Interview

Les 20 ans de Jul : "J’ai eu, un temps, le look ‘psycho’, genre punk en plus chic"

Les 20 ans de Jul
Les 20 ans de Jul © LDD
Par Propos recueillis par Sophie de Tarlé, publié le 22 février 2013
10 min

Auteur de la bande dessinée Silex and the City, récemment adaptée en dessin animé, Jul est aussi un dessinateur de presse prolifique. Ce diplômé de Normale sup reconnaît qu’il doit sa grande capacité de travail à ses années de classe préparatoire.

En quoi le fait d'avoir été scolarisé à Decroly a-t-il changé votre vie ?

 
C'est vraiment l'école Decroly à Saint-Mandé [94] qui m'a formé. Dans cette école publique, qui utilisait des méthodes alternatives, nous pouvions choisir nos matières et il n'y avait pas de devoirs ! J'y ai appris, au collège, l'esprit critique, la contestation de l'autorité. À Decroly, les profs ne nous disaient jamais que c'était mal de préférer le dessin aux maths. Il y avait aussi une absence totale de compétition. D'ailleurs, avant d'entrer au lycée, je n'ai eu aucune note. Enfin, cette école m'a aussi apporté une ouverture au monde sans aucun préjugé.
 

Quels souvenirs gardez-vous de vos années lycée ?

 

En seconde, je suis entré à l'École alsacienne, à Paris. C'était plutôt l'école de la haute bourgeoisie intellectuelle et artistique, la "gauche caviar". Par rapport à Decroly, je pensais que l'École alsacienne allait être une vraie caserne, ce qui n'a pas été le cas. J'ai pu apprendre le chinois, ce qui était très rare à l'époque. Et même si je n'étais pas du quartier, car j'habitais à Joinville [94], je faisais partie du groupe des élèves à part entière. Le jour de Mardi gras, les lycéens de Montaigne venaient nous taper dessus, puis, nous allions taper ensemble sur ceux de Stanislas, l'école catho d'à côté !


Quel genre de lycéen étiez-vous ?

 

À l'École alsacienne, entre les trois catégories d'élèves (les geeks, boutonneux fans de jeux vidéo, les fils à papa et les "cools", bien fringués et branchés), je faisais plutôt partie des "cools". En tout cas, au niveau vestimentaire, j'ai eu, un temps, le look "psycho", genre punk en plus chic, j'écoutais les Cramps. Au collège, je n'avais pas eu besoin de boire ou de fumer pour approcher le groupe des "cools", mes dessins suffisaient à les faire marrer. Je publiais le Julien déchaîné, puis l'Ypérite [le nom du gaz moutarde utilisé durant la guerre de 1914, NDLR], avec des dessins satiriques, que je vendais 3 F. Dès les petites classes, je lisais beaucoup, de la littérature, de la BD, j'écrivais et je dessinais. La politique m'intéressait aussi. Au collège, je faisais partie du Scalp, la Section carrément anti-Le Pen !


Quelles matières préfériez-vous ?

 

J'aimais surtout le chinois, l'histoire-géo et l'anglais. J'étais plutôt mauvais en sciences. Je pense que je ne suis pas assez structuré. Je n'aimais pas tellement la manière dont on nous enseignait la philo. Il y a une schizophrénie dans cet enseignement. D'un côté, le prof nous disait d'être libres, d'avoir un regard critique, alors que dans les faits il fallait bachoter et bourrer sa copie de références philosophiques pour avoir une bonne note.


Quels sont les professeurs qui vous ont le plus marqué ?

 

À l'école Decroly, j'ai eu Max Chemla, un professeur de français extraordinaire. Habillé avec un gilet en cuir, il portait un bouc et des bagues aux doigts. Il était très anticonformiste, plus que la moyenne à Decroly. Mais il était aussi extrêmement exigeant. J'ai découvert avec lui un million de choses sur le monde, la psychanalyse, la mythologie. C'était aussi un passionné de grammaire. Certains en avaient peur, moi il me passionnait. Plus tard, à l'École alsacienne, j'ai eu comme professeur de chinois Joël Bellassen, qui m'a profondément marqué. Physiquement, il ressemblait à Kadhafi ! Attiré un temps par le maoïsme et la Révolution culturelle, même s'il a déchanté par la suite, il est l'auteur des manuels de chinois les plus pionniers en France. C'était un excellent pédagogue, avec qui j'ai effectué des voyages passionnants en Chine.


