avais couru jusque-là. Mais sans réseaux, sans contacts, il est difficile de trouver un sponsor, d'appeler les patrons ou les directeurs de la communication des entreprises pour décrocher un budget. Finalement, fin 2010, j'ai proposé à la Macif de me suivre sur mon Vendée Globe. Ils ont dit oui, et c'était parti !

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui a une passion mais hésite à en vivre ?

Je dirais d'abord qu'il n'y a pas un seul chemin à suivre : chacun a son propre fonctionnement, ce n'est pas parce qu'on fait les choses différemment qu'on les fait mal. Il faut essayer, essayer encore, garder les yeux ouverts, ne pas avoir peur de se lancer, surtout quand on est jeune.

C'est une chance d'avoir une passion. Pour moi, c'est la voile, pour d'autres ce sera la musique ou le tir à l'arc, ou bien encore l'informatique… La seule règle ? S'investir à fond et ne pas faire les choses en dilettante.
Biographie express
1983
: naissance le 23 mars à Saint-Michel-d'Entraygues (16).
1990 : passe l'année à bord du voilier familial.
1997 : champion de France en Optimist.
1999 : champion de France en Moth Europe.
2000 : bac S au lycée Élie-Vinet, à Barbezieux (16).
2005 et 2007 : vainqueur du Tour de France à la voile étudiant.
2008 : skipper professionnel avec Espoir Région Bretagne.
2010 : skipper Macif. Deuxième de la Solitaire du Figaro. Champion de France de course au large en solitaire. En décembre, le projet IMOCA (bateau de 18 m) avec au programme la Transat Jacques-Vabre (2011 et 2013), le Vendée Globe (2012-2013) et la Route du rhum (2014).
2013 : vainqueur du Vendée Globe en 78 jours, 2 heures, 16 minutes, 40 secondes.Le 3 novembre, il sera au départ de la Transat Jacques-Vabre.
2015 : mise à l'eau d'un trimaran de 30 m en vue de la Route du rhum 2018.

Suivez Francois Gabart sur twitter

François Gabart fait partie des quelques navigateurs professionnels membres de la communauté des "twailors", contraction de Twitter et sailors (navigateurs), qui regroupe des adeptes de Twitter mordus de voile.

Il poste régulièrement depuis le large. Pour ne rien rater de la Transat Jacques-Vabre sur laquelle il s'engagera début novembre, suivez-le sur son compte Twitter @FrancoisGabart et sur le compte de son bateau @Macif60.

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