Dans quelle mesure vos parents vous ont-ils influencé dans vos études ?

 

Je suis un enfant du "mammouth". Ma mère était prof de lettres et mon père prof d'anglais, tous deux au collège. Dans ma famille, l'école était sacrée. Mes parents voulaient vraiment le "meilleur éducatif" pour nous. L'école occupait souvent les conversations. Contrairement à certains parents de mes amis qui dénigraient l'école ou qui en avaient peur, eux aimaient l'école, même s'ils ont choisi des écoles alternatives pour nous.


Après le bac, pourquoi avez-vous choisi de faire une classe préparatoire ?

 

J'étais bon élève, on m'a conseillé d'aller en classe préparatoire. Et je n'ai pas regretté. Je recommande vraiment aux élèves littéraires de faire une prépa. L'enseignement est très riche, on y étudie plusieurs matières. J'ai aussi appris à gérer mes priorités, car je ne pouvais pas tout apprendre. Ma concentration et ma capacité de travail viennent de ces années-là.


Que vous ont apporté vos études à l'École normale supérieure ?

 

À l'ENS, j'étais payé, mais les cours étaient à la carte. On nous demandait juste de passer les examens à l'université et de préparer l'agrégation. Du coup, j'en ai profité pour voyager en Asie, dessiner sans me préoccuper du lendemain. En France, il y a une vraie aristocratie des diplômes. Le fait d'être normalien, agrégé d'histoire, est une arme sociale dont je n'ai jamais hésité à me servir. Cela me donne la légitimité de parler et de débattre sur un pied d'égalité avec des patrons, des ministres, des éditorialistes. Ils ont peut-être inconsciemment l'impression que je fais partie de la même caste, même si chez les intellos je passe pour un rigolo, et chez les artistes... pour un intello !


Vous avez été enseignant, quel type de prof étiez-vous ?

 

Être prof a été une vraie souffrance pour moi. J'ai été prof d'histoire à l'université de Marne-la-Vallée, puis en histoire chinoise à l'ENS. Je manquais de patience, je n'étais pas vraiment pédagogue, car je détestais me répéter, comme je déteste me répéter dans la vraie vie. J'en suis sorti avec l'impression que les profs étaient des héros. J'ai trouvé que ce boulot était vraiment épuisant. Il y a une implication physique énorme qu'on ne soupçonne pas. Enfin, je détestais corriger les copies, ce qui est tout de même assez gênant !


À quel moment avez-vous décidé de devenir dessinateur ?

 

Petit, j'admirais les dessinateurs, mais je n'avais aucune idée de métier. Après l'ENS, je me suis orienté vers la recherche en histoire chinoise. Mais je ne supportais plus les tracasseries administratives. J'ai pensé que le dessin me permettrait d'être plus libre. À Decroly, j'avais appris qu'un métier doit être conforme à la vie qu'on veut mener. Il n'y avait pas, d'un côté, ses hobbys et, de l'autre côté, son métier. Aujourd'hui, j'ai la possibilité de gagner ma vie avec ce que j'aime faire. Je reconnais que j'ai eu la chance de tomber dans une époque où l'image a une grande importance.


Quand avez-vous publié la première fois ?

 

J'ai rencontré, un peu par hasard, quelqu'un de la Nouvelle République des Pyrénées, un minuscule journal qui diffuse à 20 kilomètres autour de Tarbes [65]. Je lui ai proposé mes premiers dessins de presse. C'était modeste, mais cela m'a permis de faire mes armes. Ensuite, fort de cette première expérience, je suis allé voir d'autres journaux. Quand mes dessins ont été publiés dans le Nouvel Observateur, cela a été un vrai déclic.


Que conseilleriez-vous à un jeune qui souhaite devenir dessinateur ?

 

Je lui conseillerais de lire des livres, pour acquérir de la profondeur de champ, une culture générale. C'est important d'avoir une bonne culture générale dans ce métier, car on est amené à rencontrer des tas de gens très différents. Cela ouvre le champ des possibles. En outre, le fait de lire, de s'intéresser à l'actualité, permet d'avoir des idées de sujets.
 


Biographie express
1974 
: naissance à Maisons-Alfort (94) de Julien Berjeaut.
1986 : troisième prix junior du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême.
1989 : premier voyage en Chine.
1998 : entrée à l'ENS de Fontenay-Saint-Cloud.1999 : engagement au Nouvel Observateur.
2000 : premier dessin publié dans la presse satirique.
2005 : Il faut tuer José Bové, premier album BD publié.
2007 : le Guide du moutard, prix René-Goscinny du meilleur scénario.
2009 : Silex and the City, tome 1.
2012 : adaptation en dessin animé de Silex and the City (Arte).
 



Et si c'était à refaire ?

 

Jul a passé le T.O.P., le test d'orientation de l'Etudiant. A-t-il un profil de dessinateur de presse et d'auteur de BD passé par l'histoire ? Eh bien oui !

Le TOP orientation de Jul

Son bilan T.O.P.
 

Pôle "Artiste" : imagination, curiosité, créativité, intuition, passion sont les mots-clés de la sphère de compétences liée au pôle "Artiste". Ce pôle caractérise les personnes qui ont des idées et ont besoin de les exprimer souvent par le biais artistique (dessin, écriture, musique...). Ces personnes sont capables de se passionner, elles suivent leurs émotions et leurs intuitions. Elles aiment se démarquer et ont en général besoin de liberté, de découvertes et de variété.

Pôle "Investigateur" : apprendre, réfléchir, chercher, comprendre sont les mots-clés du pôle "Investigateur". Il caractérise les personnes qui aiment raisonner, résoudre des problèmes complexes, rechercher des informations afin de mieux comprendre leur environnement. Elles ressentent le besoin d'étudier et de se former. Ces personnes sont souvent attirées par ce qui est d'ordre intellectuel ou scientifique.

Pôle "Social" : sens du contact et de la communication, aptitude à transmettre sont quelques-unes des caractéristiques du pôle "Social". Il indique un bon sens relationnel. Il correspond souvent à des personnes qui ont besoin de se sentir utiles en exerçant, par exemple, un métier tourné vers les autres.

Son profil, son métier...
 

Avant de devenir dessinateur de presse et auteur de BD, Jul est passé par l'ENS (École normale supérieure) où il a décroché l'agrégation d'histoire. C'est donc bien la combinaison des pôles "Artiste" et "Investigateur" qui le caractérise avant tout. En général, les personnes dont le profil est dominé par le pôle "Artiste" choisissent un métier créatif, mais elles peuvent aller vers la recherche, notamment en sciences sociales et humaines, quand le pôle "Investigateur" est au même niveau.

Si Jul a exercé le métier de prof d'histoire quelques années, son pôle dominant a fini par prendre le dessus quand il a décidé qu'il voulait mettre le dessin au cœur de son métier. Le pôle "Réaliste" – qui correspond entre autres au concret, au manuel et à la technicité –, par ailleurs très fort dans le bilan détaillé de Jul, complète en général les pôles "A" et "I" chez les dessinateurs, illustrateurs, peintres...

Le goût de la réflexion, du débat d'idées et ­l'esprit critique de Jul, caractéristiques du pôle "Investigateur", qui l'ont poussé vers des études supérieures pointues en histoire, se retrouvent dans ses dessins de presse et ses sujets de bandes dessinées. Celles-ci raillent les travers des altermondialistes dans Il faut tuer José Bové ou le genre humain dans Silex and the City.

Clothilde Hanoteau

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